Le sable : fluide ou solide ?
PDFLe sable figure comme l’un des matériaux communs de notre environnement. Symboliquement attaché au cadre balnéaire, il n’est pas moins l’un des matériaux de base qui entrent dans la constitution du béton. En outre, il constitue l’un des composants élémentaires des sols, et à ce titre il est familier à tout ingénieur géotechnicien. Né de la décomposition de roches cristallines, il est souvent présenté comme un exemple particulièrement illustratif de matériaux granulaires, où l’arrangement désordonné de ses grains va lui conférer des propriétés tout à fait singulières. Cet article se propose de passer en revue certaines de ces propriétés, après avoir rappelé l’origine du sable.
1. D’où provient le sable ?
Les sables constituent l’état ultime de dégradation de nombreuses roches, en particulier les roches magmatiques formées par cristallisation en profondeur, constituées de grains. Les roches granitiques [1] en sont un excellent exemple, ce sont elles qui constituent les principaux sommets de la plupart des hauts massifs alpins (Mont-Blanc, Ecrins, Ambin, Argentera). Par effet d’érosion, conséquence inévitable du vieillissement de la matière sous l’effet d’agents agressifs (essentiellement d’ordre climatique), les roches se fragmentent en éléments plus petits, jusqu’à leur décomposition en un assemblage granulaire, où l’on retrouve les grains de la roche originelle (Figure 1). On appelle cet assemblage l’arène granitique. Par exemple, pour le granite, on retrouve les cristaux de mica, les cristaux de feldspaths, et les cristaux de quartz. A cause de l’altération physico-chimique qui se poursuit, il ne persiste souvent plus que les grains de quartz, formant alors le sable des bords de rivière, ou des plages.
2. Une histoire de grains
Le sable est donc un matériau granulaire, constitué par un assemblage de grains de quartz (Figure 2). De manière symbolique, on peut le représenter mentalement comme un tas de billes, qui s’entrechoquent entre elles, glissant et roulant. Mais de plus, les grains de sable sont très rarement des sphères comme les billes. Les grains sont souvent irréguliers, parfois anguleux ou allongés ; ils peuvent présenter des facettes planes, ou au contraire être arrondis. La taille des grains est aussi un paramètre important. Les grains ne font pas tous la même taille. Typiquement, dans un sable, la taille des grains s’échelonne de quelques dizaines de micromètres [2] à quelques centimètres. C’est ce qu’on appelle la granulométrie. Lorsqu’elle est étalée (c’est-à-dire, lorsqu’il y a une multitude de tailles de grains différentes), le milieu comportera peu de vides entre les grains. Les grains plus petits se positionnent entre les plus gros, comblant les vides, et ainsi de suite. On parlera de sable dense lorsque, pour un volume d’échantillon donné, la part du volume des vides entre les grains est petite. Dans le cas contraire, on parlera de sables lâches.
Pour le géotechnicien, qui s’intéresse aux sols en prévision de futurs travaux de génie civil (construction d’un ouvrage routier, d’un bâtiment, d’un barrage, d’un ouvrage off-shore), la densité du sable qui constitue le sol revêt une importance capitale, car le comportement mécanique (c’est-à-dire la manière dont le sol se déforme sous l’action d’un chargement donné) ne sera pas du tout le même suivant que le sable est dense ou lâche. Et pour la plupart des ouvrages de génie-civil, on doit éviter impérativement que le sol ne se déforme au-delà d’une limite très stricte !
3. Du solide, de l’air et de l’eau
Le sable, dans les sols, est rarement composé seulement de grains solides et d’air. En effet, les vides entre les grains peuvent être occupés par un fluide (souvent de l’eau, mais parfois aussi des hydrocarbures comme pour les sables bitumineux du Canada). Ce fluide peut occuper l’ensemble des vides (on dira alors que le sable est saturé), ou seulement une partie des vides (Figure 3). La présence d’un fluide modifie profondément le comportement mécanique d’un sol sableux. Si les vides entre les grains contiennent un peu d’eau, alors des forces (dites capillaires) se développent entre les grains, exerçant entre eux un effet attractif, responsable de la cohésion de l’échantillon. C’est ainsi qu’on peut construire un château de sable, avec des murs verticaux ! Si l’on sature le matériau (ce qui se produit lorsque la marée monte), le château s’effondre, par disparition des forces capillaires, et donc de la cohésion du matériau.
Par ailleurs, la présence d’un fluide au sein du sable peut favoriser des processus d’altération et de transformation physico-chimique, menant alors à la formation de ponts solides entre les grains. Une sorte de ciment apparaît entre les grains, ce qui améliore la résistance mécanique du sol. Lorsque ce phénomène de consolidation se poursuit sur des durées très longues à l’échelle des temps géologiques, on parlera alors de diagenèse, menant alors à la constitution d’une roche appelée grès.
4. Dans les confidences d’un matériau granulaire
Le sable, comme exemple de matériau granulaire, ne cesse d’interpeller les mécaniciens des sols depuis le 18ème siècle avec les travaux fondateurs de C.A. Coulomb (voir focus 1). Trois siècles après, la lumière reste partielle sur tous les mystères que nous réserve ce matériau. Tantôt résistant comme un « vrai » solide, tantôt fluide comme un liquide. Pensez aux sables mouvants ! Plus catastrophiquement, on garde en mémoire les désordres majeurs qui surviennent lors d’un séisme sur des sols sableux : les sols se liquéfient, ne permettant plus la stabilité des ouvrages qu’ils supportent, menant à leur ruine.
Sans entrer dans tous les détails, la complexité des sables, en tant que matériau granulaire, provient de deux aspects :
- D’une part, du réarrangement entre les grains, qui peuvent glisser ou rouler les uns par rapport aux autres, modifiant la structure granulaire (en diminuant ou augmentant les vides entre les grains). Ce mouvement relatif entre les grains est contrôlé par le coefficient de frottement entre les grains (au travers de la loi de Coulomb), et de la forme des grains.
- D’autre part, du nombre colossal de grains contenus même dans un petit volume (une poignée de sable peut contenir des milliards de grains !). Ceci se traduit par une complexité géométrique (effet des grands nombres, observable dans toute population étendue, vivante ou matérielle), que l’on peut percevoir dans la variété des motifs d’enchevêtrement que forment les grains en contact, dessinant des sortes de chainons de grains au milieu d’amas, de taille et d’allure très variables (Figure 4). Une des propriétés les plus singulières des sables, et qui résulte en partie d’un effet collectif, est la dilatance (voir focus 2), traduisant la capacité qu’a un échantillon de sable à augmenter de volume lorsqu’on le sollicite en cisaillement.
Un des enjeux actuels majeurs pour l’ingénierie des sols sableux, consiste à poursuivre cette piste féconde de compréhension du comportement des sables, en revenant à leur structure granulaire aux échelles les plus élémentaires : celle du grain, ou d’un amas élémentaire de quelques grains. Entre l’échelle de l’ingénieur, qui s’étend jusqu’à quelques dizaines de mètres, et celle du chercheur, qui descend au cœur de l’assemblage des grains, il y a une disjonction dont la résolution constitue un authentique pari intellectuel.
Références et notes
Photo de couverture : Ile de la Réunion [source : François Nicot]
[1] Les roches granitiques désignent une famille, dont le granit est un représentant. Le gneiss ou les amphiboles du massif de Belledonne (Isère) appartiennent à cette famille.
[2] Un micromètre est mille fois plus petit qu’un millimètre : 1 mm = 1000 μm
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Pour citer cet article : NICOT François (30 octobre 2018), Le sable : fluide ou solide ?, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 3 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/les-sables/.
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