Biodiversité sur les côtes rocheuses : zonation et relations écologiques
PDFLes côtes rocheuses atlantiques, soumises au balancement des marées, permettent d’observer facilement les organismes qui les colonisent. Suivant le niveau considéré et les conditions de vie, divers lichens ou grandes algues brunes dominent et forment des ceintures horizontales. De façon moins nette, certains animaux fixés ou peu mobiles sont aussi disposés en ceintures. Les autres animaux et algues sont répartis, de façon plus irrégulière, à la faveur des cuvettes, chenaux et surplombs rocheux. La diversité spécifique diminue vers le haut de la zone émergée et aussi quand les conditions deviennent trop difficiles : milieu trop agité, trop ensoleillé ou à salinité très variable. Les organismes des côtes rocheuses présentent ainsi de nombreuses adaptations biologiques à l’émersion ou à l’agitation et de nombreuses spécialisations et interrelations liées à la nutrition.
Les côtes atlantiques sont soumises au phénomène des marées ; une partie du littoral est ainsi émergée sur une étendue variable qui dépend de la pente et du marnage. Les organismes vivant dans cette zone de balancement des marées et dans les zones proches ont donc à supporter un environnement très particulier et assez variable dans le temps. Suivant les caractéristiques du substrat minéral, les littoraux sont d’aspects très différents et correspondent à des écosystèmes distincts.
Ainsi, sur les côtes rocheuses, objet de cet article, les algues, surtout les brunes (lire le focus Les algues et leur classification), et les lichens fixés sur la roche dominent le plus souvent et sont répartis en ceintures horizontales, depuis le milieu terrestre jusqu’au milieu marin toujours immergé ; c’est pourquoi on insistera sur ces espèces structurantes très faciles à observer. Certains animaux fixés ou peu mobiles présentent aussi une telle zonation verticale, tandis que les espèces plus mobiles (poissons, crevettes, mollusques divers) suivent, pour survivre, les mouvements de la mer ou se réfugient dans les cuvettes ou à l’abri des blocs et cailloux.
Sur les côtes sableuses ou vaseuses, la zonation est beaucoup moins nette, car les animaux y vivent essentiellement enfouis, surtout à marée basse [1]. Il y a moins de végétaux, mis à part des plantes à fleurs et à racines localement : celles des prés salés saumâtres, dans les hauts niveaux calmes, et les zostères (Figure 1), dans les très bas niveaux. Les algues y sont pratiquement absentes par manque de possibilité de fixation stable ; la faune de ces milieux est très différente de celles des rochers. Il faudrait un article entier sur ces écosystèmes qui sont organisés et fonctionnent de façon très différente des littoraux rocheux.
1. Les facteurs écologiques et leurs effets
De nombreux facteurs écologiques, et les gradients physicochimiques qui en découlent, agissent directement sur la répartition des êtres vivants des littoraux marins.Ces facteurs sont le plus souvent corrélés entre eux, ce qui complique parfois l’interprétation.
1.1. La durée d’émersion et de déshydratation
Ce facteur est primordial sur les côtes, dites à marées, de l’Atlantique et de la Manche (et très secondaire en Méditerranée) (Lire Les Marées). Deux fois par 24 h environ, l’estranNom, d’origine scandinave, synonyme de zone de balancement des marées. se trouve alternativement submergé à marée haute et émergé à marée basse (Figure 2). Ceci provoque de fortes contraintes sur la flore et la faune, essentiellement d’origine marine. De plus, suivant les cycles lunaire et saisonnier, l’amplitude du balancement des marées varie fortement : importante vers la pleine lune ou la nouvelle lune et vers les équinoxes, elle est assez faible aux premiers et derniers quartiers de lune et vers les solstices [1] (Lire Les cycles de la lumière et les organismes vivants).
Ainsi les organismes vivant dans les niveaux les plus élevés du littoral ont été sélectionnés pour résister à une longue émersion du milieu marin, d’au moins 80 % du temps. Pendant l’émersion, ils sont soumis à l’ensoleillement direct, aux variations des températures, au stress osmotique lié à l’eau douce des pluies ou à la dessiccation. De plus, à l’air, la faune marine ne peut plus absorber l’oxygène dissous dans l’eau ; cela implique que les animaux puissent garder un peu d’eau autour d’eux ou, plus rarement, modifient leur façon de respirer [1]. Ces conditions sont plus stables et moins contraignantes pour les espèces du bas de l’estran ; ce sont d’ailleurs souvent les mêmes espèces que celles de la zone immergée en permanence [1].
Le marnage, ou différence maximale de niveau entre les plus basses et les plus hautes mers, est typique d’un lieu donné et dépend de la conformation des côtes : 14 m dans la baie du Mont Saint Michel, 8,50 m à Roscoff, environ 6 m au Havre et à Nantes, un peu plus de 4 m à Biarritz. Plus le marnage est important, plus la zone de balancement sera étendue et diversifiée et plus les ceintures seront larges ; on comprend ainsi l’intérêt des côtes françaises de la Manche ouest, de Cherbourg à Brest.
On définit donc quatre étages sur nos littoraux marins [1],[2], en fonction de l’influence marine et de la durée d’émersion (Figures 3 & 7) :
- l’étage adlittoral en continuité directe avec les écosystèmes terrestres et soumis aux embruns salés ;
- l’étage supralittoral qui n’est immergé que pendant les très grandes marées et les tempêtes ;
- l’étage médiolittoral constamment balayé par les marées et subdivisé en trois niveaux ;
- l’étage infralittoral dont le niveau supérieur n’est émergé qu’aux grandes marées et durant moins d’une heure d’affilée. Ce dernier se prolonge jusqu’à 10 à 30 m sous la mer, en fonction de l’éclairement des fonds.
Plus on descend sur l’estran rocheux, plus les algues sont grandes et diversifiées et plus la faune comporte d’espèces également ; c’est d’ailleurs pour cette raison que les pêcheurs à pied attendent les grandes marées basses pour aller débusquer ou ramasser homards, étrilles, bigorneaux et ormeaux. La biomasse et la productivité sont aussi maximales dans l’infralittoral.
1.2. L’agitation de l’eau
Ce facteur, lié aux courants et aux vagues, dépend fortement de l’orientation et de la conformation des côtes : forte agitation sur les caps rocheux exposés à l’ouest ou au pied des falaises et peu d’agitation au fond des baies abritées et des estuaires. Cela a une grande influence sur les organismes. En effet, certaines espèces d’algues, au thalleDésigne l’appareil végétatif assez simple des végétaux primitifs (algues, lichens, certains bryophytes…) par rapport à celui des plantes évoluées qui présentent un cormus avec tige, racines et feuilles. trop fragile ou très long, sont déchiquetées ou arrachées par les fortes vagues et certains animaux, mal fixés ou au corps trop mou, ne peuvent pas se maintenir en milieux battus, tandis que d’autres ont besoin d’une eau battue très oxygénée pour survivre. Il faut préciser qu’un même site côtier peut être très battu dans le médiolittoral supérieur (par la houle de marée haute qui arrive sans obstacles) et relativement calme dans le médiolittoral inférieur ou l’infralittoral (où les vagues sont freinées par divers obstacles à marée basse).
En fonction des effets observés sur les organismes (espèces présentes, taille et biomasse), on reconnaît trois modes d’agitation, avec des intermédiaires : ‘très battu’, ‘moyennement battu’ et ‘calme’ (Figure 4). On y voit que plus le médiolittoral est battu, moins il y a de biomasse algale et cela peut aller jusqu’au rocher nu sans aucun organisme.
1.3. L’éclairement
Les algues et les lichens ont besoin de lumière pour la photosynthèseProcessus bioénergétique qui permet aux plantes, aux algues et à certaines bactéries de synthétiser de la matière organique à partir du CO2 de l’atmosphère en utilisant la lumière du soleil. L’énergie solaire est ainsi utilisée pour oxyder l’eau et réduire le dioxyde de carbone afin de synthétiser des substances organiques (glucides). L’oxydation de l’eau conduit à la formation du dioxygène O2 que l’on retrouve dans l’atmosphère. La photosynthèse est à la base de l’autotrophie, elle est le résultat du fonctionnement intégré du chloroplaste au sein de la cellule et de l’organisme., mais un trop fort éclairement est souvent nocif pour des organismes habitués à être protégés par une couche d’eau parfois trouble. A l’étage médiolittoral, certaines espèces se réfugient donc, pour se protéger de la lumière, sous d’autres algues plus grandes – cas de l’algue rouge Catenella cespitosa du médiolittoral supérieur -, à la base des rochers toujours humides (Figure 4B) ou sous les surplombs rocheux. De nombreuses algues vertes supportent bien un fort éclairement (voir plus loin Figure 17A), ainsi que les algues brunes des niveaux supérieurs. L’ensoleillement direct peut poser problème aussi à de nombreux animaux, comme les éponges et les ascidies (Figure 5), car il s’accompagne de déshydratation et d’échauffement.
1.4. Autres facteurs physicochimiques
En ce concerne la nature du support, la majorité des grandes algues vivent fixées sur les rochers ou les cailloux, par des crampons (voir ci-dessous Figure 14B) ou des fausses racines, et meurent assez vite si elles s’en détachent. Les côtes rocheuses sont donc leur biotope favori. Le granite, le gneiss et le grès grossier, à la surface rugueuse, sont les plus favorables tandis que les grès lisses ou le calcaire marneux et la craie, facilement délités par la mer, sont moins favorables. Certaines petites espèces d’algues sont fixées sur d’autres algues. De nombreux animaux ne survivent qu’en étant fixés sur divers supports solides (Figures 5 & 6 et voir plus loin, Figure 19) : nombreux gastéropodes, moules, crustacés balanes, anémones de mer, éponges, ascidies…
Lors de l’exondation, les fortes variations des températures et le gel sont néfastes à la majeure partie des organismes marins qui ne peuvent donc vivre qu’au bas de l’estran. De plus, la flore et la faune ne sont pas identiques entre Biarritz et Dunkerque, car certaines espèces préfèrent les eaux fraîches ; c’est le cas des grandes algues brunes.
Dans les estuaires, la salinité de l’eau est plus faible et surtout beaucoup plus variable, ce qui élimine de nombreuses espèces marines. L’eau y est, de plus, turbide, car chargée en vases, et de nombreuses algues n’ont plus assez de lumière dans les bas niveaux. La biodiversité globale y diminue donc fortement, même si la productivité reste toujours très forte.
1.5. La compétition interspécifique
La compétition, pour la place ou la lumière, joue un rôle important dans la zonation des organismes ; ce sont les plus adaptés aux conditions écologiques locales, et parfois les premiers arrivés, qui dominent en laissant peu de place aux autres. Ceci est prouvé par le fait que la présence d’une espèce compétitive, dans une région précise, en oblige une autre à restreindre la place qu’elle occupe sur le littoral. La figure 6A présente le cas de deux espèces de balanes : en présence de Balanus balanoides, Chthamalus stellatus se voit confiné vers les niveaux supérieurs, alors qu’il peut vivre plus bas ; ces deux espèces se nourrissent par filtration de l’eau [3].
La figure 6B illustre un autre cas de compétition, dans le médiolittoral moyen : l’agitation forte du milieu exclue ici les Fucus, ce qui permet l’installation des coussins ras du petit Lichina qui a besoin de lumière ; les larves de balanes se fixent ensuite uniquement dans les zones sans lichen ; enfin, comme il y a beaucoup de balanes fixées, il reste peu de place aux patelles pour racler le rocher !
2. Les ceintures de lichens ou d’algues brunes
En combinant la zonation altitudinale en étages et les divers modes d’agitation de l’eau, on peut élaborer le tableau ci-dessous (Figure 7) qui présente les diverses ceintures végétales de nos côtes rocheuses [2],[4].
2.1. Les lichens des hauts niveaux
Les lichens sont des organismes terrestres à l’origine. C’est pourquoi, contrairement aux algues et aux animaux marins, leur diversité spécifique diminue plus on descend vers la mer. De très nombreuses espèces de lichens peuvent se rencontrer sur les rochers littoraux, dont certains vivent aussi à l’intérieur des terres (Xanthoria parietina) et d’autres sont typiques du littoral marin (Verrucaria maura, Lichina spp.) [3].
Les ceintures de lichens se voient de loin grâce à leurs couleurs très contrastées (Figure 8). En haut, dans l’étage adlittoral, où vivent aussi quelques rares plantes à fleurs supportant le sel des embruns, on remarque surtout les touffes vert clair des Ramalina, les thalles foliacés jaune-orangé des Xanthoria et les divers thalles en croûtes, allant du blanc au gris foncé ou au brun, de nombreux genres de lichens (Figure 9A).
L’étage supralittoral, recouvert aux très hautes marées, est colonisé par les croûtes des Caloplaca marina et C. maritima disséminées dans une ceinture noire presque continue de Hydropunctaria (= Verrucaria) maura (Figure 9B). Ce dernier lichen en croûte fine est souvent pris à tort pour un reste de marées noires ! Parmi les rares lichens de l’étage médiolittoral, il faut citer Lichina pygmaea, des milieux très battus (Figure 6).
Sur les côtes très battues, les étages adlittoral et supralittoral s’étalent vers le haut (plus de 20 m sur les falaises du Finistère, de Quiberon ou de la Hague) avec des ceintures à lichens très larges ; les conditions très dures de ces littoraux favorisent les lichens, que leur symbiose champignon-algue unicellulaire rend plus résistants par rapport aux plantes à fleurs. Par contre, dans les estuaires à l’abri des vagues, toutes ces ceintures n’atteignent ensemble que 20 cm de haut ; les conditions calmes permettent même aux chênes de s’approcher de la mer et d’y laisser tremper leurs branches à marée haute.
2.2. Les algues brunes des niveaux moyens et bas
Les algues brunes ou Phéophycées, Fucales et Laminariales, dominent largement par leur biomasse les estrans rocheux [2]. On les utilisait autrefois pour en extraire de la soude par brûlage dans des fours ou pour engraisser les champs, sous le nom de varech en Normandie et de goëmon en Bretagne [5]. Elles forment donc les ceintures caractéristiques des étages médiolittoral et infralittoral. Leur taille, ainsi que leur biomasse, s’accroissent au fur et à mesure que l’on descend : 10 cm pour Pelvetia, environ 1 m pour Ascophyllum et Sargassum et jusqu’à 5 m pour Himanthalia et Laminaria hyperborea. Les flotteurs de certaines algues leur permettent de se tenir verticalement à marée haute, vers la lumière, cas d’Ascophyllum et de Fucus vesiculosus.
Le médiolittoral supérieur (environ 70-80 % du temps en émersion) est formé de deux ceintures d’algues qui supportent très bien la dessiccation et peuvent perdre jusqu’à 75% de leur eau sans mourir ; il s’agit de Pelvetia canaliculata (Figure 10A) et Fucus spiralis (Figure 10B) ; ces algues sont absentes en milieu très battu (Figure 6).
Le médiolittoral moyen (environ 50 % du temps en émersion) est caractérisé par Ascophyllum nodosum et Fucus vesiculosus. La première (Figure 11) est très abondante en mode calme où elle forme des tapis épais et est souvent parasitée par une algue rouge, Polysiphonia lanosa. Fucus vesiculosus (Figure 12A) domine en milieu plus battu, mais manque dans les secteurs très battus ou présente une forme spéciale d’accommodation plus étroite, plus coriace et sans flotteurs (Figure 12B).
Enfin, l’essentiel du médiolittoral inférieur (environ 30 à 20 % du temps en émersion) est colonisé par Fucus serratus, toujours sans flotteurs (Figure 13).
La base du médiolittoral inférieur et l’infralittoral supérieur (moins de 10 % du temps en émersion) hébergent les grands thalles de Saccharina latissima (= Laminaria saccharina) (Figure 14A) en milieu calme, de Saccorhiza polyschides (Figure 14B) au stipeFausse tige des algues, qui est dépourvue de vaisseaux conducteurs. aplati et mou, de Himanthalia elongata (Figure 15) ou haricot de mer, comestible, aux très longs axes étroits et dichotomesMode de ramification en deux parties à chaque niveau de croissance. Plus généralement, caractérise la division de quelque chose en deux éléments que l’on oppose nettement., et de Laminaria digitata (Figure 15) au stipe cylindrique lisse et flexible, en milieux plus ou moins battus.
La dernière ceinture, dans l’infralittoral jamais ou très rarement émergé, est constituée de Laminaria hyperborea, au stipe cylindrique raide. La biomasse de ces algues est parfois très importante et on dit qu’elle forme des « forêts sous-marines ». Entre Roscoff, Ouessant et Le Conquet, cette espèce forme, avec l’autre laminaire, le plus grand et le plus riche secteur d’algues d’Europe (la Côte des goémoniers), où a lieu une exploitation semi-industrielle pour l’extraction d’alginates, entre autres.
3. La répartition des autres organismes
3.1. Les algues rouges et vertes
Les autres algues ne forment pas de vraies ceintures, continues ou régulières [2].
Les algues vertes, ou Chlorophycées, sont la plupart du temps opportunistes et se développent rapidement là où il y a peu de concurrence ; elles supportent souvent assez bien le fort ensoleillement, les variations de salinité ou de températures et aussi l’abondance des nitrates d’origine humaine. Parmi elles, les Ulva spp. (Figure16A) ou laitues de mer prolifèrent ainsi à la belle saison sur certains rochers pour s’en détacher ensuite et s’accumuler dans les baies calmes où elles pourrissent et provoquent les marées vertes si décriées (Lire Les nitrates dans l’environnement).
A l’inverse, les algues rouges, ou Rhodophycées, ne supportent pas un éclairement trop fort, ni un dessalement important ; de rouge foncé à presque noires parfois en hiver, elles verdissent durant l’été, car les pigments rouges sont détruits par les UV. C’est pour cette raison que le nombre d’espèces d’algues rouges décroît très rapidement vers le haut, à partir du médiolittoral moyen. Par contre, à partir du médiolittoral inférieur vers le bas, ce sont elles qui forment la majeure partie de la diversité spécifique (plus de la moitié des plus de 500 espèces de macro-algues de la région de Roscoff, [6]). En descendant dans l’infralittoral toujours immergé, ces algues sont avantagées par leur pigment rouge, la phycoérythrine, qui capte les dernières longueurs d’onde lumineuse transmises par l’eau de mer [7].
Leur diversité morphologique, biologique et écologique des Rhodophycées est très forte, mais elles ne dépassent que très rarement 30 cm de long – exemple de Palmaria palmata (Figure 14B) -, tout en produisant une biomasse moyenne à faible. Sur les blocs rocheux de la ceinture à Fucus serratus, on peut observer de grandes taches de Chondrus crispus (Figure 16B) et de Mastocarpus stellatus, d’allures proches ; ces algues, nommées liken ou pioka en breton, sont récoltées à la main pour en extraire les carraghénates, gélifiants industriels importants.
Dans le médiolittoral moyen à inférieur très battu et sans algues brunes, on peut observer, durant l’été seulement et de façon dispersée, les petites outres bleu-vert d’une cyanobactérie nommée Rivularia bullata ou les axes mous, rougeâtres et peu ramifiés, de Nemalion helminthoides.
3.2. Les cuvettes rocheuses hors zonation
Les cuvettes rocheuses, toujours remplies d’eau, perturbent la zonation en ceintures de l’estran ; elles offrent en effet un biotope favorable à diverses espèces qui ne supportent pas la déshydratation due à l’exondation [1],[2]. Leur niveau sur l’estran, leur taille, leur profondeur et leur ensoleillement vont conditionner leurs peuplements. Les cuvettes des hauts niveaux, qui se dessalent, se réchauffent ou perdent leur oxygène rapidement, sont pauvres en espèces, avec surtout des algues vertes (Figure 17A). Celles situées en dessous du niveau de la mi-marée hébergent divers animaux : anémones de mer, crevettes, gastéropodes, petits poissons, ainsi que diverses algues vivant normalement plus bas et en dehors des cuvettes. La Figure 17B montre ainsi l’algue brune Bifurcaria bifurcata (15 cm de long) et diverses algues rouges calcifiées de la famille des Corallinacées ; ces dernières ne sortent pas du fond de la cuvette et évitent ainsi la déshydratation.
3.3. L’étagement et les adaptations de la faune fixée ou peu mobile [1]
Les gastéropodes du groupe des littorines s’étalent ainsi (Figure 18) : Melaraphe neritoides dans le supralittoral, Littorina nigrolineata et L. rudis dans le médiolittoral supérieur et Littorina littoralis et L. littorea (ou bigorneau) du médiolittoral moyen à l’infralittoral supérieur ; la première littorine, rarement immergée, possède une physiologie respiratoire et excrétoire proche des escargots terrestres. Les diverses patelles et gibbules, autres gastéropodes, sont également étagées. De plus, Nucella lapillus, ou nucelle, présente une coquille plus épaisse en mode battu qu’en mode calme.
Dans le groupe des crustacés, les balanes sont fixées au rocher et protégées par de solides plaques calcaires ; elles forment aussi des ceintures plus ou moins régulières : Elminius modestus et Chthamalus stellatus (Figure 6) en haut, Balanus balanoides au milieu et Balanus perforatus et B. crenatus dans les plus bas niveaux.
Pour éviter d’être emportés par les vagues, les animaux sont collés au rocher ou aux algues de façon permanente (Figures 5, 6 et 19), fixées de façon plus ou moins temporaire par des filaments pour les moules et un pied-ventouse pour les patelles ou encore coincés dans les fissures aux moments difficiles (Figure 18A). Sauf exceptions, l’essentiel de l’activité biologique des animaux se déroule pendant l’immersion ou quand le milieu reste humide ; à marée basse, ils vivent au ralenti, en fermant leur opercule ou en se plaquant sur la roche, cas des gastéropodes.
4. Des chaînes alimentaires variées
Les ceintures végétales et animales des côtes rocheuses forment diverses communautés juxtaposées et en interrelation ; on y observe diverses chaînes alimentaires fonctionnant en réseau trophique intégré. A leur base, on trouve les producteurs primaires que sont les macroalgues fixées, les microalgues collées aux rochers et aussi les microalgues du plancton apporté par le flux marin.
Les producteurs secondaires animaux sont de types très variés :
- les gastéropodes, patelles et littorines (Figures 6 et 18), et les oursins sont des brouteurs d’algues fixées, petites ou grandes ; les éponges, moules, balanes (Figure 6), bryozoaires (Figure 19A), ascidies (Figure 5) et certains vers sont des filtreurs de plancton et de débris organiques ;
- de nombreux prédateurs, anémones et hydraires (figure 19B), crustacés et poissons, attrapent des proies mobiles. La nucelle perce les balanes et les mollusques fixés. D’autres gastéropodes broutent les animaux fixés sur les rochers ou ceux collés aux algues ;
- enfin, nombre de crustacés, tels les crabes, sont nécrophages ou détritivores (mangeurs de cadavres ou de détritus organiques variés).
Pour conclure, il faut signaler que la remontée attendue du niveau marin pourrait modifier à la fois les côtes par érosion et impacter la zonation présentée ici en provoquant la raréfaction de certains organismes. De plus, de nombreuses algues ou animaux ont envahi les côtes européennes depuis un siècle, à la faveur des échanges de naissain d’huîtres ou de la navigation mondialisée. On peut citer la grande algue brune Sargassum muticum (Figure 20), arrivée du Japon à la fin des années 1970 ; elle colonise à la fois les cuvettes et chenaux rocheux calmes, où elle a pu s’intercaler dans les ceintures existantes sans poser de problèmes, et les secteurs sablo-vaseux où elle se fixe sur les petits cailloux ou les piquets des parcs à huîtres, en causant plus de problèmes.
Références et notes
Photo de couverture : Une côte rocheuse bretonne soumise aux vagues à marée basse. [Source : © J. Joyard]. Sauf indication contraire, les photos de cet article sont d’Olivier ou Céline Manneville.
[1] Turquier Y. & Loir M. (1981) Connaître et reconnaître la faune du littoral. OUEST-FRANCE, 330 p.
[2] Cabioc’h J., Floc’h J.-Y., Le Toquin A., Boudouresque C.-F., Meinesz A.&Verlaque M. (2006) Guide des algues des mers d’Europe. DELACHAUX-NIESTLE, 272 p.
[3] Connell J.H. (1961) The influence of interspecific competition and other factors on the distribution of the barnacle Chthamalus stellatus, Ecology, 42, 710-723.
[4] Asta J., Van Haluwyn C.& Bertrand M. (2016) Guide des Lichens de France – Lichens des roches. BELIN, 384 p.
[5] Arzel P. (1987) Les goémoniers. Le Chasse-Marée, 305p.
[6] http://www.sb-roscoff.fr/INVENTAIRES/InvAlgues/index.algues.php?
[7] Selosse M.A. (2000) Les algues de la zone intertidale et leur zonation : des idées reçues aux données écologiques. Biologie-Géologie, Bulletin de l’APBG, 2000/4, p.773-801.
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Pour citer cet article : MANNEVILLE Olivier (24 mars 2018), Biodiversité sur les côtes rocheuses : zonation et relations écologiques, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 3 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/biodiversite-sur-les-cotes-rocheuses-zonation-et-relations-ecologiques/.
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