De l’eau souterraine dans les roches granitiques et métamorphiques ?
PDFLes roches cristallines ou roches « de socle » sont des roches en général anciennes, de deux types principaux : les roches plutoniques, telles que les granites, et les roches métamorphiques, comme les gneiss, schistes, micaschistes… Elles constituent le soubassement de l’ensemble des continents et y sont donc très communes. Leurs propriétés hydrogéologiques, bien que reconnues au moins depuis la seconde moitié du XXe siècle, sont maintenant très bien caractérisées, grâce à d’importants travaux de recherche menés au cours des 20 dernières années. Cet article décrit comment ces roches deviennent des aquifères, c’est-à-dire des roches renfermant des eaux souterraines, puis comment les hydrogéologues procèdent pour mettre en valeur, gérer et protéger leurs ressources en eau. Un focus est dédié au cas de l’Inde où la ressource en eau souterraine des roches cristallines a très fortement contribué à la « révolution verte ».
1. La ressource en eau des roches cristallines
1.1. Les roches cristallines
Les roches cristallines ou roches « de socle » (hard rocks en anglais) sont des roches en général anciennes, formées à grande profondeur, à plusieurs dizaines de kilomètres. Elles ont deux origines différentes.
Les roches plutoniques, telles que les granites (Figure 1), sont issues initialement d’un magma (de la roche fondue) qui a lentement cristallisé en profondeur.
Les roches métamorphiques, telles que les gneiss, schistes, micaschistes, etc., se sont formées par transformation (recristallisation, déformation, etc) d’une roche préexistante (une roche sédimentaire, volcanique, cristalline…) sous l’effet de la température et/ou de la pression.
Les roches cristallines se sont majoritairement formées dans la partie profonde des chaînes de montagne, à plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur, souvent il y a plusieurs centaines de millions d’années. Elles ont ensuite été amenées à la surface au cours de l’érosion de ces reliefs. Elles constituent de ce fait le soubassement de l’ensemble des continents. On les trouve ainsi à l’affleurement (c’est-à-dire à proximité de la surface du sol) dans de nombreuses régions du monde (Figure 2[1]) : une très grande partie des continents africain, nord et sud-américain, eurasien, les deux tiers de l’Inde, l’Australie, etc. En France, elles forment les massifs dits « anciens » : Massif Armoricain, Massif Central, Vosges et Ardennes. Elles sont aussi bien représentées au sein des chaînes Pyrénéenne et Alpine, y compris en Corse, et dans plusieurs Départements ou Territoires d’Outre-Mer (Guyane, où elles constituent la quasi-totalité du sous-sol de ce département de 83 500 km2, Saint-Pierre et Miquelon, Nouvelle-Calédonie).
1.2. Les enjeux et atouts de la ressource en eau souterraine des roches cristallines
Une roche est aquifère, c’est-à-dire qu’elle peut renfermer une ressource en eau souterraine, lorsque (1) elle comporte des vides (la porosité de la roche), (2) que ces vides sont de taille suffisante (au moins quelques fractions de millimètres d’épaisseur ou de diamètre) et sont connectés entre eux (la roche est alors perméable) et (3) que ces vides renferment de l’eau (on dit alors qu’ils sont saturés en eau), apportée en général par les précipitations (pluie, neige…). Cette eau est alors appelée « eau souterraine ».
Une ressource en eau modeste, mais très utile…
Les roches cristallines présentent une perméabilité moyenne à faible. Elles renferment de ce fait des aquifères dont la ressource en eau est modeste en comparaison des aquifères poreux (sables, graviers, grès, etc. des roches sédimentaires), karstiques (roches calcaires) (lire l’article karst, ressource en eau renouvelable dans les roches calcaires) ou volcaniques. Ainsi, le débit que peut fournir un forage (Figure 3), ou un puits, captant un aquifère cristallin est en général compris entre 0.5 et 5 m3/h environ, à comparer à plusieurs dizaines voire centaines de m3/h par forage dans les autres types d’aquifères.
Cette gamme de débit disponible en aquifère cristallin permet tout de même d’assurer l’approvisionnement en eau d’une population de 400 à 4000 personnes dans un pays en voie de développement (25 l/j/personne) et de 50 à 500 habitants en pays développé (200 l/j/personne). De manière assez exceptionnelle, les débits exploités peuvent être très importants, de plusieurs dizaines de m3/h, contribuant ainsi à l’alimentation en eau potable de villes de plusieurs dizaines de milliers d’habitant (exemple de la ville de Ploemeur, en Bretagne).
Cette ressource en eau souterraine est tout particulièrement appréciée dans les régions de socle semi-arides ou arides qui sont en général dépourvues de ressources en eau de surface pérennes (régions sahéliennes, Inde, Nordeste brésilien, etc). Ils y constituent souvent l’unique ressource en eau utilisable par la population. Dans les régions disposant d’eau de surface, comme en Guyane ou en Afrique équatoriale par exemple, cette ressource en eau souterraine est souvent privilégiée du fait de sa meilleure qualité et donc de coûts de traitement moindres.
… facilement accessible et peu onéreuse.
Cette productivité, en général relativement faible, est néanmoins compensée par certains avantages.
La ressource en eau des aquifères de socle est superficielle : moins de 100 m de profondeur, souvent quelques dizaines de mètres de profondeur seulement. Le coût des forages y est donc relativement limité : quelques milliers voire centaines d’Euros seulement dans les pays en voie de développement (par exemple en Inde). Des technologies de forage très bien adaptées à ce type de roches (la technique du « marteau fond de trou » principalement ; Figure 3), robustes et d’un coût modéré, ont été développées au cours des dernières décennies et sont bien maîtrisées, tant dans les pays développés que dans les pays en voie de développement.
La ressource en eau des aquifères de socle est bien répartie géographiquement ; c’est à dire qu’il est quasiment toujours possible d’implanter un forage (Figure 3) à proximité d’un lieu de consommation (un village, un champ à irriguer, etc), ou de multiplier les forages pour augmenter la production globale. Ainsi, en Inde par exemple [2], chaque parcelle de riz dispose souvent de son propre forage d’irrigation, la taille de la parcelle ou des parcelles ainsi alimentée(s) étant dimensionnée en fonction du débit disponible au forage. Un autre forage alimente la(es) parcelle(s) voisine(s) et ainsi de suite, dans la limite de la ressource en eau globalement disponible qui, elle, est directement liée à la recharge de la nappe par les précipitations.
Cette ressource en eau bien répartie géographiquement est donc très « décentralisée ». De ce fait, elle ne requiert pas de lourds investissements en canalisations d’adduction. Ainsi, si elle n’est pas adaptée pour les grandes agglomérations, cette ressource en eau permet d’alimenter les villages et petites villes, voire même des quartiers de grandes villes, et permet le développement de l’agriculture (irrigation) et de l’industrie.
Enfin, du fait de la faible perméabilité du sous-sol des régions cristallines, un forage n’influence qu’une zone d’extension limitée au tour de lui (plusieurs dizaines de mètres à quelques centaines de mètres au maximum), ce qui est faible par comparaison à d’autres types d’aquifères. Ainsi, dès qu’un forage se trouve à une distance suffisante d’un cours d’eau (plusieurs dizaines ou centaines de mètres), il n’a pas d’influence notable sur celui-ci. L’exploitation de l’eau souterraine se fait alors sans impact sur le débit du cours d’eau de surface. C’est pour cela que, dans les régions de socle, contrairement à ce qui se produit dans d’autres types de régions, l’exploitation des eaux souterraines peut se faire avec un impact limité sur le débit des eaux de surface.
Une ressource en eau qui conditionne aussi les implantations humaines.
La perméabilité modeste de ces roches explique aussi que, dans les régions cristallines bien arrosées par les précipitations (Bretagne, Massif central par exemple), la surface de la nappe souterraine (ou surface piézométrique – voir la Figure 5 – le niveau à partir duquel la roche est totalement remplie d’eau souterraine) est toujours très proche de la surface du sol, à quelques mètres de profondeur tout au plus. En effet, du fait de cette faible perméabilité, le gradient hydraulique (la « pente » de la surface de la nappe) est fort et peut dont avoir une pente qui se rapproche de celle de la surface topographique. Cela se traduit par la présence de sources, certes de débit modeste (souvent moins d’un l/s en étiage), dans la plupart des dépressions topographiques (petites vallées notamment) et par un réseau hydrographique (ruisseaux) très dense et alimenté par les eaux souterraines. Par voie de conséquence, l’habitat traditionnel pouvant se satisfaire, dans le passé, de ces ressources en eau modestes (petites sources, ruisseaux), il était donc de fait relativement dispersé. Un habitat concentré, nécessitant de plus importantes ressources en eau, n’était possible que sur les berges des cours d’eau pérennes les plus importants.
Dans les régions cristallines moins humides, les régions d’Afrique subsahélienne par exemple, la nappe affleure rarement à la surface du sol. Elle est alors traditionnellement captée à quelques mètres de profondeur par des puits de gros diamètre, qu’il est relativement aisé de creuser dans la partie altérée, meuble, de la roche (voir sa description dans la section 2).
Ainsi, à l’opposé des régions karstiques où l’habitat traditionnel est concentré autour des sources karstiques, dans les régions cristallines il est en général beaucoup plus dispersé.
Les parties suivantes de cet article présentent les propriétés hydrogéologiques des roches cristallines et leurs conséquences en termes opérationnels : implantation des forages d’eau, gestion et protection de la ressource en eau, etc..
2. Comment les roches cristallines deviennent-elles des aquifères ?
Des roches peu perméables…
Intrinsèquement, les roches cristallines présentent de faibles porosité et perméabilité. Pour les roches de type granitique, c’est parce que la cristallisation du magma qui est à leur origine n’a laissé aucun espace de disponible (porosité) dans la roche. Pour les roches métamorphiques, c’est parce que les processus de métamorphisme ont complètement oblitéré les porosité et perméabilité originelles de la roche initiale, si tant est qu’elle en ait eu. C’est pour cette raison que ces roches peu perméables sont souvent utilisées pour entreposer des déchets, notamment les déchets radioactifs [3]. En effet, l’eau ne peut que difficilement les traverser et ne peut donc pas facilement entraîner les polluants contenus dans ces déchets vers l’extérieur.
… mais qui deviennent aquifères lorsqu’elles s’altèrent.
Les roches de socle n’acquièrent une porosité et une perméabilité que lorsqu’elles se fracturent, c’est-à-dire lorsque des contraintes leurs sont appliquées et qu’elles se brisent. Il se forme alors en leur sein des fractures, c’est-à-dire des cassures dans la roche (Figure 4). D’extension métrique à décamétrique, d’une épaisseur de quelques fractions de millimètres à quelques centimètres, elles confèrent à la roche une porosité et une perméabilité et la rendent donc « aquifère ». On parle de « perméabilité de fractures ». Ces processus d’acquisition de la perméabilité présentent quelques similarités avec ceux qui concernent les roches calcaires. Ces dernières sont elles aussi en général peu perméables intrinsèquement. Elles acquièrent leur perméabilité non par altération et fracturation comme les roches de socle, mais par dissolution.
Les hydrogéologues ont longtemps pensé [4] que ces fractures avaient pour origine soit la tectonique (les contraintes qui affectent la croûte terrestre du fait de la tectonique des plaques), soit la « décompression » (le principe est de dire qu’amener une roche en surface, en raison de l’érosion, fait baisser la pression qui règne en son sein du fait de la diminution du poids des terrains sus-jacents, et conduirait à ce qu’elle se brise).
En fait, il a été démontré que la décompression ne peut pas briser les roches dans les conditions où nous l’observons et que la tectonique des plaques ne peut être invoquée que dans quelques situations très particulières mais ne peut pas expliquer l’ensemble des aquifères des régions de socle. Il a par contre été démontré que ce sont les processus d’altération qui sont à l’origine des fractures [5], [6], [7].
En effet, lorsqu’elles sont exposées près de la surface du sol (à quelques dizaines ou centaines de mètres de celle-ci), les roches s’altèrent. L’eau de pluie s’infiltre et diffuse très lentement en leur sein, importe et exporte des ions en solution et entraîne de ce fait des modifications des minéraux constitutifs des roches. Les roches de socle sont particulièrement sensibles à ces processus. Certains minéraux, tels que la biotite (encore appelée mica noir), abondants dans les roches de socle, présentent la propriété d’augmenter de volume lorsqu’ils subissent de telles transformations minéralogiques d’altération. Cette augmentation de volume à l’échelle du minéral (quelques fractions de millimètres) génère des contraintes à l’échelle de la roche qui, elles-mêmes, provoquent l’apparition de microfractures puis de fractures (Figure 4).
Il en résulte ce que l’on appelle un profil d’altération, de plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur, poreux et localement perméable, donc aquifère, qui surmonte la roche saine (non altérée), imperméable. Pour créer un tel profil d’altération, il faut donc de l’eau liquide (donc un climat ni trop aride, ni trop froid, l’eau serait alors gelée) et du temps, c’est-à-dire plusieurs millions ou dizaines de millions d’années. Il faut aussi que le profil puisse se développer, c’est à dire que les produits d’altération ne soient pas enlevés par l’érosion au fur et à mesure qu’ils se forment ; dans les faits, les profils d’altération se forment dans des régions à faible pente et s’érodent au fur et à mesure de leur formation dans les régions en surrection (montagnes en formation). En Europe, de tels profils d’altération se sont notamment formés à la fin de l’ère primaire (au Carbonifère et au Permien), au cours de l’ère secondaire (au Crétacé inférieur), puis, plus récemment, au début de l’ère tertiaire. Des restes de tels profils sont localement bien préservés dans toutes les régions de socle de France.
De haut en bas, un profil d’altération comporte schématiquement (Figure 5) :
* une cuirasse latéritique ou bauxitique. Souvent érodée en France métropolitaine, elle correspond à un horizon induré constitué d’oxydes de fer et/ou d’aluminium ;
- la saprolite, dont l’épaisseur peut atteindre plusieurs dizaines de mètres. La roche originelle y est complètement transformée par l’altération, en général en argile ou en argile sableuse ; elle est donc meuble (Figure 6). Cette partie du profil d’altération est peu perméable (les fractures de l’horizon fracturé ont disparu, les pores de la roche sont de petite taille et mal connectés entre eux). Mais elle est relativement poreuse et renferme donc de l’eau. Sa porosité est comprise entre 1 et 10% environ, c’est-à-dire qu’un mètre cube de roche renferme 10 à 100 litres d’eau ; pour une épaisseur de 30 m, on trouve ainsi de 300 à 3000 litres d’eau sous chaque m2. Cette partie du profil d’altération assure le stockage des eaux souterraines ;
- l’horizon fracturé (Image de couverture, Figure 1, Figure 4). Son épaisseur atteint aussi plusieurs dizaines de mètres ; elle est en général le double de celle de la saprolite. Seuls certains minéraux de la roche sont altérés ; la roche reste donc dure dans son ensemble. L’horizon fracturé comporte de nombreuses fractures, d’autant moins fréquentes que la profondeur augmente. Il est donc perméable. Cette partie du profil d’altération permet l’écoulement des eaux souterraines. Les puits ou forages qui recoupent une ou plusieurs fractures perméables de ce niveau ont des débits exploitables qui peuvent atteindre plusieurs mètres cubes par heure (m3/h). Comme l’horizon fracturé présente une faible porosité (de fractures), de l’ordre de 1 %, il ne renferme que quelques litres ou dizaines de litres par m2 sur l’ensemble de son épaisseur. L’eau qui y est pompée par les forages provient en fait majoritairement, au bout d’un certain temps, de la saprolite sus-jacente lorsque celle-ci est saturée en eau.
- plus profondément, sous l’horizon fracturé, la roche saine est imperméable ; sauf parfois, très localement, où certaines discontinuités (anciennes fractures d’origine tectonique, filons, contacts entre lithologies différentes…) ont pu guider plus profondément l’altération; dans ce cas, l’eau qui y est pompée provient aussi de l’horizon fracturé et de la saprolite sous-jacents. Au global, à l’exception de ces quelques zones très ponctuelles, la roche saine ne renferme pas de ressource en eau souterraine
En résumé, les eaux souterraines des aquifères de socle sont donc contenues au sein de ces deux horizons : saprolite et horizon fracturé. Les régions de socle où les profils d’altération ne se sont pas formés ou ont disparu, par érosion, sont pauvres en eau souterraine.
3. Comment exploiter et gérer la ressource en eau souterraine des régions de socle ?
Savoir où implanter un forage ou un puits destiné à fournir de l’eau souterraine… Les méthodes modernes de détection et de cartographie des profils d’altération, donc de caractérisation des aquifères qu’ils renferment, ont été développées, notamment au cours de ces dernières années, et sont utilisables à toutes les échelles, depuis celle d’un pays, d’une région ou d’un département dans son ensemble, jusqu’à l’échelle très locale d’une commune par exemple.
A l’échelle d’un pays, d’une région (Figure 7a [8]), d’un département de socle (Figure 7b), la cartographie hydrogéologique permet de concevoir des politiques d’aménagement du territoire. Quelle région (ou partie d’une région) dispose de ressources en eau souterraine suffisantes et peut donc compter sur celles-ci pour son alimentation en eau : eau potable, industrie, agriculture ? A l’inverse, quelle région devra rechercher d’autres sources d’approvisionnement : eau de surface des rivières ou des barrages notamment. Dans une région disposant d’eau souterraine, quelle est l’épaisseur des profils d’altération ? Donc à quelle profondeur faut-il forer et, par conséquent, combien coûteront les forages ?
Quelles sont les roches qui s’altèrent le mieux, qui sont donc les plus fracturées ? Où est- il donc le plus judicieux d’envisager de réaliser des forages ? Si ce n’est pas à proximité immédiate du lieu d’utilisation de l’eau, combien coûteront les conduites d’adduction ?
Quelle est la probabilité de recouper une fracture perméable dans l’horizon fissuré ? Quel est le débit d’un forage d’eau ayant recoupé une ou plusieurs de ces fractures ? Donc combien faut-il réaliser de forages pour satisfaire des besoins donnés ? Et donc quel sera le coût du projet ?
Telles sont les questions auxquelles une réponse est attendue.
A l’échelle d’une commune, d’un village, l’hydrogéologue va mettre en œuvre des méthodes très précises : il réalise des observations de terrain sur des zones où le profil d’altération est visible en surface, il met aussi en œuvre des méthodes d’auscultation géophysique du sous-sol, etc. Cela lui permet d’identifier, à quelques mètres près, les zones de fractures les plus productives. A cette échelle de travail, il s’agira donc de localiser le plus précisément possible les sites les plus favorables pour positionner les forages d’exploitation des eaux souterraines (Figure 8).
Cette caractérisation hydrogéologique précise du sous-sol permet aussi de nombreuses autres applications pratiques (Figure 8) :
- au-delà de l’implantation des forages d’eau, l’établissement de leurs périmètres de protection ;
- le choix des sites de décharge d’ordures ménagères, sur les terrains répondant aux critères légaux d’imperméabilité ;
- l’emplacement des sites de carrières, là où l’épaisseur de matériaux stériles à décaper est minimale ;
- la caractérisation de l’impact des tunnels [9], qui peuvent assécher les sources en surface et aussi dont la construction peut être handicapée par des venues d’eau souterraine trop importantes ;
- la prise en compte des risques d’origine géologique dans l’aménagement du territoire ;
- etc.
Malgré ces méthodes modernes, une part d’incertitude subsiste. Certains forages recoupent certes des fractures, mais celles-ci peuvent ne pas s’avérer perméables.
… mais aussi savoir gérer cette ressource en eau…
Une fois un forage, ou un ensemble de forages, réalisés dans une région donnée (ou même mieux, avant de réaliser ces forages), il faut s’assurer de la ressource en eau disponible.
L’hydrogéologue des régions de socle évalue alors la réserve en eau souterraine, c’est à dire la quantité d’eau souterraine contenue dans l’aquifère (de socle) capté par le forage, principalement dans la saprolite. Si on fait le parallèle avec les eaux de surface, la réserve est la quantité d’eau contenue dans un barrage et donc celle disponible pour être exploitée.
Néanmoins, cette estimation n’est pas suffisante. Il faut aussi évaluer la recharge de la nappe d’eau souterraine, c’est-à-dire la manière dont cette réserve se renouvelle, se reconstitue, en général chaque année, au cours de la saison des pluies. Si on fait à nouveau le parallèle avec les eaux de surface, la recharge est la quantité d’eau issue des précipitations (pluie, neige) qui va re-remplir le barrage une fois celui-ci partiellement ou totalement vidé. Dans le cas des eaux souterraines, c’est la quantité d’eau précipitée qui va s’infiltrer dans le sous-sol. En d’autres termes, c’est la fraction des eaux précipitées qui échappe d’une part à l’évaporation et à la transpiration des végétaux (souvent près de 50% des précipitations sous nos latitudes tempérées) et, d’autre part, qui échappe au ruissellement de surface. Dans les régions de socle, la part annuelle des précipitations infiltrées est comprise entre quelques pourcents et 20 à 30%.
La ressource en eau souterraine disponible dépend donc de la proportion, et donc de la quantité des précipitations infiltrées, et de la surface (ou « bassin versant ») qui va contribuer à l’alimentation du ou des forages considérés. Gérer la ressource en eau souterraine en n’exploitant pas plus que son volet renouvelable assure de fait la pérennité de l’exploitation. On parle alors de « gestion durable » de la ressource en eau. Les aquifères renferment donc une ressource en eau qui échappe, en saison des pluies, au ruissellement rapide et reste donc disponible pour son utilisation, notamment en saison sèche lorsqu’il n’y a plus d’eau de surface. La réserve d’eau souterraine disponible dans les aquifères de socle correspond à plusieurs années, voire 15 à 20 ans, de recharge moyenne [10]. Cette réserve permet donc de faire face à des périodes de sécheresse. Néanmoins, si elle n’est pas gérée de manière durable, c’est-à-dire si elle est surexploitée, elle va s’épuiser en quelques années.
Afin d’éviter ces risques, différentes méthodes et outils de gestion de la ressource ont été développés (voir notamment le focus sur l’Inde). Certains de ces outils, les modèles numériques, sont conçus pour simuler l’ensemble du cycle de l’eau d’une région déterminée. Ils permettent d’évaluer la ressource disponible sur un bassin versant choisi et de construire des scénarios et politiques de gestion, en fonction de la structure géologique et hydrogéologique du sous-sol, des conditions climatiques, des usages de l’eau, des impacts jugés acceptables, notamment en ce qui concerne la réduction du débit des cours d’eau due à l’exploitation des eaux souterraines, etc. Ces modèles numériques ont tout d’abord été développés pour les aquifères sédimentaires. En France, les bassins sédimentaires ont été modélisés, tels que le bassin d’Aquitaine et le bassin de Paris par exemple. Le développement des concepts présentés plus haut a permis d’appliquer des modèles similaires pour les aquifères de socle.
… et la protéger
La connaissance du sous-sol telle que décrite ci-dessus permet aussi de cartographier les zones préférentielles de recharge des aquifères de socle et de déterminer notamment l’aptitude des sols à retenir ou épurer les polluants.
On peut ainsi proposer des politiques d’aménagement du territoire destinées à protéger les eaux souterraines, par exemple en évitant les activités polluantes dans les zones où les sols ont un faible pouvoir épurateur. Des mesures de protection efficaces, voire des mesures de restauration de la qualité des eaux souterraines dans les régions où celle-ci est dégradée, peuvent aussi être mises en œuvre.
Références et notes :
Image de couverture. L’horizon fracturé de granites exposé en surface à Ploumanac’h, Côtes d’Armor, sur la côte de granite rose [© R. Wyns
[1] Lachassagne, P., Dewandel, B., Wyns, R. (2014a). Hydrogeology of Hard Rock aquifers. In Hanbbook of Engineering Hydrology. Fundamentals and Applications. Edited by S. Eslamian. CRC Press, Taylor & Francis Group, Chapter 14, pp. 282-310
[2]Dewandel, B., Perrin, J., Ahmed, Sh., Aulong S., Hrkal Z., Lachassagne P., Samad M., Massuel S. 2010. Development of a Tool for managing groundwater resources in semi-arid hard rock regions. Application to a rural watershed in south India. Hydrological Processes. 24, 2784-2797
[3] Stockage de déchets nucléaires en roches cristallines (Suède et Finlande) http://www.skb.com/ , http://www.posiva.fi/en
[4] Lachassagne, P., Wyns, R., Dewandel B., 2011. The fracture permeability of Hard Rock Aquifers is due neither to tectonics, nor to unloading, but to weathering processes. Terra Nova, 23, 145–161,2011
[5] Wyns, R., Gourry, J.-C., Baltassat, J.M., Lebert, F., Caractérisation multiparamètres des horizons de subsurface (0-100 m) en contexte de socle altéré, PANGEA 31/32: 51-54, 1999
[6] Wyns,R., Baltassat, J.M., Lachassagne, P., Legchenko, A., Vairon, J., Mathieu, F., Application of SNMR soundings for groundwater reserves mapping in weathered basement rocks (Brittany, France) Bulletin de la Société Géologique de France 175, (1), 21-34, 2004
[7] Lachassagne, P., Dewandel, B., Wyns, R. (2014b). The conceptual model of weathered hard rock aquifers and its practical applications, in « Fractured Rock Hydrogeology », N°20 International Association of Hydrogeologists Selected Papers, Editor J. M. Sharp, Jr, CRC Press, Taylor and Francis Group, pp. 13-46
[8]Lachassagne, P., Dewandel, B., Wyns, R. (2014b). The conceptual model of weathered hard rock aquifers and its practical applications, in « Fractured Rock Hydrogeology », N°20 International Association of Hydrogeologists Selected Papers, Editor J. M. Sharp, Jr, CRC Press, Taylor and Francis Group, pp. 13-46
[9] Dewandel et al., 2017. Dewandel, B., Caballero, Y., Perrin, J., Boisson, A., Dazin, F., Ferrant, S., Chandra, S., Marechal, J.C. 2017. A methodology for regionalizing 3‐D effective porosity at watershed scale in crystalline aquifers. Hydrological Processes. 2017;1–19. DOI: 10.1002/hyp.11187
[9] Lachassagne, P., Maréchal, J.C., Bienfait, P., Lacquement, F., Lamotte, Cl. 2014. Computing the water inflows discharge and assessing the impacts of tunnels drilled in Hard Rocks. IAEG XII Congress, Torino 2014. G. Lollino et al. (eds.), Engineering Geology for Society and Territory – Volume 3. DOI: 10.1007/978-3-319-09054-2_119, © Springer International Publishing Switzerland 2015, pp. 595-599
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Pour citer cet article : LACHASSAGNE Patrick, DEWANDEL Benoît, WYNS Robert (27 juin 2018), De l’eau souterraine dans les roches granitiques et métamorphiques ?, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 22 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/eau/eau-souterraine-roches-granitiques-metamorphiques/.
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