L’intelligence artificielle pour la prévision du temps
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L’intelligence artificielle (IA), et en particulier les méthodes d’apprentissage profond utilisant les réseaux de neurones, a été exploitée avec succès dans un grand nombre d’applications ces dernières années. La prévision météorologique compte parmi les domaines d’application prometteurs, avec des utilisations de l’IA potentiellement nombreuses et susceptibles de conduire à des avancées méthodologiques majeures, associées à des gains significatifs en performance et en qualité. Au travers de quelques premières réalisations, cet article présente le potentiel de l’IA pour les différentes étapes de la prévision météorologique, de son calcul à son exploitation et sa communication. Les nouvelles questions et défis que pose l’utilisation de ces techniques sont également discutés.
1. L’Intelligence Artificielle, de quoi parle-t-on ?
Définir précisément l’intelligence artificielle est une première difficulté. Dans la suite, nous considèrerons qu’il s’agit d’un vaste ensemble de techniques, notamment mathématique et informatique, dont l’objectif est de reproduire certains aspects de l’intelligence humaine (raisonnement, créativité, par exemple). Loin d’être nouvelle, l’IA est apparue dès les années 1950, d’abord principalement sous la forme de systèmes experts : l’humain établit un ensemble de règles et d’instructions que la machine exécute. Les méthodes d’IA parmi les plus utilisées et les plus performantes aujourd’hui suivent une tout autre approche : l’humain ne prescrit plus de règles mais développe des programmes informatiques capables d’apprendre les meilleures relations dans les données. C’est ce qu’on appelle l’apprentissage machine (machine learning), dont la structure algorithmique s’appuie essentiellement sur des réseaux de neurones profonds (deep learning).

Les réseaux de neurones formels ont été proposés dès les années 1940, mais ont été relativement peu exploités avant les années 2000. C’est l’augmentation de la puissance de calcul, et notamment l’arrivée des processeurs graphiques (les « GPU »), ainsi que la disponibilité de jeux de données massifs, qui ont permis à ces approches un retour en force depuis les années 2010.
Dans la suite de cet article, le terme d’IA sera principalement utilisé pour désigner les méthodes utilisant des réseaux de neurones profonds. Les réseaux de neurones convolutifs, introduits par Le Cun et al. [1], et spécifiquement conçus pour traiter des images en entrée, sont l’une des principales techniques appliquées à la prévision météorologique.
2. L’IA pour la prévision du temps
La prévision météorologique est le résultat d’une séquence d’étapes complexes dont l’élément central est le modèle de prévision (lire Les modèles de prévision météorologique). Des évolutions du modèle sont régulièrement proposées par les services météorologiques pour améliorer la qualité des prévisions. Il est notamment classique d’augmenter les résolutions des grilles de calcul et de complexifier la représentation des processus physiques. Il s’agit néanmoins dans les deux cas d’évolutions coûteuses, en développement et surtout en ressources de calcul. Les algorithmes d’IA, au contraire, présentent l’avantage d’être extrêmement rapides dans leur phase d’inférence. Ainsi, la résolution d’un problème physique complexe par l’IA est généralement de plusieurs ordres de grandeur inférieure aux approches classiques, qui nécessitent souvent de résoudre plusieurs centaines voire milliers d’équations. Cela fait de l’IA un outil potentiellement intéressant pour accélérer le calcul des prévisions, entre autres.
L’utilisation de l’IA en météorologie n’est pas nouvelle. Dès les années 1990, les techniques d’IA ont permis des développements novateurs dans le post-traitement statistique des prévisions météorologiques. Diverses applications ont par exemple été développées pour réduire les erreurs systématiques des prévisions [2]. En revanche, ce n’est que récemment que l’utilisation de l’IA s’est étendue au cœur de la modélisation atmosphérique.
2.1 Modèle physique et modèle d’IA : quelles différences ?
Les modèles physiques, dont les modèles de prévision météorologique actuellement opérationnels sont un exemple, sont construits à partir de la connaissance experte du fonctionnement du système étudié (l’atmosphère, dans le cas de la météo), traduite le plus souvent sous forme d’équations. Ces modèles ont l’avantage d’être interprétables physiquement, mais ils restent des approximations du système réel, limitées par notre compréhension des processus en jeu et par les contraintes imposées par les ressources de calcul.

Reprenons l’exemple de la prévision de température à une heure d’échéance. Son calcul avec un modèle physique revient à résoudre des équations bien connues prescrites par l’humain, tandis que son calcul avec un modèle d’IA consiste à appliquer une suite de relations statistiques apprises par un réseau de neurones sur les données durant la phase d’apprentissage. Modélisation physique et modélisation ‘IA’ sont donc deux approches très différentes dans leur fondement, mais également complémentaires, pour résoudre un problème donné (Figure 2).
2.2 Vers une hybridation des approches physique et IA pour la modélisation atmosphérique
Comme illustré Figure 2, l’intégration de l’IA dans le processus de prévision peut se faire sous différentes formes. La complémentarité des approches physique et IA a initialement motivé le développement de systèmes de prévision « hybrides », combinant la modélisation physique et l’IA. Il s’agit par exemple de remplacer les éléments les plus coûteux ou les moins bien représentés d’un modèle physique par un algorithme d’IA. D’autres travaux ont exploré la possibilité d’exploiter l’IA pour améliorer certaines caractéristiques des prévisions (par exemple la finesse de l’échantillonnage spatial), et in fine leur qualité, à moindre coût. Plusieurs exemples de prévisions hybrides sont présentés dans la suite.
Les paramétrisations physiques, qui simulent les effets des processus de fine échelle tels que le rayonnement, la convection ou la turbulence, sont actuellement parmi les composants les plus coûteux d’un modèle, ainsi qu’une des principales sources d’incertitude des prévisions météorologiques (et climatiques). Plusieurs travaux ont commencé à examiner la possibilité de remplacer tout ou partie de ces paramétrisations par des algorithmes d’IA, avec des premiers résultats prometteurs [3]. L’exemple présenté Figure 3 indique une très bonne cohérence entre les précipitations prévues par un modèle physique et par un modèle hybride, dans lequel les processus associés à la convection profonde sont appris par un réseau de neurones.


2.3 Vers des modèles atmosphériques entièrement basés sur l’IA ?
Les précédents exemples ont montré comment l’IA peut compléter les systèmes de prévision météorologique physiques pour en améliorer les performances computationnelles et la qualité. Une nouvelle étape a récemment été franchie par plusieurs équipes de recherche, qui ont proposé de remplacer complètement le modèle de prévision physique par un modèle d’IA. C’est en 2022 et 2023 qu’une succession de travaux attaque le problème de la prévision météorologique globale à moyenne échéance par IA [6]. Contre toute attente, les modèles d’IA tels que Pangu-Weather ou GraphCast, entraînés sur plus de 40 ans de données historiques, rivalisent désormais sur certains aspects avec le modèle physique du Centre Européen de Prévision Météorologique à Moyen Terme (CEPMMT), considéré comme le meilleur modèle de prévision opérationnel actuellement. Les prévisions quotidiennes de ces nouveaux modèles n’ont pas tardé à être diffusées publiquement, le lecteur intéressé pourra les visualiser par exemple sur https://www.meteociel.fr/modeles/ecmwf_aifs.php et https://charts.ecmwf.int/.
Bien que ces modèles IA fournissent une représentation encore très partielle de l’atmosphère, loin de celle produite par les modèles physiques, et avec des faiblesses bien identifiées, la démonstration est faite qu’il est possible de prévoir une partie des paramètres météorologiques, avec une certaine qualité (Figure 5). Ces nouveaux modèles sont également capables d’anticiper plusieurs jours à l’avance les événements à fort impact tels que les tempêtes [7] ou les cyclones tropicaux.

Pour que ces modèles IA deviennent de nouveaux outils exploitables pour la prévision du temps opérationnelle, et plus généralement pour toutes les applications nécessitant des données météorologiques, il reste néanmoins de nombreux verrous à lever. Le premier enjeu est de développer des modèles adaptés aux besoins des usagers, entraînés sur des données à très haute résolution spatiale, et capables de prévoir les variables météorologiques d’intérêt et les incertitudes associées. Cela soulève la question de la disponibilité et de l’accessibilité de ces jeux de données, et de la capacité à mobiliser des ressources de calcul conséquentes pour des entraînements pouvant atteindre plusieurs semaines. Le second enjeu est la mise au point de méthodes et de diagnostics d’interprétabilité et d’explicabilité de ces modèles. A l’instar des modèles physiques, il est légitime de pouvoir déterminer si l’IA a produit une bonne prévision pour les bonnes raisons ou, en cas de mauvaises prévisions, quels composants des réseaux de neurones sont en cause. Une perspective sous-jacente est le développement de réseaux de neurones informés par la physique, pour forcer les modèles à produire des solutions physiquement cohérentes.
3. L’IA pour l’expertise et la communication des prévisions
3.1 L’IA et les prévisionnistes
La prévision météorologique, qu’elle soit produite par un modèle physique ou un modèle d’IA, nécessite d’être expertisée par l’humain pour élaborer les bulletins, la vigilance, ou l’assistance à différents secteurs d’activité (lire Le rôle du prévisionniste). La production opérationnelle tend à évoluer vers une augmentation de l’information mise à disposition des utilisateurs, avec des prévisions rafraîchies plus fréquemment et effectuées sous forme d’ensembles. La quantité de données à expertiser est donc toujours plus grande, dans des temps qui restent souvent très contraints.
L’IA offre de nouvelles opportunités pour faciliter l’expertise humaine des prévisions opérationnelles. Ce sont en particulier ses capacités pour la reconnaissance de formes et la classification automatique qui peuvent être exploitées, afin d’extraire et de résumer l’information pertinente des grands volumes de données de prévisions ou d’observations. Deux exemples d’application sont présentés dans la suite.


3.2 L’IA et la communication des prévisions météo
Si l’IA est un outil pouvant être intégré tout au long de la chaîne de prévision, de la modélisation à son expertise, humaine et automatique, elle pourrait également changer la façon dont les prévisions seront communiquées ou accessibles aux usagers. L’IA, sous des formes plus ou moins sophistiquées, se cache déjà derrière certaines productions automatiques, qui alimentent par exemple des applications mobiles. Les nouveaux outils d’IA conversationnelle offrent aussi une nouveau moyen d’accès à l’information météo, permettant une formulation explicite de la demande de l’usager (Figure 8). L’IA pourrait-elle aller jusqu’à remplacer les présentateurs météo ? Une première réponse a été récemment apportée par la Suisse (Figure 9). Ces technologies en sont encore à leurs débuts, mais elles pourraient bien être les prémices d’un nouveau standard de communication et d’interaction avec les usagers.


4. Messages à retenir
- Les méthodes d’IA ont investi différents secteurs d’activité, et la prévision météorologique ne fait pas exception. La disponibilité de grands jeux de données et l’augmentation des ressources de calcul ont permis de développer des algorithmes d’IA performants, pouvant être appliqués dans les différentes étapes qui constituent la chaine de prévision météorologique opérationnelle. Si la plupart de ces réalisations sont encore à l’état de recherche, leur exploitation opérationnelle semble désormais envisageable à court ou moyen terme.
- L’élément le plus inattendu et potentiellement le plus impact est l’avènement des modèles de prévision météorologique entièrement basés sur l’IA. Alors que le développement incrémental de la prévision numérique du temps depuis les années 1950 est souvent qualifié de ‘révolution lente’, c’est une révolution beaucoup plus rapide qui semble se mettre en marche avec l’IA. C’est aussi un nouveau pan de recherche qui s’ouvre devant les services météorologiques, avec de nouveaux enjeux scientifiques et techniques.
- Ces progrès de l’IA ne doivent néanmoins pas faire perdre de vue la poursuite des travaux d’amélioration des modèles de prévision basés sur la physique, qui restent d’une importance capitale. Il ne s’agit pas, à ce stade, de remplacer l’un par l’autre, mais d’exploiter la complémentarité de ces deux approches
Notes et références
Image de couverture. Image créée par l’auteur et générée par DALL.E, une IA générative, à partir de la description textuelle « Réseaux de neurones pour la prévision météorologique« .
[1] Le Cun, Y., L. Bottou, Y. Bengio, & P. Haffner, 1998. Gradient-based learning applied to document recognition. Proceedings of the IEEE, 86, 2278–2324.
[2] Taillardat, M., A. Fougères, P. Naveau, & O. Mestre, 2019. Forest-Based and Semiparametric Methods for the Postprocessing of Rainfall Ensemble Forecasting. Wea. Forecasting, 34, 617–634, https://doi.org/10.1175/WAF-D-18-0149.1
[3] Balogh B., 2022. Vers une utilisation de l’Intelligence Artificielle dans un modèle numérique de climat. Thèse de doctorat en Océan, atmosphère, climat. Toulouse INPT.
[4] Doury, A., Somot, S., Gadat, S. et al., 2023. Regional climate model emulator based on deep learning: concept and first evaluation of a novel hybrid downscaling approach. Clim Dyn 60, 1751–1779. https://doi.org/10.1007/s00382-022-06343-9
[5] Brochet, C., L. Raynaud, N. Thome, M. Plu, & C. Rambour, 2023. Multivariate Emulation of Kilometer-Scale Numerical Weather Predictions with Generative Adversarial Networks: A Proof of Concept. Artif. Intell. Earth Syst., 2, 230006, https://doi.org/10.1175/AIES-D-23-0006.1
[6] Lguensat, R., 2023. Les nouveaux modèles de prévision météorologique basés sur l’intelligence artificielle : opportunité ou menace ? La Météorologie, 121, 11-15. 10.37053/lameteorologie-2023-0030
[7] Pardé, M., L. Raynaud, & A. Mounier, 2024. La prévision à moyenne échéance de la tempête Ciaràn par intelligence artificielle. La Météorologie, 125, 36-40, https://lameteorologie.fr/issues/2024/125/meteo_2024_125_36
[8] Mounier, A., L. Raynaud, L. Rottner, M. Plu, P. Arbogast, M. Kreitz, L. Mignan, & B. Touzé, 2022. Detection of Bow Echoes in Kilometer-Scale Forecasts Using a Convolutional Neural Network. Artif. Intell. Earth Syst., 1, e210010, https://doi.org/10.1175/AIES-D-21-0010.1
L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.
Pour citer cet article : RAYNAUD Laure (17 juin 2024), L’intelligence artificielle pour la prévision du temps, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 1 avril 2025 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/intelligence-artificielle-prevision-temps/.
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