Tourbières et marais, des zones humides remarquables
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Les tourbières sont des zones humides dont la végétation produit de la tourbe très riche en carbone organique. La quantité d’eau entrant dans le système ainsi que sa qualité chimique déterminent de nombreux types de tourbières : lac-tourbière et tourbière bombée acides à sphaignes, marais alcalins à roseaux et grands Carex… La biodiversité y est remarquable : habitats, flore et faune souvent en voie de régression en France ou aux adaptations très particulières, par exemple les plantes insectivores ou la résistance de divers animaux au froid. Il est souvent nécessaire d’en assurer une gestion conservatoire. En outre, les tourbières présentent d’autres fonctions importantes : régulation des crues et des étiages, stockage du carbone, productions diverses – roseaux, tourbe, gibier, élevage extensif -, vitrine pédagogique. La tourbe permet aussi un archivage environnemental concernant la végétation passée, l’évolution des climats et la chronologie de certaines activités humaines, pour les derniers 12 000 ans, après les glaciations.
1. Place des tourbières dans les zones humides
La définition des zones humides est complexe, car variant suivant les époques, les usagers ou les pays. Celle de la Convention de Ramsar (1971) est large : « les zones humides sont des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres » [1]. Elle englobe donc les récifs coralliens et les herbiers à posidonies ! Ces zones forment donc l’interface entre les écosystèmes terrestres et les écosystèmes proprement aquatiques et sont fortement intriquées avec eux.
La définition du Code de l’environnement français est plus restrictive : « ce sont des terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année » [2]. Aux deux composantes citées (eau et végétation caractéristique), une troisième -tout aussi importante- a été ajoutée dans les circulaires d’application : la nature des sols, dont l’influence est fondamentale.

Les zones humides, des écosystèmes importants à conserver. Il faut insister, dès cette introduction, sur le fait que toutes les zones humides jouent de nombreux rôles fondamentaux dans le bon fonctionnement global de la Planète ; ce thème sera abordé plus loin. Pour diverses raisons, les zones humides sont très malmenées par les activités humaines depuis environ deux siècles et c’est pourquoi, depuis un demi-siècle, de nombreux programmes d’études ou de conservation se sont mis en place, depuis le niveau régional jusqu’au niveau international [4].
2. Nature de la tourbe et fonctionnement des tourbières
2.1. La tourbe est un matériau organique carboné
La tourbe est constituée au minimum de 20 à 30 %, parfois beaucoup plus, de matière organique mal dégradée. Cette dernière provient de l’accumulation, sur des siècles ou des millénaires, de résidus végétaux (bryophytes et plantes supérieures) dans un environnement toujours gorgé d’eau [3].
Cette permanence de l’eau, stagnante ou peu mobile et donc très appauvrie en oxygène, inhibe l’activité de la microflore et freine fortement la décomposition et le recyclage des débris végétaux à l’origine de la tourbe. La tourbe, très riche en composés carbonés, est à la fois un humus, un sol (nommé histosol) et une roche sédimentaire imparfaite assez proche du charbon. Elle peut être extraite, soit pour constituer un combustible peu performant, soit pour fertiliser diverses cultures au cours de sa lente dégradation en milieu plus sec et plus oxygéné [3].

La tourbe se forme de bas en haut, les niveaux les plus anciens étant au fond de la tourbière. Le taux d’accumulation est très variable suivant les régions et les périodes, mais se situe à une moyenne globale de 1 mm par an, donc 1 m par millénaire. Sauf de rares exceptions, les tourbières actuelles les plus anciennes d’Europe, âgées d’environ 11 à 12 000 ans, correspondent effectivement à plus de 10 m de tourbe.

On a aussi trouvé, très bien conservés dans la tourbe depuis des millénaires, des cadavres humains sacrifiés, tel l’Homme de Tollünd, au Danemark [10].
2.2. Répartition et origine des tourbières

L’autre type couvre les latitudes moyennes ou assez hautes des deux hémisphères, sous climat tempéré ou boréal pas trop continentaux, avec une plus forte densité au Canada, dans les Iles britanniques, la Fennoscandinavie, les pays baltes et la Russie, ou encore la Patagonie, le Chili et les Iles Kerguelen. Aux latitudes un peu plus basses et plus chaudes, les tourbières ont tendance à se réfugier dans les massifs montagneux ou les zones océaniques ; c’est le cas en France. Ces diverses régions ont des températures assez modérées et très variables au cours des saisons et reçoivent entre moins d’un mètre et environ deux mètres de précipitations annuelles. Il n’y a pas de tourbières dans les climats extrêmes, soit désertiques qui sont trop secs, soit aux très hautes latitudes et altitudes qui sont trop froids.
Le point commun entre ces tourbières très variées est qu’il faut assez d’eau qui reste dans le système tourbeux ; sous un climat chaud, il faut beaucoup de pluies, tandis que de plus faibles précipitations suffisent sous un climat plus frais, car l’évapotranspiration y est moindre. D’autres facteurs favorables sont la topographie et la nature du sous-sol minéral ; il faut que l’eau entrante soit stockée longtemps, sans s’écouler trop vite vers l’aval ou dans un substrat poreux. Il existe bien, localement, des tourbières sur des crêtes ou des pentes, ou dans des zones filtrantes, mais alors la nébulosité ou l’apport de sources sont presque constants.

La tourbe conditionne la tourbière et la tourbière produit la tourbe ! Une particularité remarquable des tourbières est que les végétaux qui y vivent construisent eux-mêmes la tourbière par accumulation progressive de leurs débris sur lesquels ils vivent ; une fois le processus enclenché, certains végétaux donnent naissance à la tourbe et la présence de tourbe permet la présence de certains végétaux. Ce sont donc des écosystèmes autoconstruits, qui peuvent subir plusieurs phases évolutives successives.
2.3. Diversité et évolution des tourbières
Dans la réalité, la diversité des tourbières et des marais tourbeux est très importante, surtout en France et dans les pays voisins [3]. Il est impossible de présenter tous ces types de tourbières ici ; seuls deux exemples bien différents et représentatifs seront explicités.



Il existe, de plus, divers systèmes tourbeux particuliers sur les reliefs des Massifs armoricain et central, des Vosges ou de Corse, sans aucun plan d’eau initial, ou le long des pentes en lien avec des suintements et des sources ou,encore,dans les dépressions arrière-littorales des côtes sablo-vaseuses, de Dunkerque à Bayonne [3].
3. Les tourbières et les marais accueillent une biodiversité remarquable
3.1. Chaque habitat tourbeux particulier héberge une flore et une faune spéciales

L’Union Européenne protège ses tourbières ainsi que leurs hôtes. De nombreuses espèces végétales et animales ainsi que divers habitats des zones humides, et des tourbières en particulier, sont devenus rares ou menacées en Europe (Figure 9). La Directive Habitats-Faune-Flore (1992) de l’Union Européenne liste ces espèces et habitats menacés ; il y a alors obligation, pour tous les États, de mettre en œuvre des mesures de protection ou de conservation. Le Muséum national d’histoire naturelle a publié des documents sur les espèces et les habitats de la Directive présents en France [8].
Plutôt que des listes d’espèces ou des statistiques illusoires, on présentera ci-dessous quelques groupes d’espèces de tourbières et marais intéressantes par leur biologie.
3.2. Exemple d’adaptations des végétaux aux problèmes de nutrition
Si, dans les tourbières, rien ne s’oppose à une photosynthèse normale pour les végétaux, la permanence et les caractéristiques de l’eau ralentissent la nutrition minérale (cations et ions nitrate) ; voici trois exemples d’adaptation à ces contraintes [3].

Les plantes ligneuses ont développé une autre stratégie pour leur nutrition azotée, la symbiose avec d’autres organismes. Ainsi, les Ericacées (Figure 11) forment avec divers champignons des mycorhizes souterraines capables d’absorber les ions NH3+ qui sont toxiques pour la plupart des autres plantes tandis que l’aulne glutineux et l’arbuste atlantique Myrica gale hébergent, dans leurs nodosités racinaires, des bactéries capables de fixer directement l’azote moléculaire dissous dans l’eau (lire Symbiose & parasitisme).

3.3. Quelques animaux des tourbières [3]


Certains marais alcalins de plaine hébergent encore des papillons du genre Maculinea (azurés en français). Les trois espèces typiques des marais, devenues rares en Europe et donc inscrites dans la Directive Habitats-Faune-Flore, sont présentes au Marais de Lavours [7] ; la chenille de l’un se nourrit, au début de sa vie, des fleurs de gentiane pneumonanthe et celles des deux autres des capitules de la sanguisorbe officinale (Figure 13). Au milieu de l’été, les chenilles, de quelques mm de long, tombent au sol où elles peuvent être récupérées par des fourmis de diverses espèces de Myrmica. Grâce à des productions chimiques attrayantes pour les fourmis, les chenilles sont introduites dans les fourmilières sans être inquiétées ; elles y passent plusieurs mois en se nourrissant d’œufs et de larves de fourmis avant de se métamorphoser en juillet pour boucler leur cycle. Ce système à plusieurs partenaires est très fragile, car si la plante-hôte ou la fourmi-hôte disparaît, le papillon disparaîtra aussi.
4. Importance et rôles de ces écosystèmes – Nécessité de les conserver face aux nombreuses causes de dégradation actuelle

L’intérêt pour la biodiversité est fondamental (voir plus haut), ainsi que pour certaines productions (récolte de roseaux, chasse, pêche en eaux douces, élevage extensif). Rappelons aussi la production de tourbe et l’archivage environnemental et ajoutons-y les aspects historiques, culturels traditionnels, récréatifs et pédagogiques [3],[7].

On estime que, depuis environ 200 ans, entre 50 et 75 % des tourbières (et des autres zones humides) ont été détruites ou fortement dégradées en France et dans les pays limitrophes. Pour les tourbières, il y a de nombreuses causes :
– drainage pour la culture du maïs ou la plantation de peupliers ou de résineux ;
– extraction industrielle de tourbe qui détruit totalement l’écosystème ;
– ennoiement pour créer des étangs ou des barrages hydroélectriques ;
– remblaiement par des décharges, par l’extension des zones urbanisées ou des infrastructures de transport et d’énergie ;
– pollutions diverses, dont une eutrophisation latente qui accélère la décomposition de la tourbe.
Une prise de conscience, tardive et parfois contrariée par une forte inertie dans les décisions, est apparue pour conserver ce qui reste et restaurer le plus possible de tourbières et marais [4]. En ce qui concerne la biodiversité et les habitats naturels, le Pôle-relais national Tourbières de Besançon est chargé de collecter et de diffuser les connaissances et les savoir-faire aux divers gestionnaires que sont les parcs, les réserves naturelles, les conservatoires et les diverses collectivités territoriales.
Références et notes
Image de couverture : Le Lac Luitel (Isère) en automne, avec son radeau flottant à sphaignes rouges. [Source : © A. Lemercier ]
[2] www.legifrance.gouv.fr/(Art. L.211-1)
[3] Manneville O., Vergne V., Villepoux O. et le Groupe d’Etudes des Tourbières (2006) 2e édition révisée. Le monde des tourbières et des marais. Delachaux & Niestle, 320 pages.
[4] Barnaud G. & Fustec E. (2007) Conserver les zones humides : Pourquoi ? Comment ? QUAE-EDUCAGRI, 296 p.
[5] Desplanque C. & Cave B. (2011) Réserve naturelle du Lac Luitel – livret-guide. ONF-Isère, 14 p. ; http://www.reserves-naturelles.org/lac-luitel
[6] Blanchard O. (2011) Tourbières – A l’épreuve du temps. Collection Montagnes du Jura, Néo éditions, CPIE du Haut-Doubs, 80 p.
[7] Collectif (1999) Entre Terre et Eau : Le Marais de Lavours. EID, Chindrieux,175 p. ; http://www.reserve-lavours.com/
[8] Cahiers d’habitats Natura 2000, 2002-2004 : Tome 3- Habitats humides ; Tome 1/1- Habitats forestiers (certains sont tourbeux); Tome 6 – Espèces végétales ; Tome 7- Espèces animales. MNHN, La Documentation Française. Téléchargeables sur http://inpn.mnhn.fr/telechargement/documentation/natura2000/cahiers-habitats
[9] https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Tourbi%C3%A8re&oldid=107949785
[10] Anonyme (1997) Le peuple des tourbières (momies de l’Âge du fer). Sciences et Avenir, Septembre, p. 90-96 ; http://www.tollundman.dk/
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Pour citer cet article : MANNEVILLE Olivier (8 avril 2020), Tourbières et marais, des zones humides remarquables, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 31 mars 2025 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/tourbieres-marais-zones-humides-remarquables/.
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