Couche d’inversion, brouillard et autres curiosités de la basse atmosphère
PDFComment expliquer qu’en février-mars, en présence d’un bel anticyclone, il fasse plus chaud en altitude qu’au fond des vallées recouvertes par une véritable mer de nuages ? Cette situation, contraire à la loi de l’atmosphère standard selon laquelle la température de l’air décroit linéairement en fonction de l’altitude, peut être attribuée à la présence d’une couche d’inversion. Mais de quoi s’agit-il ? Quels mécanismes la font apparaître, quels paramètres la contrôlent et quelles en sont les conséquences ? Nous verrons que cette couche d’inversion peut être localisée sur le sol ou en altitude, qu’elle provoque la formation de brouillards et qu’elle a d’autres effets moins bien connus, comme un accroissement de la portée des ondes sonores ou électromagnétiques qu’elle parvient à canaliser au voisinage du sol.
- 1. Qu’est-ce qu’une couche d’inversion ?
- 2. La couche d’inversion à la surface du sol
- 3. Les brouillards
- 4. La couche d’inversion des vallées des régions montagneuses
- 5. Autres exemples de couches d’inversion
- 6. Influence sur les ondes sonores et électromagnétiques
- 7. Le cas particulier de la lumière
- 8. Messages à retenir
1. Qu’est-ce qu’une couche d’inversion ?
Au sein de la troposphère, en présence d’un anticyclone, les conditions sont en général très proches de celles de l’atmosphère standard : alors que la pression et la densité de l’air diminuent de façon exponentielle en fonction de l’altitude, la température décroit linéairement de 6,5 °C par kilomètre (Lire : L’atmosphère et l’enveloppe gazeuse de la Terre). Cette décroissance tient au fait que la surface du globe terrestre, chauffée par le rayonnement solaire, transmet cette chaleur à l’air environnant, de proche en proche, par conduction et convection, ce qui implique une diminution progressive de la température en fonction de l’altitude [1].
Des exceptions à cette décroissance de 6,5 °C/km sont cependant assez fréquentes et conduisent à la formation de couches d’inversion où, localement, la température peut croître en fonction de l’altitude de plusieurs degrés (Figure 1). L’épaisseur de ces couches est assez variable, de quelques dizaines à plusieurs centaines de mètres, mais leur étendue horizontale est très longue, ce qui justifie l’emploi du mot « couche ». Leur altitude est elle aussi variable, depuis le sol lorsqu’elles sont formées à son contact, jusqu’à des altitudes intermédiaires entre sol et sommets dans les régions montagneuses. L’épaisseur de ces couches et l’altitude à laquelle elles se forment dépendent fortement du mécanisme qui conduit à leur formation.
Au sein d’une couche d’inversion, puisque l’air du bas est plus froid que celui du haut, il est aussi plus lourd. En conséquence ces couches sont très stables, c’est à dire dépourvues de mouvement convectif et de turbulence. Cette stabilité justifie qu’elles soient souvent considérées comme des sortes de couvercles qui empêchent tout transport significatif vers le haut des espèces ou particules accumulées au-dessous d’elles, comme les pollens, les polluants chimiques et les particules polluantes de l’air.
2. La couche d’inversion à la surface du sol
Chaque nuit, privée d’ensoleillement, la surface du sol ou des étendues d’eau se refroidit par rayonnement infrarouge vers l’espace. L’air situé à leur contact, plus froid et plus lourd que l’air d’en haut, n’a aucune tendance à s’élever. La très basse atmosphère retrouve ainsi un repos qu’elle avait abandonné dès le lever du soleil. On le constate aisément en remarquant que les feuilles des arbres et les drapeaux cessent leur agitation dès le coucher du soleil et la reprennent dès son lever. Ce refroidissement nocturne demeure limité à des altitudes de l’ordre de la centaine de mètres au-dessus du sol, puisque l’échange thermique diurne, dominé par la convection, n’existe plus. Ainsi nait une couche d’inversion posée sur le sol, où la température croît avant de retrouver les valeurs normales de l’atmosphère standard (Figure 1b). Sous l’effet du réchauffement matinal par le rayonnement solaire, la température du sol s’élève à nouveau, ainsi que celle des couches atmosphériques les plus basses. Ceci peut contribuer à des situations comme celle de la Figure 2, où la couche d’inversion encore bien froide n’est plus située au contact du sol mais à quelques dizaines de mètres plus haut. Toutefois, l’orientation des pentes ajoute une autre contribution, celles orientées au sud-est se réchauffant plus vite que le fond de la vallée.
Pendant les saisons les plus froides, de novembre à mars dans l’hémisphère nord, dans cet air au repos, le point de rosée [2] peut être atteint à proximité du sol. La vapeur d’eau initialement présente dans l’air peut donc se condenser au cours de la nuit et former des brumes et brouillards constitués d’aérosols [3] de trop petite taille pour tomber. Au lever du soleil, le sol se réchauffant, les couches d’air les plus basses s’allègent ; elles s’élèvent alors en soulevant ces aérosols et en comprimant les couches situées au-dessus d’elles. Cette compression conduit à la fois à un échauffement [4] qui amplifie cette inversion de température et à une sorte de tassement qui peut transformer la nappe de brouillard éventuellement présente et tout juste soulevée en un véritable nuage de type stratus (Figure 3). Progressivement, au début du jour, cette nappe qui absorbe une partie significative du rayonnement solaire se réchauffe à son tour, des gouttelettes s’évaporent et le brouillard peut disparaître complètement. En hiver, tant que durent les conditions anticycloniques, il est fréquent que ce ne soit pas le cas aux latitudes du nord de l’Europe et que le brouillard et la couche d’inversion persistent pendant plusieurs jours.
3. Les brouillards
Les gouttelettes présentes dans les brouillards sont en réalité des assemblages de molécules d’eau en très grand nombre autour de particules solides de taille souvent inférieure au micron. Globalement cet objet comportant une fraction solide et une fraction liquide est appelé hydrométéore. Les conditions de sa formation sont décrites dans l’article Que se passe-t-il dans les nuages ?. Tout comme les particules fines en suspension dans l’air sec (Lire : Les particules polluantes de l’air : de quoi s’agit-il ?), notamment les PM10 et PM2,5, de nombreux hydrométéores sont tellement petits qu’ils ne peuvent pas tomber. Notons cependant qu’un hydrométéore dont le rayon moyen serait de l’ordre de quelques microns pourrait contenir environ un milliard de molécules d’eau distantes les unes des autres d’environ un nanomètre.
Ce maintien en équilibre d’un objet dont la densité est 1000 fois supérieure à celle de l’air environnant peut s’expliquer de la façon suivante. Deux forces doivent être comparées : le poids de cet objet, qui serait le moteur de sa chute, et le frottement de l’air initialement situé en dessous, qui remonterait pour prendre la place de cet hydrométéore et qui constituerait la force antagoniste. Le poids est proportionnel au cube du rayon moyen (r3) de l’objet. Le frottement est proportionnel à la surface extérieure de l’objet, c’est-à-dire au carré du rayon moyen (r2). Quand ce rayon devient très petit, le poids devient négligeable par rapport au frottement et les hydrométéores ne peuvent pas tomber. En revanche, pour les gouttes de pluie, les flocons de neige et les grêlons, de taille supérieure à celle qui correspond à l’équilibre entre poids et frottement, supérieure à une vingtaine de microns, l’équilibre est rompu en faveur du poids et ces objets tombent. La chute des plus lourds est d’ailleurs plus rapide que celle de ceux dont le rayon est voisin de celui qui correspond à l’équilibre, laquelle donne lieu à de modestes bruines.
Ajoutons que, quand la couche de brouillard est formée, ses parties les plus hautes sont soumises à un refroidissement assez intense par rayonnement infrarouge. Comme le rayonnement du sol, celui-ci contribue au refroidissement de toute la couche. Et la combinaison de ces phénomènes peut conduire à un renforcement de l’inversion de température, mais aussi à un épaississement de la couche d’inversion.
Les polluants de toute nature, qu’ils soient d’origine industrielle comme les fumées chargées d’oxydes de carbone et de suies, les oxydes d’azote, le méthane, l’ozone, ou d’origine naturelle comme les pollens (Lire : Les pollutions de l’air), se rassemblent au-dessous de cette couche d’inversion ou dans sa partie basse (Figure 4). Comme les hydrométéores des brouillards, ils stagnent sans mouvement convectif ni turbulence. Ce sont eux qui donnent à ces nappes une couleur qui peut apparaître grisâtre, bleuâtre ou jaunâtre, suivant la nature de ces polluants. Cette couleur résulte de la diffusion de la lumière par ces objets dont la taille est beaucoup plus grande que la longueur d’onde, comme l’impose la loi de la diffusion de Mie [5] expliquée dans l’article Les couleurs du ciel. L’un des cas particuliers les mieux connus est celui de la ligne bleue des Vosges [6], due à la présence de molécules secrétées et expulsées par les arbres, notamment les résineux, tels que l’isoprène ou le sabinène.
Pendant les saisons les plus froides, au-dessus d’une étendue d’eau, comme un lac ou une rivière assez calme, une couche de brume est souvent présente, comme posée sur l’eau. Il est remarquable qu’elle ne disparaisse pas aussi rapidement que la couche formée au-dessus des sols voisins ou de la végétation. Ce retard à la disparition du brouillard des lacs s’explique par le fait que la surface de l’eau réfléchit les premiers rayons du soleil beaucoup mieux que les terres voisines. Elle ne se réchauffe donc pas aussi vite et peut conserver plus longtemps à son contact une couche de brouillard assez froide où l’évaporation est retardée. En France, on observe souvent cette situation dans le val de Saône et sur la plupart des lacs et des étangs en période hivernale.
4. La couche d’inversion des vallées des régions montagneuses
Entre décembre et mars, en présence d’un anticyclone hivernal, il est fréquent que, pendant plusieurs jours, la température de l’air au fond des vallées alpines ou pyrénéennes demeure inférieure à sa valeur en altitude. Il peut même geler dans la vallée sous une couche brumeuse persistante, alors qu’au-dessus de 1000 ou 1500 m et sous un bel ensoleillement, pendant la mi-journée, les thermomètres indiquent des températures assez élevées pour permettre aux skieurs et randonneurs de pique-niquer en plein air (Figure 5).
Cette anomalie est due à des descentes d’air froid et donc lourd depuis le voisinage des sommets vers les vallées. Ces courants d’air froids sont appelés vents catabatiques. Les promeneurs peuvent les ressentir assez nettement lorsqu’ils traversent une combe où coule un torrent ; localement ils peuvent être saisis par ce courant froid assez localisé qui, comme l’eau du torrent, dévale vers le fond de la vallée. Aux plus hautes altitudes la couche de neige réfléchit fort bien les rayons du soleil et maintient l’air présent au niveau du sol à une température assez basse, souvent inférieure à 0°C. Le vent catabatique se maintient donc à toute heure du jour. Ces conditions sont favorables au point de rosée, à la condensation de la vapeur d’eau et à la formation d’une couche de brouillard à des altitudes intermédiaires, entre 500 et 1500 m. Les randonneurs présents en altitude peuvent alors voir d’en haut cette mer de nuages d’où émergent les sommets (Figure 5), qui peut ne pas disparaître pendant plusieurs jours. Cette couche nuageuse plus ou moins épaisse matérialise la couche d’inversion où la température croît au lieu de décroître comme le prédit l’atmosphère standard.
En période estivale, les alpages, les forêts et les versants rocheux bien déneigés absorbent beaucoup mieux qu’en hiver l’énergie du rayonnement solaire. À leur voisinage et plus particulièrement sur les pentes exposées au soleil, dès le début de la matinée, l’air se réchauffe, s’allège et forme les courants d’air ascendants que les parapentistes recherchent et qui aspirent l’air du voisinage. Dans les vallées aussi l’ensoleillement a réchauffé l’air ambiant et permis une certaine agitation de cet air. Vers la mi-journée, le vent catabatique matinal éventuellement présent sur les pentes est alors remplacé par un courant d’air ascendant, appelé vent anabatique, beaucoup moins localisé dans les combes que le vent catabatique. Son effet principal, conjugué à l’agitation turbulente réapparue avec le jour, consiste à renouveler l’air de la vallée, refroidi pendant la nuit, et à empêcher la formation d’une couche d’inversion.
Les pentes des massifs montagneux qui entourent une vallée ont des orientations différentes, ce qui implique des horaires différents pour l’alternance entre le vent catabatique matinal et le vent anabatique plus tardif. Par ailleurs, ces pentes peuvent être plus douces d’un côté, plus raides d’un autre. Quand la vallée s’élargit, ceci peut donner lieu à des vents horizontaux qui n’ont ni la même direction, ni la même vitesse, et qui peuvent être localisés dans des couches situées les unes au-dessus des autres. Ainsi peut apparaître une certaine stratification de l’air dans ces vallées (Lire : Stratification et instabilités dans les milieux fluides naturels).
5. Autres exemples de couches d’inversion
Lorsqu’une grande masse d’air chaud et en général humide avance sur un territoire, son interface avec l’air plus froid initialement présent est appelée front chaud. Plus léger que l’air froid, l’air chaud passe au-dessus, comme indiqué sur la Figure 6. Ce front donne donc lieu à une couche d’inversion qui va l’accompagner pendant son avancée et jusqu’à sa destruction. On parle alors d’une couche d’inversion frontale.
La tropopause, située au-dessus de la troposphère à une altitude voisine de 12 km, est une couche d’inversion tout à fait particulière, caractérisée par un arrêt de la décroissance de la température avant une nouvelle croissance dans la stratosphère. C’est une zone de transition entre la troposphère, assez dense pour être l’objet d’un transport de chaleur vers le haut par les mouvements convectifs, et la stratosphère, où l’air est trop raréfié pour bien transporter la chaleur par convection. Elle est décrite dans l’article L’atmosphère et l’enveloppe gazeuse de la Terre. C’est l’absorption du rayonnement ultraviolet en provenance du soleil qui devient prépondérante dans la stratosphère, où elle engendre des réactions chimiques qui transforment l’oxygène (O2) en ozone (O3) en dégageant de la chaleur. En conséquence, la température croît à nouveau, depuis environ -56 °C dans la tropopause jusqu’à des valeurs proches de 0°C à des altitudes supérieures à 50 km.
6. Influence sur les ondes sonores et électromagnétiques
Comme de nombreux milieux matériels, l’atmosphère a la propriété de permettre à ces deux familles d’ondes de se propager, bien qu’elles résultent de phénomènes physiques profondément différents :
- la compressibilité de l’air pour les ondes sonores qui se propagent avec une célérité voisine de 340 m/s (Lire : Ondes et rayonnement » L’émission, la propagation et la perception du son),
- des oscillations des champs électriques et magnétiques pour les ondes électromagnétiques qui se propagent à la vitesse de la lumière voisine de 300 000 km/s (Lire : Le rayonnement thermique du corps noir).
Néanmoins, les unes et les autres sont sensibles aux variations de la densité de l’air et sont attirées vers les régions les plus denses, c’est-à-dire les plus froides. En période de beau temps, puisque le refroidissement nocturne des couches d’air proches du sol les alourdit, les trajets de ces ondes sont ainsi légèrement courbés vers le sol, ce qui leur confère une portée légèrement plus grande au petit matin qu’en pleine journée.
La propriété physique dont dépend le trajet des ondes est l’indice de réfraction, qui varie comme la densité de l’air, laquelle varie en raison inverse de la température mais dans le même sens que l’humidité. Ainsi, en France, lorsqu’une masse d’air chaud et sec, provenant par exemple du Sahara, passe au-dessus d’une masse d’air froid et humide, provenant plutôt de la Méditerranée, la densité de l’air et l’indice de réfraction des ondes subissent localement des variations particulièrement grandes. Dans une telle situation les trajets des ondes sonores tout comme ceux des ondes électromagnétiques sont inclinés vers le sol, ce qui leur donne une courbure du même signe que celle du globe terrestre. Mais là s’arrête cette analogie entre ces deux familles d’ondes, qui ont des portées extrêmement différentes : la centaine de mètres pour le son, des kilomètres pour la lumière, des centaines ou des milliers de kilomètres pour les ondes hertziennes, notamment les faisceaux radar [7].
Dans l’air au repos, les ondes sonores se propagent dans toutes les directions depuis l’émetteur en perdant graduellement leur intensité. Cet affaiblissement progressif est dû à la dissipation de leur énergie par la viscosité de l’air et à la distribution de cette énergie dans un espace de plus en plus vaste au fur et à mesure de leur propagation. Lorsqu’une couche d’inversion est présente près du sol, en s’élevant vers le haut le son passe graduellement dans des couches d’air de plus en plus chaud, dont la densité est de plus en plus faible. Ceci cause une réfraction qui courbe vers l’horizontale le trajet de ces ondes. Si l’inversion est très marquée, les ondes sonores se propageant initialement vers le haut, sont ramenées vers des directions horizontales, où elles convergent avec celles émises horizontalement. Cette concentration de l’énergie augmente la portée de ces ondes sonores dans les directions horizontales, malgré leur dissipation progressive par la viscosité de l’air. Ainsi, en présence d’une couche d’inversion au-dessus du sol, la voix humaine porte plus loin qu’en son absence.
Les ondes électromagnétiques couvrent une gamme de longueurs d’ondes extrêmement large, environ 10-12 m pour les rayons gamma, 10-9 m pour les rayons X, des fractions de micron (10-6 m) pour la lumière, du centimètre à quelques mètres pour la radio et pour les radars. Celles utilisées par les radars sont beaucoup mieux dirigées que les ondes sonores parce qu’elles sont émises par des systèmes conçus à cet effet comme le faisceau montré sur la Figure 7. Souvent, ces émetteurs sont situés à une altitude assez élevée au-dessus du sol, à la cime d’un pylône qui peut lui-même être placé au sommet d’un immeuble, d’une colline ou d’une haute montagne.
Les ondes électromagnétiques des radars forment ainsi des faisceaux relativement canalisés autour de leur direction principale et ont pour objectif de détecter des objets lointains grâce à l’écho que ceux-ci réverbèrent. Ceci ne les empêche pas de subir une réfraction en présence d’une couche d’inversion. Le schéma de la Figure 7 montre que celle-ci engendre une courbure du faisceau, ce qui permet de déceler des précipitations situées au-delà de l’horizon. Lorsqu’elle est très proche de celle du globe terrestre, cette courbure du faisceau peut aboutir à un effet de guide d’onde [8]. Cet effet est particulièrement remarquable lorsque la couche d’inversion est située à une altitude assez élevée, entre 500 m et 1500 m. Alors, réfractées vers le bas par la couche d’inversion et réfléchies vers le haut par le sol, les ondes électromagnétiques fort bien guidées parviennent à se propager sur de très grandes distances (Figure 8).
7. Le cas particulier de la lumière
Ce phénomène de réfraction s’applique aussi à la lumière, bande visible du rayonnement électromagnétique, dont les longueurs d’ondes sont situées entre 0,4 et 0,8 microns. C’est lui qui rend visible le rayon vert, phénomène optique rare au coucher du soleil. Ce phénomène permet de remarquer à l’horizon une très petite tache verte, aplatie, visible seulement pendant quelques secondes, juste au-dessus du soleil disparaissant, propagée jusqu’à l’observateur très éloigné par les derniers rayons lumineux qui frôlent l’horizon (Figure 9).
Ce rayon vert résulte de la combinaison de deux phénomènes physiques différents, qui aboutit à l’élimination des autres couleurs, ou longueurs d’ondes, de la bande visible.
Lorsque le Soleil est sur le point de disparaître à l’horizon, la partie rouge de son rayonnement (longueurs d’ondes supérieures à 0,60 microns) est moins réfractée vers le sol que les parties vertes et bleues (longueurs d’ondes inférieures à 0,5 microns), de sorte que les rayons rouges ne parviennent plus jusqu’à l’observateur très éloigné. Au contraire, les rayons bleus et verts émis par le Soleil suivent mieux la courbure du globe terrestre en raison de leur meilleure réfraction. Mais, par ailleurs, la diffusion de Rayleigh (Lire : Les couleurs du ciel) a pour effet de distribuer la partie bleue du spectre dans toutes les directions, ce qui atténue la fraction des rayons bleus en provenance directe du Soleil et orientés vers l’observateur. En conséquence, de façon très éphémère et rare, pendant les dernières secondes avant que la nuit tombe, il peut arriver que parvienne encore à l’observateur éloigné une étroite bande de lumière de longueur d’onde proche de 0,55 microns, qui correspond à la couleur verte.
La formation de mirages supérieurs [9], c’est-à-dire d’images d’un objet visibles à une altitude supérieure à la sienne, est une autre illustration de ce phénomène de réfraction dans une couche d’inversion située à proximité du sol. Pour cette raison ces mirages sont souvent appelés mirages froids. Le fait que, depuis Nice, au lever du jour, on puisse observer les montagnes de Corse alors que leur plus haut sommet, le Monte Cinto, est situé au-dessous de l’horizon niçois est une autre illustration de ce phénomène de réfraction qui force les rayons lumineux à suivre la courbure du globe terrestre (Figure 10). Cette image disparait dès que le réchauffement diurne a fait disparaître la couche d’inversion. D’autres exemples de mirages froids ont fait l’objet de récits, voire de légendes [10], comme celle du vaisseau fantôme peint par Charles Temple Dix vers 1860 (Figure 11). Cette réfraction de la lumière dans une couche d’inversion située sur un sol froid peut notamment être observée sur la banquise ou sur le continent antarctique.
8. Messages à retenir
- C’est le refroidissement du sol, soit pendant la nuit, soit à la suite d’une descente d’air frais issu des hauteurs par vent catabatique, qui impose une température inférieure à celle que prévoit l’atmosphère standard juste au-dessus du sol ou des étendues d’eau. La couche d’inversion est située au-dessous de l’altitude à laquelle la température de l’air retrouve sa décroissance linéaire conforme à l’atmosphère standard.
- En période hivernale, ce refroidissement peut amener la basse atmosphère à franchir le point de rosée et à être soumise à la condensation de la vapeur d’eau initialement présente, ce qui donne lieu à la formation de brouillards.
- Plus lourd dans la partie basse que dans la partie haute d’une couche d’inversion, l’air est très stable et dépourvu de tout mouvement convectif et de toute turbulence. Il se comporte alors comme un couvercle qui empêche le renouvellement de l’air et l’évacuation des polluants.
- Une couche d’inversion peut aussi apparaître à une altitude intermédiaire lorsqu’un front chaud arrive et passe au-dessus d’une masse d’air froid déjà présente. On l’appelle couche d’inversion frontale.
- Ces couches d’inversion ont la propriété remarquable de permettre une bonne canalisation des ondes sonores et des ondes électromagnétiques, augmentant ainsi leur portée. Le rayon vert, rare et éphémère, et les mirages froids en sont des illustrations curieuses.
Remerciements à Roland Blanpain, ancien Chef de la Division Systèmes du CEA-LETI, et à Christophe Delaveaud, Chef du Laboratoire Antennes Propagation et Couplage Inductif du CEA-LETI-DSYS, ainsi qu’à Joël Sommeria, Directeur du LEGI, et à Philippe Bougeault, ancien Directeur du CNRM, pour la relecture de cet article et pour leurs commentaires.
Notes et références
Image de couverture. Couche d’inversion et brouillard en moyenne montagne [Source : © DivertiCimes]
[1] Cette diminution linéaire est cependant limitée à la troposphère, car, au-delà de 12 000 m, dans la stratosphère, d’autres mécanismes interviennent, comme l’absorption de l’énergie des rayons UV, qui engendre une nouvelle augmentation de la température.
[2] Le point de rosée est la température à laquelle l’air doit être refroidi pour que la vapeur d’eau qu’il contient se condense en rosée ou en givre. À toute température, il y a une quantité maximale de vapeur d’eau que l’air peut contenir, appelée pression de saturation de vapeur d’eau. Une éventuelle quantité d’eau supplémentaire est soumise à la condensation sous forme de gouttelettes où se rassemblent les molécules d’eau excédentaires.
[3] On désigne par aérosol un ensemble de fines particules solides, ou de gouttelettes liquides, ou d’un assemblage des deux, en suspension dans un milieu gazeux. Les gouttelettes en suspension dans les brumes ou brouillards en sont un exemple typique.
[4] Tout gaz soumis à une compression subit aussi une élévation de température. Cela tient au fait que pression et température sont des grandeurs qui expriment aux échelles macroscopiques des conséquences d’un seul et même phénomène : l’agitation moléculaire (Lire : Pression, température et chaleur). L’échauffement des pompes de bicyclette au fur et à mesure des compressions en est un exemple bien connu.
[5] Gustav Mie, Beiträge zur Optik trüben Medien, speziell koloidaller Metallösungen, Annalen der Physik, Leipzig, vol. 25, 1908, pp. 377-445
[6] Cette expression « la ligne bleue des Vosges » est due à Jules Ferry qui l’emploie en 1893 dans son testament. Mais le phénomène physique qui l’explique n’est pas propre aux Vosges.
[7] Le mot radar est l’acronyme de l’expression anglaise Radio Detection And Ranging. Il désigne les systèmes utilisant des ondes électromagnétiques pour détecter la présence et la vitesse d’objets lointains qui renvoient vers l’émetteur un signal analogue à l’écho des ondes sonores. La distance est proportionnelle à la durée de l’aller-retour du signal.
[8] Un guide d’ondes est un système conçu pour canaliser des ondes électromagnétiques dans un milieu particulier, comme une fibre optique, éviter leur dispersion et ainsi rendre leur parcours aussi long que possible. En général ce procédé s’appuie sur des variations d’indice de réfraction entre divers milieux pour ramener les rayons divergents vers le canal qui leur est destiné.
[9] Par opposition, on appelle mirages inférieurs, ou mirages chauds, ceux dus à la présence d’une couche d’air particulièrement chaud sur le sol, par exemple dans les déserts ou sur des routes très ensoleillées, qui permet de voir les images d’objets situés au-dessus de cette couche.
[10] John MacDonald, Travels in various part of Europe, Asia and Africa during a serie of thirty years and upward, Forbes, 1790.
L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.
Pour citer cet article : MOREAU René (1 mars 2021), Couche d’inversion, brouillard et autres curiosités de la basse atmosphère, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/couche-inversion-brouillard-basse-atmosphere/.
Les articles de l’Encyclopédie de l'environnement sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA qui autorise la reproduction sous réserve de : citer la source, ne pas en faire une utilisation commerciale, partager des conditions initiales à l’identique, reproduire à chaque réutilisation ou distribution la mention de cette licence Creative Commons BY-NC-SA.