Buée et rosée
PDFTout le monde sait ou a fait l’expérience de la rosée, lorsque le sol et les plantes sont mouillés au matin d’une nuit claire et calme ou lorsque l’eau coule sur les murs et les fenêtres des cuisines et des salles de bain. Mais d’où vient la rosée ? Son origine a longtemps été un mystère. Des alchimistes aux scientifiques, de nombreux savants ont élaboré des théories plus ou moins rigoureuses. Ce n’est qu’au milieu du XXe siècle qu’une interprétation globale de la rosée a été élaborée. La rosée est bénéfique pour les plantes et les animaux, mais l’homme peut-il l’utiliser comme une nouvelle source d’eau ? Comment récolter la rosée ? Quelles sont les qualités chimiques et biologiques de la rosée ? Est-elle potable ? Toutes ces questions trouvent une réponse dans cet article.
1. La rosée : une longue histoire de mystères
Tout le monde sait ce qu’est la rosée. Mais d’où vient la rosée ?
La rosée naturelle est un phénomène omniprésent, déjà mentionné dans la littérature la plus ancienne. Par exemple, dans la bible hébraïque (Ecclésiaste 1:2), les célèbres mots « Tout est vanité » correspondent en fait, en hébreu, au mot rosée, soulignant la beauté et l’éclat de la rosée mais aussi son caractère éphémère. Dans la culture japonaise, de nombreux haïkus ont été écrits sur la rosée. Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux exemples de rosée utilisés dans l’art et la littérature.
Contrairement à la rosée naturelle, qui se forme essentiellement à l’extérieur, il existe une autre rosée, que l’on appelle buée, et que l’on trouve sur les parois froides des grottes et dans les pièces humides, comme les cuisines, les salles de bains et les buanderies. La différence vient de l’origine du refroidissement: la rosée naturelle provient d’un échange radiatif avec le ciel froid et n’est efficace qu’à l’extérieur alors que l’autre « rosée » procède d’un refroidissement par contact. Il s’agit de la même « rosée » que les « figures de souffle » qui se forment sur un verre lorsque l’on respire dessus.
Les hommes ont en effet été longtemps fascinés par la rosée. Ils ne comprenaient pas comment l’eau pouvait recouvrir le sol et les plantes la nuit alors que le ciel était dégagé. Une étape importante a été franchie avec Leroy (1751) [1] qui a compris que l’eau peut se dissoudre dans l’air comme le sucre dans l’eau, la dissolution étant d’autant plus importante que la température est élevée. Le refroidissement de l’air chaud et humide conduit ainsi inévitablement à l’extraction d’eau liquide, précisément à la température du point de rosée. Wells (1866) [2] a réalisé la première étude complète de la condensation de la rosée mais n’a pas expliqué la raison du refroidissement nocturne. Ce dernier processus a été mis en évidence par Jamin (1879) [3] avec le refroidissement radiatif. Ce n’est que bien plus tard que Monteith (1957) [4] a formalisé la formation de la rosée en utilisant un bilan énergétique complet.
1.1. La rosée, nouvelle source d’eau ?
L’eau de rosée a longtemps été négligée comme source d’eau supplémentaire. Elle peut pourtant s’avérer une source d’eau fraîche et pure pour les plantes, les animaux et les humains. L’eau de rosée est en effet bue par de nombreux petits animaux et insectes, surtout dans les régions arides et semi-arides (mais pas seulement, il existe de nombreux exemples d’animaux, comme les chats et les chiens, qui boivent dans nos pays de l’eau de rosée). On dit que la survie des chevaux en Namibie, abandonnés après la Première Guerre mondiale, est due au fait qu’ils pouvaient laper la rosée sur les voies ferrées.
La première utilisation humaine documentée de l’eau de rosée est sans doute la collecte de rosée par les alchimistes, notée dans le livre Mutus Liber (1677) [5], appelé le « Livre muet » parce qu’il est composé uniquement de dessins. Dans la figure 1, la rosée est collectée la nuit (notée par la lune) sur des feuilles horizontales tendues sur des bâtons. L’eau est ensuite récupérée en pressant les feuilles sur une bassine. Les tentatives suivantes documentées concernent des condenseurs de rosée massifs, travaillant sur l’inertie de température, correspondant à une collecte de buée. De tels condenseurs sont décrits ci-dessous dans la section 2.3.
Les condenseurs radiatifs ont fait l’objet de plusieurs études depuis les essais de condenseurs massifs. De nombreux domaines de la science et de la technologie sont en effet concernés par le processus de condensation et de collecte de buée et de rosée, permettant d’expérimenter de nombreuses idées d’amélioration : optique et physique atmosphérique, échanges thermiques radiatifs, conductifs et convectifs, hydrodynamique, chimie, biologie. De simples condenseurs plans de grande taille ont été érigés (figures 2a), des usines de rosée plus sophistiquées, constituées de sillons en « V » (figure 2b), ont été construites. De nombreux autres types de condenseurs de rosée radiatifs (de forme conique, en origami, etc.) ont été conçus pour augmenter le refroidissement et la collecte des gouttes de rosée. Ils sont présentés dans le livre Dew Water (2018) [6].
L’intérêt de ces condenseurs radiatifs est leur simplicité, leur rentabilité, leur robustesse (ils peuvent encore fonctionner même s’ils sont partiellement endommagés), et le fait qu’aucune énergie n’est nécessaire. Le procédé est durable, propre, et donne une eau de bonne qualité. Le rendement est toutefois limité à l’énergie disponible, de l’ordre de 60 W.m-2, ce qui limite le rendement en eau à environ 1 L.m-2. Cependant, le rendement réel est souvent beaucoup plus important car les technologies utilisées permettent de récupérer les faibles précipitations, habituellement perdues.
1.2. La rosée sur les plantes
La condensation de la rosée sur les plantes peut apporter de l’humidité et aider à lutter contre les périodes de sécheresse. Les plantes peuvent absorber de l’eau par leurs feuilles pour compenser l’épuisement des nappes phréatiques et survivre à la sécheresse. Des scénarii plus complexes peuvent cependant aider les plantes. Par exemple, la croûte biologique du sol (Lire : Les lichens, des organismes pionniers surprenants) peut retenir et utiliser l’eau de la rosée pour augmenter la concentration d’azote organique dissous, associée à la fixation de l’azote atmosphérique par les cyanobactéries et les cyanolichens. La rosée peut également prolonger la vie des semis dans des conditions de stress dues à la sécheresse.
D’autre part, la rosée, en plus d’une humidité relative élevée, peut influencer l’apparition de maladies végétales, l’humidité sur les surfaces des plantes favorisant le développement de germes pathogènes et augmentant la fréquence des maladies dans de nombreuses cultures. Les maladies cryptogamiques sont observées sur les feuilles d’herbe, de banane et de pomme de terre. Cependant, le développement de ces champignons peut parfois être bénéfique. C’est le cas pour l’élaboration de certains vins doux. Par exemple, la fameuse » pourriture noble » du vignoble de Sauternes est connue pour provenir de l’action du champignon Botrytis Cinerea.
2. Comment recueillir la rosée ?
2.1. Le rendement en rosée
D’après les sections précédentes, la surface de collecte doit atteindre le point de rosée pour déclencher la condensation. La surface sera donc inférieure à la température de l’air et des pertes de chaleur, augmentées par le vent, seront présentes. On peut écrire un bilan énergétique où, en régime permanent, la puissance de refroidissement radiatif R (en W. m-2) (voir Le refroidissement vient du ciel) contrebalance le réchauffement par les pertes d’air, proportionnelles à la différence entre la température de l’air, Ta, et la température du point de rosée, Td, et le réchauffement par le dégagement de chaleur latente (Lire : Pression, température et chaleur), tel que
Ici S (en m2) est la surface de condensation et a (en W.m-2.K-1) est le coefficient de transfert de chaleur [7], qui augmente avec la vitesse du vent. La masse condensée est m (kg), liée au volume condensé V (m3) par la masse volumique de l’eau r (kg.m3) par m = rV. Le temps est noté t (en s). La quantité L est la chaleur latente (en J.kg-1). On peut facilement en déduire le volume d’eau condensée par unité de surface, classiquement exprimé en litres par mètre carré, ou mm. Pour le cas idéal où l’atmosphère présente une humidité relative importante , donnant Ta ∼ Td, le rendement maximal, uniquement limité par la puissance disponible (voir la figure 1 du Focus Le refroidissement vient du ciel pour sa valeur en fonction de la température et de l’humidité de l’air) est de l’ordre de 1 mm par nuit.
2.2. Les collecteurs radiatifs de rosée
Le plus ancien condenseur de rosée mentionné à notre connaissance est rapporté dans le Livre muet » pour Alchimistes (Mutus liber, 1677 [5]) où des draps sont fixés horizontalement à des bâtons et ensuite essorés à la main (Figure 1). Dans les collecteurs de rosée, il faut considérer deux processus, la condensation de la rosée et la collecte des gouttes. Les deux processus sont importants. Selon la section précédente, le rendement de la rosée augmente avec la puissance radiative et diminue avec la vitesse du vent. Dans le Focus 1, des détails sur le refroidissement radiatif sont donnés. Il est démontré que la puissance de refroidissement est proportionnelle à l’émissivité (égale à l’absorptivité) de la surface de condensation – la capacité d’un matériau à émettre et absorber la lumière – et à la différence de l’émissivité de l’atmosphère avec 1. Il en ressort que, dans des conditions données d’émissivité de l’atmosphère et de vitesse du vent, le rendement de la rosée peut être amélioré en (i) diminuant l’émissivité de l’atmosphère, (ii) augmentant l’émissivité de la surface de condensation, (iii) diminuant l’échange de chaleur avec l’air environnant et (iv) augmentant l’efficacité de la collecte des gouttes de rosée.
On peut réduire l’émissivité de l’atmosphère (point (i)) en envisageant une conception du condenseur qui utilise uniquement l’angle zénithal de l’atmosphère, où l’émissivité de l’atmosphère est la plus faible (voir la figure 2 de Focus 1). L’émissivité de la surface (point (ii)), si elle n’est pas trop faible, est celle de l’eau et ne peut être modifiée. Cependant, le fait d’avoir un substrat de faible émissivité et donc d’absorptivité uniquement pour le spectre de rayonnement solaire permet un meilleur refroidissement du condenseur en fin de journée et le matin, rendant plus longue la durée de condensation de la rosée.
Le point (iii) concernant les pertes de chaleur peut être satisfait en utilisant des formes creuses qui réduisent l’influence du vent. Une bonne isolation thermique doit également être réalisée sous la surface de condensation pour réduire les pertes de chaleur avec l’air. Les pertes de chaleur peuvent être réduites en utilisant des structures creuses symétriques ou quasi symétriques (sillons, origamis, boîtes à œufs, pyramides inversées, cônes creux, voir figure 3). Les sillons agissent comme des formes creuses, sauf lorsque le vent est aligné avec les rangs (Sharan et al., 2017 [8], voir figure 2b). Cependant, les formes planes simples, comme celles rencontrées avec les toits, peuvent donner de bons résultats si elles sont correctement conçues (voir les figures 3 et 4).
Concernant la collecte des gouttes, le point (iv), récolter passivement par gravité les faibles événements de rosée sans raclage est en effet un défi majeur. Il existe une contradiction fondamentale entre le fait d’avoir une surface orientée vers le zénith et le fait d’avoir un angle d’inclinaison maximal de la surface pour faciliter le glissement des gouttes par gravité. Il a été démontré [9] qu’un angle d’inclinaison de la surface compris entre 20° et 30° donne les meilleurs résultats.
De nombreux matériaux ont été essayés pour recueillir les gouttes par gravité. Une première solution consiste à augmenter l’effet d’essuyage naturel des gouttes des bords qui, en glissant plus tôt, balaient les autres gouttes. Une augmentation du rendement de la rosée jusqu’à 400 % a été observée avec des formes d’origami [10]. L’augmentation de la longueur des bords a, cependant, une limite car elle peut aussi augmenter l’échange de chaleur. Une autre solution consiste à augmenter localement l’angle avec l’horizontale, comme c’est le cas par exemple avec les toits en acier ondulé (figure 4). Les propriétés de mouillage de la surface sont également importantes. Par exemple, les additifs donnent de meilleures propriétés de glissement (et d’émissivité) aux peintures, comme le montre la figure 4. L’augmentation de la rugosité par sablage donne également de bons résultats car le nombre de sites de nucléation [11] est augmenté. On constate que les surfaces micro-rainurées améliorent considérablement la collecte des gouttes. Il existe une littérature très abondante sur le sujet car l’amélioration du glissement des gouttes augmente également le rendement des échangeurs thermiques par un facteur important. Cependant, bien que plusieurs solutions existent en laboratoire pour améliorer la collecte des gouttes, comme par exemple l’effet « Lotus », où l’accrochage des gouttes sur la surface étant très faible (Lire : Entre protection et défense : la cuticule végétale), elles roulent facilement vers le bas, le principal défi reste le vieillissement des matériaux. Il est très difficile de conserver de bonnes propriétés de glissement au cours de nombreux cycles de fonctionnement, en particulier dans des conditions extérieures. Les peintures avec additifs ont montré qu’elles pouvaient durer au moins 10 ans. Les feuilles de polyéthylène basse densité avec un additif anti-UV peuvent durer de 3 à 4 ans. Le sablage et les rainures, bien qu’ils n’aient pas encore été systématiquement testés en extérieur, semblent être une bonne solution pour durer longtemps.
2.3. Collecteurs de rosée massifs
Les condenseurs massifs fonctionnent par inertie thermique, refroidis en dessous de la température du point de rosée pendant la période la plus froide de l’année. L’ingénieur russe Zibold croyait – à tort, voir Nikolayev et al. (1996) [13] – que l’eau de rosée était une source importante d’eau utilisée par les Grecs anciens pour alimenter les 101 fontaines de Feodosia (Crimée, Ukraine). Zibold, cependant, a confondu les nombreux tas de pierres sur la colline au-dessus de la ville avec des condenseurs de rosée. Il a construit en 1914 (Figures 5ab ; Mylymuk-Melnytchouk et Beysens, 2016 [14]) un condenseur de rosée massif basé sur ces tas de pierres : un cône tronqué fait de galets marins avec un creux au sommet. Le très faible rendement en eau était censé être dû à la fissuration de la base du condenseur. Le projet s’arrête définitivement avec la révolution bolchévique de 1917. Des fouilles archéologiques sur le Mont Tepe-Oba au-dessus de Feodosia ont prouvé plus tard que ces amas de rochers étaient des tombes Scythes ou Grecques, protégées par des rochers (Nikolayev et al. 1996 [13]) contre les pilleurs de tombes, le creux au sommet correspondant aux traces des efforts infructueux des pilleurs
Les scientifiques soviétiques [14], tout comme leurs homologues belge (Knapen [17]) et français (Chaptal [18]), qui avaient entendu parler du condenseur de Zibold, se sont à nouveau intéressés à la collecte de l’eau de rosée par cette technique de condenseurs massifs. Cependant, bien que Knapen ait construit un condenseur assez sophistiqué (Figure 5c), les rendements se sont toujours révélés très faibles car l’inertie portait sur des durées de jours ou de semaines, et non de saisons. Des rendements aussi faibles reflètent simplement le fait que la température moyenne des condenseurs massifs ne descend que rarement en dessous de la température du point de rosée de l’air. Chaptal a d’ailleurs déconstruit sa pyramide de condensation pour « ne pas induire en erreur les générations futures ». Bien que décevants, les rendements des condenseurs massifs pourraient cependant être améliorés en réalisant de nouvelles études prenant par exemple en compte la température du sous-sol, comme pour les puits canadiens où l’inertie donne des temps de condensation beaucoup plus longs, et en utilisant des technologies plus sophistiquées (Figure 5d).
2.4. Collecteurs de rosée actifs
Le refroidissement peut également être assuré par un dispositif actif similaire à ceux utilisés dans les réfrigérateurs. L’énergie, le plus souvent électrique, doit être fournie. Des systèmes commerciaux existent (voir par exemple www.candew.ca), le rendement est de l’ordre de 0,5 -1 kWh/L selon les conditions atmosphériques. Ils restent cependant assez chers.
3. Peut-on boire l’eau de rosée ? Qualité chimique et biologique
L’eau de rosée est le résultat de la condensation de la vapeur d’eau. On pourrait penser qu’elle est aussi pure que l’eau distillée. Cependant, la rosée se forme sur un substrat à l’extérieur. Les interactions rosée-atmosphère et rosée-substrat vont alors donner à l’eau de rosée ses propriétés chimiques et biologiques spécifiques.
3.1. Composition chimique
La rosée peut interagir avec son substrat en le dissolvant partiellement (par exemple, quand le substrat est en zinc [19]). La rosée interagit également avec l’atmosphère. Cette dernière est caractérisée par des gaz, qui peuvent être absorbés par l’eau, et des aérosols, qui se déposent sur le substrat, agissant comme des sites de nucléation [11] pour la condensation de la rosée et réagissant avec l’eau condensée. Trois étapes régissent ensuite la composition chimique de la rosée : (i) la formation de rosée sur les solides déposés, (ii) la dissolution de la partie soluble de ces dépôts par l’eau de rosée, et (iii) l’absorption des gaz dans la solution de rosée.
Le dioxyde de carbone joue un rôle particulier dans la formation de l’acidité en phase liquide en raison de sa concentration élevée et constante. Une voie importante dans la formation de l’alcalinité (carbonate) passe par les noyaux de condensation (nucléation [11] et formation de gouttelettes) ainsi que par le piégeage des aérosols. La capacité à capturer les particules, par exemple le CaCO3 des bâtiments ou les particules de carbone des voitures diesel, est très importante pour la composition chimique de la rosée et est forte au début du processus de condensation et affaiblie à la fin. L’acidité du CO2, SO2 et NOx (x = 1, 2) dissous est principalement neutralisée par Mg2+, Ca2+ et NH4+ ; parfois, un léger caractère alcalin est observé dans les échantillons de rosée. Les événements de rosée avec la concentration ionique la plus élevée se produisent après de longues périodes sans pluie. Il faut noter que les concentrations élevées dans l’eau de rosée de SO2 (donnant de l’acide sulfurique), NO (acide nitreux) et NO2 (acide nitrique) sont principalement d’origine anthropique, c’est-à-dire provenant de la pollution atmosphérique par les activités humaines (industrie, agriculture, transport).
L’absorption des gaz très solubles par l’eau atmosphérique est très rapide. Elle ne sera donc pas affectée par le court délai de formation de la rosée. En équilibre avec le CO2 atmosphérique, la concentration en HCO3– est une fonction exponentielle de la valeur du pH. Lorsque le pH des solutions est supérieur à 6,35 (pKa1 de H2CO3), la concentration [HCO3–] peut devenir importante. Mais les composants du système multiphasique atmosphérique ne sont très probablement pas en équilibre avec le CO2 atmosphérique en raison de compositions chimiques complexes, de processus microphysiques et d’interactions hétérogènes. La concentration de [HCO3–] ne peut alors être obtenue que par estimation analytique et non par dérivation de la loi de Henry [20].
La composition de l’eau de rosée est donc fonction à la fois de l’atmosphère convectée sur de longues distances et des gaz et aérosols produits localement. La source des espèces anthropiques et naturelles peut être trouvée par différentes techniques, y compris la trajectoire des masses d’air et les analyses d’isotopes stables. En général, les pollutions urbaines régionales ont une influence significative sur la chimie de l’eau de rosée. Dans le tableau 1, la composition moyenne de la rosée et celle d’une eau de source faiblement minéralisée (Mt Roucous) sont présentées à titre de comparaison ; elles se comparent relativement bien.
Tableau 1. Composition chimique de la rosée mesurée à Bordeaux (moyenne annuelle, d’après Beysens et al., 2006 [21]). Elle se compare bien avec l’eau de source du Mont Roucous, qui présente une faible concentration en solides dissous.
Mesure | Rosée | Mt Roucous |
pH | 5.88 | 6.0 |
Conductivité
(µS/cm) |
29 (25°C) | 25 (20°C) |
Na+, mg/l | 2.85 | 2.80 |
K+, mg/l | 0.25 | 0.40 |
Ca++, mg/l | 0.35 | 1.20 |
Mg++, mg/l | 0.35 | 0.20 |
Cl-, mg/l | 4.8 | 3.20 |
SO4–, mg/l | 2.5 | 3.30 |
NO3-, mg/l | 0.5 | 2.30 |
NO2-, mg/l | <0.01 | |
Résidu sec
(180°C), mg/l |
10.3 | 19.0 |
3.2. Caractéristiques biologiques
La contamination biologique des substrats provient des dépôts ou déjections d’insectes, d’oiseaux et de petits mammifères, de la décomposition des débris organiques et des dépôts atmosphériques de micro-organismes en suspension, ainsi que de la contamination humaine. La contamination est généralement inévitable car les condenseurs de rosée sont placés dans un environnement ouvert. Les effets biologiques associés à la rosée sont de nature différente selon que le substrat est vivant, comme les plantes, ou inerte.
La qualité biologique de l’eau de rosée recueillie sur des substrats inertes dépend de l’innocuité ou non pour l’homme des micro-organismes déposés sur le substrat. Les analyses portent généralement sur (i) les bactéries aérobies mesurées en unités formant colonies [22] à 22 °C et (ii) à 36 °C. Le premier groupe (i) correspond généralement à des micro-organismes inoffensifs, végétaux, provenant de l’environnement. Le deuxième groupe (ii) est apporté principalement par les insectes, les déjections d’oiseaux, les mammifères et la contamination humaine. Des recherches plus spécifiques sur les microorganismes humains (Enterococus, Coliformes) ont également été menées.
La contamination par les microorganismes est heureusement limitée par l’irradiation solaire ultraviolette des surfaces des condenseurs de rosée [21]. Néanmoins, l’analyse biologique de la rosée et de la pluie montre que les limites de l’Organisation Mondiale de la Santé sont souvent dépassées. Pour devenir potable, une désinfection, par exemple par chloration, est donc recommandée.
4. Stérilisation biologique par condensation de buée
Le fait que la condensation puisse se produire partout sur un substrat, même dans les zones d’accès difficile, peut être utilisé pour désinfecter les chambres et les instruments médicaux (par exemple les endoscopes) à condition qu’un agent stérilisant ou antiseptique soit ajouté dans la vapeur (Marcos-Martin et al., 1996 [23]). Ces additifs sont des vapeurs chimiques (par exemple, oxyde d’éthylène, formaldéhyde, dioxyde de chlore ou peroxyde d’hydrogène). La stérilisation est en effet le résultat de réactions chimiques complexes impliquant des réactions d’alkylation ou d’oxydation et de réduction, qui produisent des radicaux libres tels que le radical hydroxyle, l’un des oxydants les plus puissants.
La figure 6 montre la condensation sur un substrat (verre revêtu de fluorochlorosilane FClSi) où les gouttes d’eau présentent un angle de contact de 90-110°. Sur le substrat sont initialement déposées des spores lyophilisées de Bacillus macerans (Figure 6a). Lorsque de l’air saturé d’eau à 37 °C est envoyé sur le substrat, la condensation ne se produit initialement que sur les spores (Figure 6b). Plus tard (Figure 6c), la condensation peut être visible sur le substrat nu, avec une région de nucléation inhibée [11] autour des spores mouillées. Ce phénomène est typique des matériaux hygroscopiques comme par exemple les gouttelettes de solutions aqueuses de NaCl où la pression de saturation est inférieure à celle des gouttelettes d’eau pure à la même température. On remarque que si la vapeur d’eau était arrêtée au stade de la figure 6b, aucune condensation sur le substrat ne se serait produite alors que les micro-organismes étaient pourtant mouillés d’eau (et d’additifs stérilisants s’ils étaient inclus dans la vapeur). Ce processus à condensation invisible est appelé « microcondensation ». La stérilisation par air humide plus additifs ou par vapeur d’eau plus additifs sans air est actuellement appliquée par certaines entreprises pour désinfecter les chambres d’hôpitaux et stériliser les instruments chirurgicaux (voir par exemple Advanced Sterilization Products [24] et Bioquell [25]).
5. Messages à retenir
- La rosée est souvent considérée à tort comme une forme de précipitation et confondue avec le brouillard. La rosée naturelle doit également être différenciée de la buée, résultat de la condensation de l’eau sur les parois froides des grottes et des pièces humides où le refroidissement provient de l’inertie thermique de la paroi.
- Le rendement de la rosée naturelle est principalement limité par l’énergie de refroidissement disponible, qui ne dépasse pratiquement pas 100 W.m-2, ce qui conduit à un rendement maximal théorique de l’ordre de 1 L.m-2 par nuit.
- La rosée naturelle peut apporter une contribution non négligeable au bilan hydrique et un supplément d’eau aux plantes et aux animaux du désert, non seulement dans les zones arides et semi-arides, mais aussi pendant les saisons estivales sèches où la sécheresse peut durer plusieurs semaines ou plusieurs mois.
- La récolte de la rosée pour l’usage humain a récemment atteint un stade de quasi-réalisation grâce à une meilleure compréhension de la physique et de la thermodynamique associées, à la combinaison de nouveaux matériaux et aux formes de condenseurs, coniques, pyramidaux, origami.
- Les propriétés chimiques de l’eau de rosée proviennent des substances (gaz et aérosols) présents dans l’atmosphère à proximité du condenseur. Elles peuvent également être liées à l’interaction avec le substrat de condensation lui-même.
- La contamination biologique de l’eau de rosée provient de spores et de bactéries d’origine végétale, animale et humaine. Elle est d’origine atmosphérique ou provient d’un dépôt direct par les insectes, les oiseaux, les petits mammifères, les humains et les microbes en suspension dans l’air. Cette contamination est généralement inévitable car les condenseurs de rosée sont placés dans un environnement ouvert. Cela signifie que l’eau de rosée doit être désinfectée pour être utilisée comme boisson.
- Stérilisation par la buée. De manière similaire à la condensation de la rosée, mais à l’intérieur, la stérilisation des instruments médicaux et des chambres d’hôpitaux est effectuée en condensant l’eau avec des éléments stérilisants spécifiques.
Notes et références
Image de couverture. [Source : https://pixabay.com/ – Royalty free image]
[1] LEROY, C. (1751). Mémoire sur l’Élévation et la Suspension de l’Eau dans l’Air, et sur la Rosée. (Dissertation sur l’Élévation et la Suspension de l’Eau dans l’Air, et sur la Rosée). Mémoires de l’Acad. Roy. des Sci. 481-518.
[2] WELLS, W. C. (1866). An Essay on Dew and Several Appearances Connected with it. London : Longmans, Green, Reader and Dyer.
[3] JAMIN, J. (1879). La rosée, son histoire et son rôle. Revue des Deux Mondes 31, 324-345.
[4] MONTEITH, J. L. (1957). Dew. Q. J. R. Meteorol. Soc. 83, 322-341.
[5] ALTUS, SAULAT J. (1677). Mutus Liber. La Rochelle : Pierre Savouret.
[6] BEYSENS, D. (2018). Dew water. Gistrup : Rivers Publisher.
[7] Le COEFFICIENT DE TRANSFERT DE CHALEUR est le coefficient qui relie le flux de chaleur surfacique et la différence de température à l’origine du flux.
[8] SHARAN, G., ROY, A. K., ROYON, L., MONGRUEL, A., BEYSENS, D. (2017). Dew plant for bottling water. J. Clean. Prod. 155 (1), 83–92.
[9] BEYSENS, D., MILIMOUK, I., NIKOLAYEV, V., MUSELLI, M., MARCILLAT,J.. (2003). Using radiative cooling to condense atmospheric vapour : a study to improve water yield, J of Hydrology 276 (1-4 ), 1-11.
[10] BEYSENS, D. BROGGINI, F., MILIMOUK-MELNYTCHOUK, I., OUAZZANI, J., TIXIER, N. (2013). New Architectural Forms to Enhance Dew Collection. Chemical Engineering Transactions 34, 79-84.
[11] La NUCLÉATION est la première étape de formation d’une nouvelle phase (ici liquide) dans une phase donnée (ici vapeur). Elle est facilitée par des défauts géométriques ou chimiques.
[12] OPUR. Disponible sur https://www.opur.cloud/
[13] NIKOLAYEV, V., BEYSENS, D., GIODA, A., MILIMOUKA, I., KATIUSHIN, E.,MOREL, J. (1996). Water recovery from dew. J. Hydrol. 182, 19–35.
[14] MYLYMUK-MELNYTCHOUK, I., BEYSENS, D. (2016). Puits aériens : mythes et réalités ou Travaux russes & soviétiques sur la production d’eau à partir de l’air. Sarrebruck : Editions Universitaires Européennes.
[15] TOUGARINOV, V.V. (1935). Condensation of atmospheric water vapour. Anonymous, 1935. Stenograph of the proceedings of the 1st Conf. on the condensation of the atmospherical water vapour (Aerial well) (1931). Moscow-Leningrad: Cuegms (in Russia). Traduction (French): MYLYMUK-MELNYTCHOUK, I., BEYSENS, D. (2016). Puits aériens : mythes et réalités ou Travaux russes & soviétiques sur la production d’eau à partir de l’air. Sarrebruck : Editions Universitaires Européennes.
[16] TOTCHILOV, V.I. (1938). Condensers of Feodosia and the conditions of condensation in the surroundings. Soviet Water Works and Sanitary Engineering 1, 61-67 (in Russian).
[17] KNAPEN, M. A. (1929). Dispositif intérieur du puits aérien Knapen. (Dispositif intérieur du puits aérien Knapen). Extrait des mémoires de la société des Ingénieurs civils de France. (Bull. Jan-Feb). Imprimerie Chaix, Paris…
[18] CHAPTAL, L. (1932). La captation de la vapeur d’eau atmosphérique. (La capture de la vapeur d’eau atmosphérique). La Nature 60, 449-454.
[19] LEKOUCH, I., MUSELLI, M., KABBACHI, B., OUAZZANI, J., MELNYTCHOUK-MILIMOUK, I., BEYSENS, D. (2011). La rosée, le brouillard et la pluie comme sources supplémentaires d’eau dans le sud-ouest du Maroc. Energy 36 (4), 2257-2265.
[20] La LOI DE HENRY stipule que la quantité de gaz dissous dans un liquide est proportionnelle à sa pression partielle au-dessus du liquide.
[21] BEYSENS, D., OHAYON, C., MUSELLI, M., CLUS, O. (2006). Chemical and biological characteristics of dew and rain water in an urban coastal area (Bordeaux, France). Atmospheric Environment 40 (20), 3710–3723.
[22] L’UNITÉ DE FORMATION DE COLONIES est une unité utilisée en microbiologie pour quantifier le nombre de micro-organismes présents dans un milieu donné. Après avoir effectué des prélèvements dans le milieu, on réalise des cultures dans des conditions spécifiques sur un milieu capable de développer les micro-organismes qui forment des colonies, que l’on peut compter.
[23] MARCOS-MARTIN M.-A., BARDAT A., SCHMITTHAEUSLER R., BEYSENS D. (1996). Sterilization by vapour condensation. Pharm. Techn. Eur. 8, 24–32.
[24] ASP. Produits. Disponible sur https://www.asp.com/products
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Pour citer cet article : BEYSENS Daniel (20 mars 2024), Buée et rosée, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/buee-rosee/.
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