La magnétosphère : sous l’influence de la Terre et du Soleil
PDFLa magnétosphère est l’interface entre le milieu interplanétaire et la haute atmosphère terrestre. C’est une vaste région évoluant sous le contrôle du champ magnétique terrestre. La magnétosphère est remplie d’un plasma sans collision, continuellement hors équilibre thermodynamique, turbulent, instable, qui subit des reconfigurations globales quasi-quotidiennes. La magnétosphère a une seule manifestation visuelle, mais de grande qualité esthétique : les aurores polaires.
1. Le vent solaire
La majeure partie de l’énergie du Soleil nous vient sous forme de lumière, infra-rouge, visible, ultraviolette, et en des proportions faibles et variables, en rayons X. Le Soleil nous en envoie aussi une infime partie sous la forme d’un vent de matière très diffus, composé d’électrons libres, de protons, et d’une faible proportion de noyaux d’hélium. Les composantes du vent sont électriquement chargées, on dit que c’est un vent de plasma, ou plus simplement un vent solaire. Sa densité est très faible, typiquement 10 particules par centimètre cube, mais il va vite, entre 300 et 800 kilomètres par seconde au niveau de l’orbite terrestre. C’est à dire qu’il fait le voyage du Soleil jusqu’à l’orbite terrestre en trois jours seulement. Ce vent transporte non seulement un plasma, mais aussi le champ magnétique de la couronne solaire. La puissance apportée par le vent solaire à l’environnement terrestre a été estimée à 100 GW (gigawatts). A titre de comparaison, c’est une puissance légèrement supérieure à celle produite en France par l’ensemble des centrales électriques. C’est donc peu en regard de la totalité de l’énergie solaire reçue par la Terre chaque seconde (1017 watts), mais largement suffisant pour induire des effets électromagnétiques importants dans l’environnement terrestre.
Lorsque le vent solaire atteint une planète dépourvue d’atmosphère comme Mercure ou la Lune, il en frappe directement la surface, participant notamment à la très lente érosion des sols. Avec des planètes comme Vénus ou Mars, c’est la haute atmosphère qu’il érode, emportant avec lui une partie de ses constituants. Avec la Terre, c’est plus compliqué, car elle a un champ magnétique, et celui-ci a une action efficace sur l’écoulement du vent solaire. Réciproquement, l’action du vent solaire modifie le champ magnétique et les plasmas de l’environnement de la Terre, créant une région d’interface entre le milieu interplanétaire parcouru par le vent solaire, et la haute atmosphère terrestre. Cette interface, explorée à partir de 1957 avec le commencement de l’ère spatiale a reçu un nom en 1959 : la magnétosphère.
2. La magnétosphère
Ce nom ne signifie nullement que cette région possède la forme d’une sphère, mais simplement qu’elle est sous le contrôle du champ magnétique de la Terre, lequel disparait totalement dans l’espace interplanétaire. La figure 1 montre une coupe de la magnétosphère terrestre : la Terre est le petit point blanc au milieu, le vent solaire arrive de la gauche, les lignes en bleu foncé sont les lignes de champ magnétique, la ligne bleu clair est la magnétopause et la ligne rouge représente l’onde de choc, sur laquelle nous reviendrons plus loin.
La magnétosphère est un objet dynamique, qui semble ne jamais atteindre un état d’équilibre. Elle est soumise aux variations continuelles de la poussée du vent solaire et de son magnétisme, ainsi qu’à une série de processus internes qui la déstabilisent en provocant des reconfigurations brutales, et quasi-quotidiennes.
La magnétosphère terrestre est l’objet de deux types d’approches. La première vise la description de la magnétosphère (objectif atteint par les scientifiques) et la compréhension des mécanismes physiques qui la régissent. L’autre approche, complémentaire, a pour objet d’en prévoir l’activité, afin de prévenir les opérateurs économiques (industries, réseaux électriques, transports) des fluctuations qu’elle induit sur notre environnement électromagnétique. Le présent article se concentre sur la première approche ; la seconde est exposée dans l’article La météorologie de l’espace et ses conséquences sur Terre.
La limite interne de la magnétosphère, au plus près de la Terre, est constituée de l’ionosphère, qui est la couche atmosphérique de haute altitude (à partir de 60 km) dans laquelle, mêlés au gaz neutre, apparaissent des atomes ionisés, c’est à dire un plasma. Contrairement aux atomes d’une atmosphère neutre, ces atomes chargés électriquement font de l’ionosphère un bon conducteur électrique. Dans la partie basse de l’ionosphère, aux altitudes inférieures à 400 km, les gaz neutres et le plasma sont encore relativement denses, en ce sens que les collisions entre les particules qui la constituent (atomes, molécules, ions et électrons) sont fréquentes. Les collisions engendrent des échanges d’impulsion et d’énergie entre particules, et cela favorise l’établissement rapide d’un équilibre thermodynamique local, partout dans l’ionosphère. Avec les grandeurs thermodynamiques de base : densité, vitesse, température, pression, et avec des grandeurs électriques comme la densité de charges et le courant, on peut en décrire toute la physique.
Dans la magnétosphère, la densité est significativement plus faible, et le plasma, d’origine solaire, est nettement plus énergétique. Ce cocktail a une propriété qui en fait la spécificité : les collisions entre particules y sont extrêmement rares. Une particule doit parcourir typiquement une centaine de milliers de kilomètres avant d’entrer en collision avec une autre. En termes scientifiques, le libre parcours moyen est d’environ 100 000 kilomètres. Comme c’est aussi la dimension caractéristique de la magnétosphère, on en déduit que le plasma de la magnétosphère est constitué de particules sans collisions les unes avec les autres. On dit que c’est un plasma sans collision.
Cette variété de plasma n’existe pas à l’état naturel sur Terre. Les plasmas sans collision ne sont pas en équilibre thermodynamique local (lien vers article Thermodynamique). Par exemple, lorsqu’on mélange le plasma froid d’origine ionosphérique avec le plasma chaud d’origine solaire, on n’obtient pas un plasma tiède, dont les particules auraient une vitesse d’agitation thermique qui serait une sorte de moyenne entre les vitesses d’agitation thermique de l’ionosphère et du vent solaire. Au contraire, il reste des particules qui s’agitent peu (les froides) et d’autres qui vont en tous sens à grandes vitesses (les particules chaudes), toutes ensembles, aux mêmes endroits. Mathématiquement, on peut toujours y définir une température, mais cette notion est très insuffisante pour donner une idée précise de l’état du plasma magnétosphérique. C’est extrêmement peu intuitif et déroutant pour les physiciens habitués aux fluides rencontrés dans notre environnement quotidien et dans les laboratoires.
L’absence de collisions rend aussi le plasma magnétosphérique très particulier, sans viscosité, devenant donc très facilement turbulent. Pour se figurer la viscosité, on peut prendre du miel liquide et le faire descendre dans un tuyau. L’écoulement sera très lent, et freiné par le miel qui est au bord, quasiment immobilisé sur les parois. En faisant la même expérience avec de l’eau, dont la viscosité est bien plus faible que celle du miel, l’écoulement sera plus rapide, mais encore peu uniforme. L’eau au milieu coulera nettement plus vite que l’eau près de la paroi (pour l’eau, on voit mieux les choses en observant l’écoulement des rivières). C’est aussi un effet de la viscosité. Avec sa viscosité plus faible, l’eau a des mouvements bien plus turbulents que le miel. Avec le plasma sans collision de la magnétosphère, quasiment sans viscosité, les effets turbulents sont encore amplifiés. Cela l’empêche encore d’atteindre le moindre état d’équilibre, même local et bref.
Pour finir, comme tout plasma, le plasma de la magnétosphère étant formé de particules électriques, son mouvement est contrôlé par le champ électromagnétique, notamment par le champ magnétique d’origine terrestre. Réciproquement, comme ses particules chargées sont en mouvement, elles sont aussi des sources de champ électromagnétique ; ce plasma modifie donc l’environnement électrique et magnétique de la Terre.
Si la magnétosphère et le vent solaire n’existaient pas, le champ magnétique autour de la Terre serait un champ magnétique dipolaire, comme celui représenté sur la figure 2 par ses lignes de champ. Il s’étendrait à l’infini dans l’espace, en perdant son intensité au fur et à mesure de l’éloignement. A cause du vent solaire, les lignes de champ magnétique ont l’allure présentée sur la figure 1. Cette représentation montre plusieurs choses : la magnétosphère a une forme très allongée. Elle s’étend à 60 000 kilomètres de la Terre du coté du soleil (le côté jour), mais à des centaines de milliers de kilomètres du coté opposé (le côté nuit). Ensuite, on distingue avec la topographie des lignes de champ plusieurs régions, dont les sondes spatiales ont révélé des propriétés distinctes.
3. Les régions de la magnétosphère
La région la plus externe de la magnétosphère est une onde de choc à travers laquelle le vent solaire passe d’une vitesse supersonique à une vitesse subsonique. Derrière l’onde de choc est la magnétogaine, une région de plasma très turbulent, et « bruyant » car parcouru par une grande variété d’ondes électromagnétiques de très basse fréquence. (Cependant, ce n’est pas un bruit audible pour une oreille humaine.) Puis vient la limite proprement dite de la magnétosphère : la magnétopause. Dans la magnétogaine, c’est encore la matière issue du vent solaire qui s’écoule, et le champ magnétique est d’origine solaire. Derrière la magnétopause, on rencontre un plasma en partie d’origine solaire, en partie d’origine terrestre, avec des caractéristiques bien différentes. Seule une faible partie du vent solaire parvient à entrer dans la magnétosphère à travers la magnétopause. En moyenne, la densité de matière dans la magnétosphère est plus faible que dans le vent solaire. C’est comme une sorte de bulle, avec une forme compliquée. Le champ magnétique de la magnétosphère est d’origine terrestre. En suivant les lignes de champ magnétique, au moins dans une direction, on finit toujours par atteindre l’ionosphère terrestre. La région la plus complexe de la magnétosphère est du coté nuit. Il y a les deux lobes montrés sur la figure 1, au nord et au sud, quasiment dépourvus de plasma.
4. L’activité de la magnétosphère
Entre les deux lobes, la région nommée couche de courant se caractérise par un champ magnétique plus faible, qui change de sens. C’est là que s’accumule la majeure partie du plasma de la magnétosphère. Au fur et à mesure que du plasma du vent solaire parvient dans la magnétosphère, la couche de courant se remplit. Cette région est parcourue en permanence par un courant électrique qui va d’est en ouest (perpendiculairement au plan de la figure 1). C’est aussi la région la plus instable : lorsque le plasma s’accumule un peu trop, la couche de courant s’affine (paradoxalement), et le courant s’intensifie. Puis, l’ensemble finit par craquer.
Comment la couche de courant craque-t-elle ? Les chercheurs ont découvert plusieurs mécanismes appelés « reconnexion magnétique », « instabilité d’interchange », mais cela reste un sujet d’étude très actif et encore controversé.
Que se passe-t-il ? La couche de courant se vide en quelques dizaines de minutes. Une partie du plasma part vers l’espace, une autre vers la Terre. Ces épisodes de reconfiguration de la couche de courant où elle se vide subitement sont appelés des sous-orages magnétosphériques. Il se produit typiquement un ou plusieurs sous-orages, ou des pseudo-déclenchements, chaque jour, avec des intensités variées, en libérant plus ou moins de plasma avec plus ou moins d’énergie. Les manifestations visibles et spectaculaires de ces sous-orages sont les aurores polaires, dont nous parlerons dans la section 6.
5. L’accélération du plasma dans la magnétosphère
Quand on étudie la magnétosphère, on mesure l’énergie des particules en électron-volts (eV, lire L’énergie). Les particules du vent solaire entrent dans la magnétosphère avec une énergie typique de 100 eV, c’est à dire comme si elles avaient été accélérées par une chute de potentiel électrique de 100 volts. Les particules de l’ionosphère ont une énergie de 0,1 eV, mais celles qui s’échappent dans la magnétosphère gagnent souvent une énergie de quelques eV. Dans la queue de la magnétosphère, on rencontre des particules d’énergies variées, de 10 eV à 50 keV (kilo-eV). Couramment, leur énergie est de l’ordre de 100 eV. Lors des sous-orages, elles gagnent quelques centaines d’eV. Ces mécanismes d’accélération sont divers, associés à des ondes, aux changements du champ magnétique et aux champs électriques qui les accompagnent.
6. Les aurores polaires
Le plasma qui se dirige vers la Terre suite à une telle reconfiguration subit une nouvelle accélération à quelques milliers de kilomètres d’altitude. Elle est causée par des ondes électromagnétiques et par des structures électriques engendrées lors de la reconfiguration de la queue magnétosphérique. Les particules les mieux accélérées sont des électrons en provenance de la couche de plasma, leur énergie atteint quelques keV. En arrivant sur l’ionosphère (un milieu plus dense que la magnétosphère, avec des collisions), elles bousculent quelques dizaines d’atomes et molécules avant de perdre leur énergie cinétique et leur vitesse. Ces atomes sont « excités » par la collision, et se « désexcitent » en émettant un photon. Ces photons ont des énergies correspondant à la nature des atomes rencontrés. Par exemple, la couleur verte typique des aurores (Figure 3) est due à des collisions avec des atomes d’oxygène. D’autres couleurs sont également produites : rouge, violet, bleu. La lumière ainsi produite est la seule manifestation visible de la magnétosphère, mais quelle manifestation : un spectacle sublime. Ce sont les aurores polaires.
Les aurores les plus brillantes sont toutes associées à la reconfiguration de la couche de plasma de la magnétosphère, elles se produisent donc toutes pendant un sous-orage. Un peu avant ces épisodes, on peut aussi observer des aurores, mais elles sont moins brillantes et très statiques. Elles correspondent souvent à la fin de la période de remplissage de la couche de courant, alors que des « fuites » commencent à se produire.
Le vent solaire, comme tout vent, connaît aussi des tempêtes. Il s’en produit plusieurs dizaines chaque année, d’intensités variées. Ces tempêtes peuvent affecter la densité et la vitesse du vent solaire, mais aussi l’intensité et les variations de l’orientation de son champ magnétique. Et il arrive que ces tempêtes compriment la magnétosphère terrestre. Une fois comprimée, la magnétosphère entre dans une phase de relaxation, pendant deux ou trois jours, durant laquelle son activité est plus forte que d’habitude. Les sous-orages y sont plus forts et plus fréquents, et on peut voir des aurores à des endroits où il est peu fréquent d’en admirer (en France par exemple). Ces épisodes s’appellent des orages magnétiques. C’est l’objet de la météorologie spatiale ( lire La météorologie de l’espace et ses conséquences sur Terre) de prévoir les orages magnétiques qui pourraient avoir une influence notoire sur l’activité humaine.
L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.
Pour citer cet article : MOTTEZ Fabrice (10 juillet 2018), La magnétosphère : sous l’influence de la Terre et du Soleil, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/la-magnetosphere/.
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