Que faire pour restaurer la dispersion ?
PDF1. Restaurer la dispersion en semant les arbres indigènes
Forts de ces résultats encourageants, nous avons décidé de poursuivre les expérimentations en forêt tropicale humide (Figure 1).
Le succès du semis direct ouvre de nouvelles perspectives de restauration écologique car il est plus simple à mettre en œuvre que les traditionnelles plantations de jeunes arbres. Ces dernières nécessitent une logistique très lourde pour être déployée à large échelle. Comme déjà montré ailleurs [2], les semis directs permettraient d’ensemencer des zones reculées à hauts enjeux comme la caldeira du volcan qui compte la plus grande aire protégée de basse altitude dans les Mascareignes (voir Figure 4, article Comment les extinctions de vertébrés menacent les forêts tropicales). Il est d’autant plus important de maintenir les espèces d’arbres les plus emblématiques de la forêt tropicale humide dans ce secteur afin de conserver des écosystèmes attractifs en prévision du retour des grands frugivores.
2. Restaurer la dispersion en ré-ensauvageant les écosystèmes
Les semis directs n’ont pas la prétention de se substituer efficacement aux frugivores de grande taille. Les semis ne peuvent être entrepris qu’à des échelles spatiales et temporelles limitées en comparaison avec les capacités de dispersion de la grande faune. Rien ne remplacera jamais de nombreux frugivores en quête perpétuelle de nourriture et dotés d’un grand rayon d’action. Il reste que si des semis directs pourraient être facilement déployés par les gestionnaires d’espaces naturels, le ré-ensauvagement des écosystèmes (de l’anglais rewilding) soulève diverses questions socio-écologiques qui rendent sa mise en œuvre plus délicate.
2.1. Ré-introduction de tortues terrestres
La récente réintroduction de tortues terrestres à la réserve d’Ebony Forest [4] sur la grande terre à Maurice montre néanmoins qu’une initiative analogue pourrait voir le jour à La Réunion. S’il ne faut pas attendre d’un tel projet qu’il ait un impact à l’échelle d’un écosystème (dans un premier temps), une réserve avec des tortues terrestres pourrait être non seulement une passionnante expérience de restauration écologique, mais aussi avoir une importante vocation pédagogique. Elle contribuerait à montrer au public que les grands vertébrés ont un rôle essentiel à jouer dans les forêts tropicales indigènes.
2.2. Cas de la roussette noire
- Le risque de nouvelles invasions de plantes dans une île déjà sévèrement impactée ;
- Le risque de conflit d’intérêt avec les arboriculteurs.
Le risque de voir les roussettes disperser des plantes exotiques existe bien. Pourtant ces potentiels effets néfastes seront certainement contrebalancés par la restauration d’interactions doublement mutualistes de pollinisation et de dispersion qui étaient éteintes depuis des siècles [5]. En particulier, leur capacité à disperser les graines sur de longues distances va restaurer des flux de gènes pour de nombreuses espèces indigènes enfermées dans leurs secteurs forestiers depuis plus de 150 ans. Pour se convaincre de l’impact positif de la roussette noire, il suffit de constater la remarquable régénération de la plupart des plantes indigènes à Brise Fer malgré l’existence de nombreuses plantes exotiques envahissantes à l’échelle du paysage dans ce massif (Lire Comment les extinctions de vertébrés menacent les forêts tropicales, partie 3.2).
A La Réunion, les reliques de forêts indigènes à basse altitude riches en arbres à gros fruits sont souvent très fragmentées et à proximité directe des zones cultivées. Avec la croissance de la population de roussettes, le potentiel conflit d’intérêt avec les arboriculteurs doit être anticipé. Le défi est grand comme le montre la situation à Maurice où cette espèce qui joue pourtant un rôle clé de voûte dans les forêts indigènes a été décimée cette dernière décennie. Par conséquent, les acteurs locaux de la conservation devraient veiller à créer les conditions de l’acceptation de cette espèce emblématique et inclure un important volet socio-écologique dans les prochains travaux de recherche. Ces travaux ne pourront que faciliter d’autres projets de réintroduction, comme celui concernant la perruche verte des Mascareignes auquel réfléchissent activement plusieurs acteurs clés de la conservation à La Réunion.
Notes
Image de couverture. Copie d’une des images de la figure 7 de l’article principal.
[1] Albert S. (2020) Rupture des interactions mutualistes plantes à fruits charnus-vertébrés frugivores, et conséquences sur la régénération des forêts tropicales dans les Mascareignes », Doctoral dissertation, Université de La Réunion. [En ligne]. Disponible sur : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03126708.
[2] Shaw N. et al. (2020) Seed use in the field: Delivering seeds for restoration success. Restor. Ecol., 28, S3, S276‑S285 ; https://doi.org/10.1111/rec.13210.
[3] Griffiths C.J., Hansen D.M., Jones C.G., Zuël N. & Harris S. (2011) Resurrecting extinct interactions with extant substitutes. Curr. Biol., 21(9), 762‑765 Disponible sur: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0960982211003460.
[4] Les tortues de la réserve d’Ebony forest : https://www.ebonyforest.com/facilities/tortoises/
[5] Florens F.B.V. et al. (2017) Disproportionately large ecological role of a recently mass-culled flying fox in native forests of an oceanic island. J. Nat. Conserv., 40, 85-93 ; https://doi.org/10.1016/j.jnc.2017.10.002