Le rôle clé des alizés
PDFLa météorologie des régions tropicales, marquée par les vents alizés et leurs effets, est particulièrement capricieuse. Au voisinage du sol ou de la mer, l’allègement de l’air surchauffé dans cette région qui voit le Soleil au zénith aspire les vents alizés en provenance du nord, de l’est et du sud. Ceux-ci convergent, s’élèvent dans un fort courant ascendant et engendrent le courant d’est équatorial. En altitude, le mouvement ascendant diverge à nouveau, vers le nord ou vers le sud, tout en se recourbant vers l’est, avant de plonger vers le sol à des latitudes de ±30°, formant ainsi les cellules de Hadley. Cette zone de convergence est soumise à de fortes variations provoquées par les saisons, par l’alternance entre les océans et les continents, ainsi que par l’alternance entre le jour et la nuit. Ces perturbations conduisent à des déplacements saisonniers de cette zone de convergence vers le nord et vers le sud, ainsi qu’à une succession de fronts chauds et froids qui donnent lieu à des précipitations intenses, souvent associées à de violents orages.
1. La zone de convergence intertropicale
Plaçons nous en période d’équinoxe. Dans la région équatoriale qui voit le Soleil au zénith, au-dessus des épaisses forêts locales, qui absorbent bien le rayonnement solaire, l’air ainsi surchauffé est fortement allégé s’élève vers le haut de la troposphère (L’atmosphère et l’enveloppe gazeuse de la Terre). Aspiré par la dépression qui résulte de cette ascendance, l’air situé au nord est entraîné vers le centre de cette région et la force de Coriolis[1] courbe sa trajectoire vers la droite, donc vers l’ouest. De même, l’air situé au sud s’oriente vers la zone d’ascendance et la force de Coriolis courbe sa trajectoire vers la gauche, donc encore vers l’ouest (Figure 1). Quant à l’air situé à l’est, déjà surchauffé, soulevé et mis en mouvement vers l’ouest au cours des heures précédentes, lorsqu’il voyait le Soleil au zénith, il participe aussi à ce vent d’est. Ce soulèvement et cette aspiration affectent donc l’ensemble des masses d’air situées autour de la région la mieux chauffée, laquelle est très large puisque le diamètre du cercle qui reçoit 90% du rayonnement solaire est voisin de 5000 km. Cette région surchauffée suit le mouvement apparent du Soleil et se déplace donc vers l’ouest avec une vitesse par rapport au sol de l’ordre de 1600 km/h (un tour du cercle équatorial, soit 40 000 km, en 24 heures). En conséquence, l’air situé à l’ouest est absorbé dans l’ascendance générale avant d’avoir pu se mettre en mouvement. On notera bien qu’aucune matière ne se déplace à la très grande vitesse de 1600 km/h, qui ne représente que le déplacement du Soleil par rapport à un observateur fixe sur le sol.
Asservie à la position du Soleil, la zone de convergence des alizés se décale vers le nord pendant l’été, jusqu’au tropique du Cancer situé à une latitude de +23°26’. Et pendant l’hiver, cette zone subit le déplacement symétrique vers le tropique du Capricorne au sud (-23°26’). La force de Coriolis, elle, demeure dirigée vers la droite dans l’hémisphère nord et vers la gauche dans l’hémisphère sud. Puisque la zone de convergence se meut vers l’un des tropiques, la symétrie de la zone de convergence par rapport à l’équateur, présente pendant les équinoxes, s’affaiblit progressivement au cours du printemps et de l’automne, puis disparaît pendant les solstices. Comme le montre la figure 2, les composantes des vents le long des parallèles deviennent alors partiellement antagonistes. En conséquence, la vitesse du courant d’est équatorial est beaucoup plus faible pendant les solstices que pendant les équinoxes.
L’ascendance des vents alizés s’accompagne nécessairement de pluies abondantes, engendrées par la condensation de l’eau dans l’air qui s’est chargé d’humidité lors de son passage au-dessus des océans. Par ailleurs, cette région intertropicale est particulièrement bien éclairée et chauffée par l’ensoleillement, de sorte que la photosynthèse (lien vers « La photosynthèse ») y est très active. C’est la raison pour laquelle la région intertropicale est recouverte d’une végétation luxuriante et d’épaisses forêts.
2. Le pays des alizés, zone de grande instabilité
En été, le déplacement vers le nord de la zone de convergence est plus important sur les continents (Amérique du nord, Afrique du nord et Asie) parce que ceux-ci connaissent des températures plus élevées que les océans (Figure 3). Pour la même raison, en hiver son déplacement vers le sud est amplifié au-dessus de l’Amérique du sud, de l’Afrique subsaharienne et en direction de l’Australie. Ceci engendre les allures sinusoïdales du courant d’est équatorial que montre la figure 3 (zones respectivement rouge et bleue). Cette différence de température entre les continents et les océans tient à deux mécanismes principaux. Le premier provient du fait qu’ils n’absorbent pas l’ensoleillement de façon identique. Les océans réfléchissent dans l’atmosphère une très grande fraction du rayonnement solaire incident : de 40% à 60%. Ce faisant, ils participent grandement à l’albédo[2], c’est à dire à la réflexion vers l’espace d’une fraction, globalement de l’ordre de 30%, du rayonnement solaire qui atteint le globe terrestre. Par contre, les terres des régions tropicales verdoyantes participent nettement moins à l’albédo : entre 10% et 20% pour les forêts. A titre de comparaison, on notera que les sables des déserts réfléchissent entre 30% et 50% du rayonnement solaire.
Le second mécanisme qui explique la différence de température entre océans et continents est dû au bon mélange des eaux de surface dans les premiers. Leur mouvement d’ensemble dans la grande circulation thermohaline, leurs déplacements périodiques avec les marées et l’agitation très aléatoire due à la houle et à la turbulence ont pour conséquence une tendance à homogénéiser leur température en transportant une grande partie de la chaleur emmagasinée vers les régions situées plus au nord ou plus au sud. Au contraire, sur les continents, seul l’air peut assurer un tel transport de chaleur par convection (c’est à dire en transportant la chaleur avec cette matière gazeuse). Mais son efficacité est considérablement plus faible, parce qu’il est environ 800 fois plus léger que l’eau de mer et que sa capacité calorifique est 4 fois plus faible. Chacun peut vérifier cette propriété dans sa cuisine en cherchant à refroidir un plat trop chaud en l’arrosant ou en soufflant dessus. En revanche, les vents sont les agents efficaces du transport de l’eau dans l’air, soit sous forme de vapeur invisible, soit sous forme de brumes et de nuages. C’est l’évaporation au-dessus des océans qui amène l’humidité dans l’air, au point d’atteindre la saturation. Cette charge en eau sous forme de vapeur n’est plus supportable lors d’une baisse de pression ou d’un refroidissement. Alors une condensation, c’est à dire un passage de la forme vapeur à la forme liquide, conduit à la formation de brouillards, de nuages et, éventuellement, de précipitations et d’orages.
3. Météorologie capricieuse des régions tropicales
La formation de cellules convectives instables et très intermittentes est l’une des caractéristiques spécifiques de la zone de convergence intertropicale[3], souvent désignée par le sigle anglais ITCZ pour Inter Tropical Convergence Zone. Elle résulte d’une combinaison de plusieurs mécanismes. En premier lieu, la présence d’air chauffé à partir du sol, au-dessous de masses plus froides et plus lourdes apportées par les alizés, constitue une configuration instable. Celle-ci engendre une convection structurée en cellules dont les dimensions horizontales sont très variables et dont l’altitude maximale peut atteindre la limite de la troposphère. Cette organisation conduit à une succession de fronts chauds et de fronts froids. Les fronts froids constituent les frontières des masses d’air les plus froides et les plus lourdes, qui forcent les masses d’air plus chaud et plus léger à passer au-dessus d’elles. Ce soulèvement s’accompagne systématiquement d’un refroidissement et d’une détente. Le résultat est une condensation rapide, qui conduit à la formation de nuages bien caractéristiques, les cumulonimbus reconnaissables par leur sommet en enclume, ainsi qu’à des pluies quelques fois très abondantes, accompagnées de violents orages comme celui qui a provoqué le tragique accident du vol Rio-Paris le 1er juin 2009 (Les orages).
La violence de ces instabilités convectives tient souvent à des mécanismes annexes, dont les effets s’ajoutent à ceux décrits au paragraphe précédent et contribuent à donner à la météorologie des régions tropicales ses caractéristiques particulières. Tout d’abord, la dépression équatoriale de la zone de convergence est asservie au mouvement apparent du Soleil. Ceci ajoute à ses déplacements saisonniers et à ses instabilités convectives une oscillation diurne avec un maximum dépressionnaire vers midi et un minimum nocturne. Par ailleurs, l’hémisphère sud porteur de l’énorme masse des glaciers du continent antarctique est plus froid que l’hémisphère nord porteur d’une grande superficie de terres émergées qui absorbent bien le rayonnement solaire. Cette dissymétrie thermique décale la zone de convergence vers le nord en toute saison, comme on peut le voir sur la figure 3. Enfin, les régions tempérées situées au nord et au sud de la zone de convergence sont porteuses de ceintures d’anticyclones très calmes, séparés par des dépressions. Ces dépressions, où l’air tourne dans le sens cyclonique (sens inverse des aiguilles d’une montre et sens de rotation de la Terre autour de son axe) en raison de la force de Coriolis, se prolongent par de longs bras en spirales, dont certains peuvent atteindre les régions tropicales.
Dans les deux hémisphères, des masses d’air froid en provenance des latitudes tempérées peuvent alors être amenées à passer entre les anticyclones et à aboutir dans les régions tropicales, où elles renforcent les fronts froids et les soulèvements d’air chaud. Leur influence est caractérisée par l’orientation nord-sud de lignes de grains, le long desquelles se développent des averses abondantes et bien localisées (Figure 4).
En conclusion, la zone de convergence intertropicale (ITCZ) engendrée par les alizés possède des caractéristiques bien spécifiques. Elle peut être considérée comme le déclencheur principal de la circulation atmosphérique, d’abord dans la cellule de Hadley et, par suite, dans toute la troposphère (La circulation atmosphérique). Elle est marquée par la violence des orages tropicaux (Les Orages) qui a donné lieu à l’expression pot-au-noir, introduite par la marine à voile du 19ème siècle pour désigner cette zone dangereuse. Cette expression est encore utilisée aujourd’hui par les équipages des vols transatlantiques allant d’un hémisphère à l’autre, et par ceux des grands voiliers engagés dans les courses autour du globe.
Références et notes
[1] Gaspard Gustave Coriolis, Théorie mathématique des effets du jeu de billard, Carilian-Goeury, 1835
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Albédo
[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Intertropical_Convergence_Zone
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Pour citer cet article : MOREAU René (18 janvier 2019), Le rôle clé des alizés, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/au-pays-des-alizes/.
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