Les pinsons de Darwin toujours à l’avant-garde
PDFRosemary et Peter Grant travaillent depuis une quarantaine d’années sur les pinsons de l’archipel des Galápagos. Leurs récents travaux sur deux espèces de l’île Daphné Major ont apporté des informations très concrètes sur l’efficacité de la sélection naturelle et la rapidité avec laquelle elle peut opérer sur une population qui se trouve dans des conditions extrêmes.
L’une des deux espèces, Geospiza magnirostris, possède un très gros bec qui lui permet de se nourrir de grosses graines. L’autre, Geospiza fortis, a un bec de taille moyenne, mais assez variable d’un individu à l’autre. Ces oiseaux se nourrissent de graines plus ou moins grosses selon la taille de leur bec. Lors d’une forte sécheresse en 2004-2005, la quantité de graines disponibles devint limitante. Ceux des G. fortis qui avaient un bec plutôt gros, pouvant donc manger d’assez grosses graines, se trouvèrent en compétition avec les G. magnirostris et furent fortement désavantagés par rapport à leurs congénères à plus petit bec. A la fin de la sécheresse, sur 71 individus G. fortis étudiés, 34 étaient morts, majoritairement ceux qui avaient le plus gros bec. C’est ce que les évolutionnistes appellent le « déplacement d’un caractère écologique ». Il aboutit à réduire la compétition pour des ressources limitées dans un écosystème et peut constituer l’amorce d’un processus de spéciation.
Ce travail sur le terrain a été complété par une analyse génomique par séquençage (publiée dans la revue Science le 22 avril 2016). Elle a mis en évidence la forte influence d’un gène majeur, dénommé HMGA2 (pour high mobility group AT-hook 2), sur la taille du bec chez les 13 espèces de pinsons des Galápagos. Dans la population de G. fortis étudiée, ce gène est présent en deux variants (allèles), l’allèle S (small) donnant un bec plus petit que l’allèle L (large). Les hétérozygotes L/S ont un bec de taille intermédiaire par rapport aux homozygotes L/L et S/S. Comme on pouvait s’y attendre, l’allèle S a été retrouvé à une fréquence de 61 % chez les G. fortis survivants et seulement 37 % chez G. fortis morts. Une pression de sélection très forte avait donc joué en sa faveur.
Non seulement ces résultats sont une illustration très spectaculaire du processus évolutif darwinien, mais ils montrent aussi qu’un seul gène peut jouer un rôle majeur dans ce type de processus.