Les moussons
PDFLes moussons régissent le climat d’une grande partie des régions tropicales, où vivent des milliards d’êtres humains. Après des mois de sécheresse hivernale, les pluies d’été impatiemment attendues redonnent aux terres desséchées l’eau qui nourrit la végétation et les récoltes. Cet article explique les causes de l’occurrence saisonnière des moussons et en décrit l’évolution. On évoque finalement les variations actuelles et passées des moussons, et l’évolution envisagée dans le futur.
1. L’importance des moussons
Le mot mousson évoque des images de sombres nuages, de pluies torrentielles, de campagnes inondées, de villes paralysées par les eaux. Selon les mots de Pierre Gouru [1], « les conditions physiques sont nécessaires à l’intelligence totale de la géographie. Sans une science approfondie du milieu physique l’examen des éléments humains du paysage est exposé à une interprétation inexacte des relations existant entre l’humain et son support naturel ». Ainsi, l’Asie des moussons [2] regroupe les pays densément peuplés de la façade sud et est de l’Asie, de l’Inde jusqu’à la Chine et au Japon, soumis à ce régime météorologique particulier profondément implanté dans leurs cultures, leurs sociétés, leurs économies. Dans ces contrées aux plaines et deltas fertiles où la sécheresse d’hiver alterne avec les pluies abondantes d’été, les hommes ont fondé depuis des temps anciens de riches civilisations. La culture du riz, base alimentaire de ces populations, est totalement conditionnée par les pluies de mousson (Figure 1). Lorsqu’elles sont précoces ou tardives, déficientes ou excédentaires, le rythme de préparation des digues et des champs, les semailles, le repiquage et la récolte, en sont perturbés, avec souvent de graves conséquences socio-économiques.
Les civilisations sont mortelles et les facteurs climatiques en ont parfois été tenus responsables [3]. Plusieurs études ont ainsi montré le lien entre des bouleversements majeurs comme la fin de la civilisation de l’Indus vers -1300, le déclin de la dynastie Tang en Chine vers 900, la chute de l’empire khmer vers 1330, et des périodes de mousson déficiente. En Amérique, de semblables diminutions des pluies d’été indispensables aux ressources agricoles pourraient avoir causé la chute de la civilisation Maya au Xe siècle et l’exode mystérieux des Anasazis vers 1300. Plus récemment en Afrique, la sévère sécheresse qu’a connu le Sahel entre 1970 et 1990, avec une baisse de moitié environ des précipitations, a provoqué insécurité alimentaire, déplacements de population vers les villes, instabilité économique, sociale et politique.
La mousson est un phénomène météorologique de très grande ampleur, dont les conséquences bénéfiques ou néfastes concernent des milliards d’individus. Depuis des siècles, de nombreuses études y ont été consacrées pour comprendre les mécanismes physiques à l’origine de son occurrence et de ses perturbations, pour suivre son évolution en temps réel, pour essayer de prévoir son évolution à court, moyen et long terme. On essaie ici d’en présenter les principaux aspects.
2. Caractéristiques principales des moussons
La mousson [4] est un régime météorologique particulier qui concerne non seulement l’Asie, mais aussi d’autres régions du domaine tropical et subtropical. Deux critères doivent être vérifiés pour qualifier une mousson :
(i) l’alternance d’une saison humide, au cours de l’été de l’hémisphère concerné (juin-juillet-août au nord, décembre-janvier-février au sud), et d’une saison sèche pendant l’hiver ;
(ii) l’inversion du sens des vents dominants, soufflant dans les basses couches de l’océan vers le continent en été, du continent vers l’océan en hiver.
La Figure 2 montre des situations saisonnières contrastées. En été boréal (Figure 2a), les principales zones de pluie se trouvent en Amérique Centrale, en Afrique sud-Saharienne, en Inde et en Asie du Sud-Est avec une extension sur le Pacifique Ouest équatorial. Elles sont alimentées par des flux trans-équatoriaux qui se chargent en humidité au cours de leur passage sur l’océan. Ces vents de basses couches sont entraînés vers des dépressions thermiques au sein des régions continentales les plus chaudes. Au cours de l’été austral (Figure 2b), les zones de pluie se trouvent sur l’Amérique du Sud, l’Afrique Australe, l’Indonésie et le nord de l’Australie, alimentés de même par des vents traversant l’équateur dirigés vers des basses pressions thermiques continentales.
Les conditions énoncées ci-dessus sont vérifiées au sud-ouest de l’Amérique du Nord, en Afrique sub-Saharienne, en Inde, en Asie du Sud-Est et au nord de l’Australie. Il est plus difficile d’identifier un régime de mousson au sens strict en Amérique du Sud et en Afrique Australe en raison des moindres changements saisonniers des vents dominants. La mousson d’hiver sur l‘Océan Indien apparaît ici comme la partie septentrionale du flux trans-équatorial dirigé vers la large zone de précipitations qui s’étend de l’Indonésie au nord de l’Australie et au Pacifique Sud. On peut aussi, dans une certaine mesure, évoquer des moussons océaniques sur le sud de l’océan Indien et sur le nord-ouest du Pacifique
3. Contraste thermique saisonnier et transfert inter-hémisphérique
Pour expliquer ces importantes variations saisonnières de la circulation atmosphérique, il faut revenir aux fondamentaux du bilan énergétique terrestre. Tout d’abord, rappelons que la Terre est une planète approximativement sphérique dont l’axe de rotation journalière propre est incliné de 23,44° par rapport à l’axe de sa rotation annuelle autour du Soleil. La situation serait beaucoup plus simple si cette inclinaison était nulle. Le maximum d’éclairement énergétique solaire se produirait alors tout au long de l’année à l’équateur où la branche ascendante de la circulation de Hadley [5] générerait une ceinture de pluies perpétuelles. Sur notre Terre inclinée, le bilan énergétique varie fortement sur chaque hémisphère entre été et hiver et en fonction de la latitude (Figure 3).
La quasi-totalité de l’énergie arrivant sur Terre provient du Soleil sous forme de rayonnement visible, avec des longueurs d’onde comprises entre 0,38 et 0,75 µm. La puissance effectivement reçue par la surface (Figure 3a) dépend non seulement de la latitude, avec un maximum au point sub-solaire [6] à 23,44°N au solstice de juin et à 23,44°S au solstice de décembre, mais aussi de l’albédo [7] qui quantifie la proportion du rayonnement incident directement réfléchie vers l’espace. Aussi, malgré une très longue durée du jour, les régions arctiques et antarctiques couvertes de neige et de glace très réfléchissantes (avec un albédo proche de 1) reçoivent finalement assez peu de rayonnement solaire. Les valeurs légèrement plus fortes en décembre-janvier-février sont dues à une plus proche distance Terre-Soleil par rapport à juin-juillet-août.
La Terre perd de l’énergie par le rayonnement thermique de sa surface et de son atmosphère vers l’espace (Figure 3b). Les lois physiques indiquent que ce rayonnement dépend de la température (exprimée en Kelvin) du corps émetteur à la puissance 4, et que la longueur d’onde du maximum est inversement proportionnelle à cette température. Compte tenu des températures de la surface et de l’atmosphère, le rayonnement terrestre est émis dans l’infrarouge [8] avec un maximum vers une longueur d’onde de 10 µm, et il est plus intense dans les régions tropicales et équatoriales, plus chaudes que les régions polaires. Les minimums relatifs vers 10°S en décembre-janvier-février et 10°N en juin-juillet-août sont dus aux masses nuageuses denses de la Zone de Convergence Inter-Tropicale [9], avec des sommets très élevés donc très froids. On remarque cependant que la variation en latitude est nettement moins marquée que pour le rayonnement solaire incident (Figure 3a).
Le bilan est positif lorsqu’une région reçoit plus d’énergie par le rayonnement solaire qu’elle en perd par le rayonnement terrestre, il est négatif dans le cas contraire. On constate ainsi (Figure 3c) qu’au cours de l’été boréal (juin-juillet-août) les latitudes entre 10°S et 70°N gagnent de l’énergie alors que les latitudes entre 10 et 80°S, et au-delà de 70°N en perdent. La situation s’inverse lors de l’été austral (décembre-janvier-février). Mais les températures de ces régions ne croissent pas ou ne diminuent pas aussi rapidement que ce simple bilan radiatif l’imposerait. De fait, l’excès de chaleur reçu dans l’hémisphère d’été est exporté vers l’hémisphère d’hiver par les mouvements de l’atmosphère et les courants océaniques, ce qui réduit considérablement les contrastes saisonniers de température (Lire La lente et puissante circulation océanique & La circulation atmosphérique : son organisation).
On peut représenter la situation atmosphérique au solstice par le modèle simple d’un réservoir comportant deux parties séparées par une paroi rigide amovible (Figure 4). La partie gauche représentant l’atmosphère au-dessus de l’hémisphère d’hiver est remplie avec un fluide froid, la partie droite représentant l’hémisphère d’été est remplie avec le même fluide à température plus élevée. L’équilibre hydrostatique implique que la pression au fond du réservoir est proportionnelle au poids de la colonne de fluide surplombante. Comme la masse volumique d’un fluide diminue (il devient moins dense) lorsque sa température augmente, la pression au fond de la partie droite plus chaude est inférieure à celle de la partie gauche plus froide (Figure 4a).
Lorsque la paroi amovible est retirée, la force horizontale de pression, dirigée vers la pression la plus basse, provoque un mouvement du fluide froid vers la droite au fond du réservoir de gauche (Figure 4b). Pour compenser ce transfert, un égal volume de fluide chaud est entraîné vers la gauche depuis la partie supérieure du réservoir de droite. La différence de pression entre les deux parties du réservoir s’atténue progressivement avec ces échanges de masse et de chaleur. L’équilibre horizontal des pressions et la fin des mouvements du fluide sont atteints lorsqu’une stratification stable est obtenue avec le fluide froid au fond du réservoir et le fluide chaud au-dessus (Figure 4c).
Dans le cas de l’atmosphère terrestre, le différentiel de puissance solaire reçue et de puissance terrestre émise (Figure 3c) maintient un réchauffement de l’hémisphère d’été et un refroidissement de l’hémisphère d’hiver. Cela rend pérenne une différence de pression inter-hémisphérique et la circulation intermédiaire induite (Figure 4b) avec un flux trans-équatorial dirigé de l’hémisphère d’hiver vers l’hémisphère d’été dans les basses couches de l’atmosphère et un flux compensatoire de sens opposé en haute troposphère. Grace à cette circulation, l’excès de chaleur reçue en été est transféré en altitude vers l’hémisphère d’hiver qui exporte en échange de l’air relativement froid vers l’hémisphère d’été à proximité de la surface.
La Terre tourne sur elle-même en 24 heures, et cela a des conséquences pour la circulation trans-équatoriale résultant de la différence de température entre les hémisphères d’été et d’hiver. La force de Coriolis due à cette rotation agit sur tous les corps en mouvement à la surface du globe. Elle dévie leurs trajectoires vers la droite dans l’hémisphère Nord, vers la gauche dans l’hémisphère Sud. Son intensité est maximum aux pôles et nulle à l’équateur. La force de pression entraîne l’air des hautes pressions (froides) de l’hémisphère d’hiver vers les basses pressions (chaudes), mais le vent dans l’atmosphère terrestre ne suit pas une trajectoire rectiligne entre ces deux régions.
Au cours de l’été boréal, le vent issu de l’hémisphère Sud subit une déviation vers l’ouest de moins en moins importante à mesure qu’il se rapproche de l’équateur. Passant dans l’hémisphère Nord, il est de plus en plus dévié vers l’est en s’éloignant de l’équateur (Figure 5a). Au cours de l’été austral, le vent issu de l’hémisphère Nord se dirige d’abord vers le sud-ouest, puis vers le sud-est après avoir franchi l’équateur (Figure 5b). Ainsi les moussons de l’hémisphère Nord sont alimentées par des flux venant du sud-ouest, celles de l’hémisphère Sud par des flux venant du nord-ouest (Figure 2).
La circulation s’inverse vers 10-15 km d’altitude, dans la partie supérieure de la troposphère tropicale. S’il n’y a pas dans l’atmosphère une limite supérieure rigide comme pour le réservoir de la Figure 4, l’augmentation de la température avec l’altitude dans la stratosphère inhibe le déplacement vertical de l’air au-delà de la tropopause. Une zone de hautes pressions avec une circulation anticyclonique [10] divergente [11] s’établit ainsi au-dessus de la région chaude de basses couches. Une partie de ce flux divergent se dirige vers l’équateur avec une composante d’est et forme le Jet d’Est Tropical, zone de vents forts qui s’étend de l’Asie du sud-est à l’Afrique de l’ouest au-dessus de 10 km d’altitude au cours de l’été boréal. De semblables forts vents d’est de haute altitude, moins marqués cependant, s’observent à proximité de l’équateur en relation avec les moussons américaine, australienne et d’Afrique australe (Lire Les jet streams). Le flux qui traverse l’équateur acquiert progressivement une composante d’ouest et contribue à la formation du Jet d’Ouest Subtropical dans l’hémisphère d’hiver. En interagissant avec le Jet d’Ouest Polaire situé plus haut en latitude dans ce même hémisphère, cette circulation peut influer sur les développements de perturbations météorologiques aux latitudes moyennes hivernales.
Les transferts inter-hémisphériques associés au bilan radiatif contrasté entre hémisphères d’été et d’hiver ne sont pas l’apanage de la planète Terre. On observe en effet un phénomène saisonnier analogue dans l’atmosphère martienne, certes beaucoup plus ténue que la nôtre, en raison d’une inclinaison de 25,19° proche de la valeur terrestre de 23,44°, avec de plus une forte différence de topographie entre les deux hémisphères martiens. Sur Terre, la présence de continents et d’océans module cette circulation et produit les caractéristiques spécifiques du régime de mousson.
4. Les conséquences du contraste thermique océan-continent
Les terres émergées et les étendues liquides réagissent différemment à l’apport énergétique du rayonnement solaire (Figure 6). Une propriété importante des surfaces est la capacité thermique ou chaleur spécifique, quantité de chaleur (exprimée en Joule) qu’il faut fournir à une masse de 1 kg de matière pour élever sa température de 1°C. Sa valeur pour l’eau liquide est de 4185 J kg-1 °C-1 aux conditions normales de température (0°C) et de pression (1013,25 hPa). La capacité thermique des sols varie selon leur nature : de 600 à 1000 J kg-1 °C-1 pour les minéraux secs, de 1000 à 2000 J kg-1 °C-1 pour les matières organiques. Ces valeurs augmentent avec l’humidité du sol. Soumis à un même apport énergétique un sol continental se réchauffe ainsi 2 à 7 fois plus qu’une même masse d’eau.
Une autre différence entre continents et océans concerne la répartition verticale de l’énergie solaire reçue. Le rayonnement incident qui arrive sur une surface continentale et qui n’est pas réfléchi est absorbé dans la couche superficielle, épaisse de quelques centimètres tout au plus (Figure 6a). Le réchauffement de la surface continentale est donc rapide. Le rayonnement thermique infrarouge que celle-ci émet diffuse verticalement et réchauffe à son tour les premières centaines de mètres de l’atmosphère située au-dessus. La chaleur se propage aussi en profondeur, mais sur quelques mètres seulement. Lorsque le sol est humide, par nature ou à la suite de précipitations, l’énergie solaire reçue provoque l’évaporation partielle de cette eau liquide en vapeur d’eau atmosphérique, aux dépens du réchauffement de la surface et des basses couches atmosphériques.
La situation est très différente sur l’océan (Figure 6b). Tout d’abord, l’évaporation de surface y est importante, ce qui réduit la chaleur disponible pour le réchauffement. De plus, le rayonnement solaire visible pénètre jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, répartissant l’apport énergétique sur une couche bien plus épaisse. Le vent à la surface provoque des circulations internes qui conduisent à un brassage vertical accentuant la dilution thermique dans la couche mélangée océanique, profonde de quelques dizaines de mètres. Pour une même quantité de rayonnement incident, le réchauffement de la surface océanique et de l’atmosphère située au-dessus est donc moindre que sur un continent.
Les surfaces continentales répondent rapidement aux variations saisonnières de l’éclairement énergétique solaire. Dès les mois de mai-juin, le Sahara, la péninsule arabique, le Pakistan et le nord de l’Inde et, dans une moindre mesure, le sud-ouest des États-Unis et le nord du Mexique atteignent des températures dépassant les 30°C. Une situation analogue s’observe dans l’hémisphère Sud en novembre-décembre au nord de l’Australie et, avec une moindre amplitude, en Afrique Australe. Le réchauffement plus lent des océans tropicaux est de plus freiné par l’intensification du mélange vertical qu’induisent les vents trans-équatoriaux soufflant à leur surface au cours de l’été. De fait, les maximums de température en surface et dans la couche mélangée ne sont atteints que quelques mois après le solstice : fin août – début septembre dans l’hémisphère Nord, fin février – début mars dans l’hémisphère Sud.
Comme la pression de surface dépend du poids de la colonne d’air surplombante, elle est plus basse au-dessus des terres chaudes (l’air chaud est moins dense) qu’au-dessus des océans relativement plus froids (l’air froid est plus dense). Ainsi, des dépressions thermiques s’établissent à partir du mois de juin et jusqu’à fin août vers 20-30° N, à partir du mois de décembre et jusqu’à fin février vers 15-25°S. L’importance de ces dépressions dépend de la taille des continents concernés : plus vaste en Inde et en Asie du Sud-Est que sur le Sahara ou le nord de l’Australie, beaucoup plus réduites en Amérique du Nord et en Afrique Australe. Comme l’air se dirige toujours vers les basses pressions, tout en subissant une déviation due à la force de Coriolis, les dépressions thermiques attirent le flux trans-équatorial qui s’est chargé d’humidité au cours de son passage au-dessus des océans tropicaux. La mousson peut commencer.
5. Les pluies de mousson
Au printemps, la zone de convection [12] constituée d’amas pluvio-orageux se situe à proximité de l’équateur, où se trouvent les eaux de surface les plus chaudes (Figure 7a). Au début de l’été, l’anomalie thermique qui s’établit sur les continents tropicaux attire dans les basses couches le flux de sud-ouest (dans l’hémisphère Nord) ou de nord-ouest (dans l’hémisphère Sud), chargé d’humidité au cours de son long trajet au-dessus des océans équatoriaux et tropicaux. Avec la présence d’air plus sec en altitude, cela génère, dans un premier temps en zone côtière (Figure 7b), une situation de forte instabilité convective propice au développement de nombreux et puissants systèmes pluvio-orageux. Ceux-ci déversent en surface de fortes quantités de précipitations et restabilisent localement l’atmosphère en réchauffant la moyenne et haute troposphère par une importante libération de chaleur latente résultant de la condensation de la vapeur d’eau associée au flux de mousson en gouttes d’eau et en particules de glace.
Après quelques jours d’une telle activité, les régions côtières restabilisées retrouvent un certain calme. Mais l’intérieur des terres reste chaud et le flux humide de mousson qui y pénètre amène le même type d’instabilité (Figure 7c). Nuages et pluies d’orage progressent ainsi plus avant en latitude par phases successives d’avancée et de stabilisation qui durent plusieurs jours. Devenues humides, les surfaces continentales contribuent par évaporation au rechargement du flux en vapeur d’eau. Ces mêmes régions épargnées par les pluies s’assèchent et se réchauffent, devenant à nouveau instables, et retrouvent une activité pluvio-orageuse plus ou moins intense pendant quelques jours. En haute troposphère, le flux divergent anticyclonique au sommet des systèmes convectifs alimente le Jet d’Est Tropical et, au-delà de l’équateur, le Jet d’Ouest Subtropical. Ces vents de haute troposphère s’intensifient à mesure que les perturbations se développent sur le continent entre la côte et les latitudes plus élevées.
Cette situation d’avancées et de reculs des pluies de mousson perdure tout au long de l’été (juillet – août – septembre en hémisphère Nord, janvier – février – mars en hémisphère Sud). Localement, on assiste ainsi à des phases actives ou inactives de la mousson, avec une accumulation de pluies plus importante vers la côte directement exposée au flux océanique humide, et des évènements précipitants plus sporadiques et plus intenses en s’éloignant vers l’intérieur du continent. L’activité de la mousson est également modulée par les diverses perturbations météorologiques qui se propagent avec différentes périodes et vitesses au sein de l’atmosphère tropicale. Tout cela rend difficile la prévision des précipitations à l’échelle locale ou régionale à quelques jours ou quelques semaines d’échéance, avec d’importantes conséquences pour les activités agricoles très dépendantes de cet apport en eau.
À la fin de l’été, l’anomalie chaude continentale diminue en raison du plus faible rayonnement solaire (Figure 7d). La dépression thermique se comble et le flux de mousson perd en intensité. Le moindre apport en air humide réduit l’instabilité convective à l’intérieur du continent. Les perturbations pluvio-orageuses diminuent d’intensité et régressent jusqu’à la côte, avant de se dissiper totalement. La mousson est terminée et l’atmosphère s’éclaircit. En altitude, le Jet d’Est Tropical et le Jet d’Ouest Subtropical disparaissent. Pendant ce temps, les continents tropicaux de l’hémisphère opposé commencent à se réchauffer, les dépressions thermiques se creusent progressivement, le flux de basses couches s’inverse. Bientôt la mousson débutera de l’autre côté de l’équateur.
6. Variabilité des moussons : présent, passé, futur
L’activité des moussons varie d’année en année, principalement en relation avec l’Oscillation Australe ou ENSO (« El Niño – Southern Oscillation ») via les perturbations induites sur la température de surface des océans et sur la circulation à grande échelle de l’atmosphère tropicale. L’impact est plus important dans l’hémisphère Nord, notamment en Inde et en Asie du Sud-Est. Les phases El Niño avec un réchauffement du centre et de l’Est du Pacifique équatorial y provoquent des moussons plus faibles avec des pluies moins abondantes. À l’opposé, les phases La Niña avec un réchauffement du Pacifique équatorial Ouest produisent des moussons plus actives avec des pluies plus intenses et plus durables.
D’autres modes à plus long terme de la variabilité climatique naturelle influent également sur les moussons aux échelles de temps multi-décennales. La mousson est-asiatique est ainsi plus marquée lors des phases positives (par ex. 1975-2005) de l’Oscillation Décennale du Pacifique, lorsque le Pacifique Ouest se refroidit alors que l’est de l’océan se réchauffe. De même, la mousson de l’Afrique de l’Ouest est plus active lors des phases positives de l’Oscillation Atlantique Multi-décennale (1930-1960, 1995-présent), avec une anomalie chaude sur l’Atlantique Nord et une circulation profonde plus intense, que lors des phases froides (1900-1930, 1960-1995).
Aux temps plus anciens, les reconstitutions climatiques à l’aide de différents traceurs (par ex. récits historiques, cernes de arbres, spéléothèmes [13], niveau des lacs, populations de phyto- et zoo-plancton [14],…) montrent des moussons plus actives lorsque l’hémisphère concerné est anormalement chaud en été, des pluies plus faibles lorsqu’il est plus froid. Les moussons de l’hémisphère Nord ont ainsi été plus intenses lors des épisodes chauds de l’époque romaine (de -250 à +400) et de l’Optimum Climatique Médiéval (de 950 à 1250), plus faibles lors des épisodes froids des âges sombres (de 400 à 950) et du Petit Âge Glaciaire (de 1250 à 1850).
Plus loin encore dans le passé, l’Optimum Climatique de l’Holocène (de 9000 à 5000 avant notre ère) a résulté d’un ensoleillement plus intense qu’à présent pendant l’été boréal, par suite d’une inclinaison un peu plus marquée de l’axe de rotation de la Terre (environ 24° contre 23,44° actuellement) et d’une distance Soleil-Terre légèrement plus faible à cette saison. Cette phase chaude a coïncidé avec la Période Subpluviale du Néolithique marquée notamment par un climat humide et pluvieux dû à une mousson très active sur le nord de l’Afrique et la péninsule arabique. Des précipitations intenses et fréquentes alimentaient un vaste réseau de rivières, fleuves et lacs avec une végétation variée et une faune nombreuse, là où s’étendent aujourd’hui les déserts arides et stériles du Sahara et de l’Arabie. De nombreuses traces de peuplements humains attestent de conditions bien plus favorables qu’actuellement. La fin de cette heureuse période humide a entraîné des exodes massifs de populations. Certains de ces réfugiés climatiques, installés dans la verdoyante vallée du Nil, ont peut-être été les précurseurs de la civilisation de l’Égypte Antique.
Dans le lointain passé géologique, une situation tout à fait particulière a existé il y a 330 à 180 millions d’années. L’ensemble des masses continentales était alors réuni en un seul super-continent, la Pangée, approximativement en forme de C autour de l’équateur, avec l’océan Téthys à l’intérieur du C (Figure 8). Cette configuration exceptionnelle était très favorable au régime de mousson, avec de puissants flux trans-équatoriaux gorgés d’humidité océanique allant de l’hémisphère sud vers le nord en été boréal, du nord vers le sud en été austral. Les zones côtières de la Pangée, le long des branches du C, recevaient ainsi d’énormes quantités de pluie, favorisant le développement d’une végétation luxuriante. Mais ces méga-moussons ne pouvaient pénétrer jusqu’au cœur de la Pangée, où d’immenses déserts résultaient de la quasi-absence de précipitations et de cycles journaliers et saisonniers de température très marqués.
Si on se projette maintenant vers le futur, le réchauffement climatique global causé par la libération massive de gaz à effet de serre dans l’atmosphère par les activités humaines, aura certainement un impact sur l’activité des moussons. Tout d’abord une atmosphère plus chaude peut contenir plus d’humidité, ce qui favorise des pluies plus soutenues. Ensuite, les modèles numériques d’étude du climat futur indiquent un plus fort réchauffement dans l’hémisphère Nord qu’au Sud. Cela implique un renforcement du contraste thermique estival entre les zones tropicales du nord de l’Afrique et de l’Asie, et les océans équatoriaux Atlantique, Indien et Pacifique Ouest. En conséquence, les flux de mousson et les pluies associées devraient augmenter avec des saisons humides plus longues, des évènements pluvieux plus fréquents et parfois plus intenses. Au contraire, le réchauffement plus marqué du Pacifique Est devrait affaiblir la mousson d’Amérique du Nord. Peu de changements sont envisagés dans l’hémisphère Sud.
Cette évolution ne devrait pas aller jusqu’à un verdissement complet du Sahara et des déserts d’Arabie et d’Asie, comme lors de l’Optimum Climatique de l’Holocène évoqué ci-dessus. Les perturbations climatiques induites par l’accroissement des gaz à effet de serre ne sont en effet pas aussi favorables que l’augmentation du rayonnement solaire estival dû à des variations orbitales. Pourtant, il peut être rassurant de considérer que le réchauffement climatique global, dont les conséquences prévues sont plutôt négatives pour de larges parties de la planète, pourrait in fine contribuer à un retour de la végétation dans des zones actuellement arides, apportant ainsi de meilleures conditions environnementales pour les populations sahéliennes, indiennes et asiatiques qui ont eu à subir des sécheresses éprouvantes au cours des décennies passées. Néanmoins, la multiplication d’épisodes des pluies intenses et d’inondations impose des adaptations des pratiques agricoles et des aménagements, notamment urbains, difficiles à gérer.
7. Messages à retenir
- Le régime de mousson concerne de vastes zones de régions tropicales en Amérique, en Afrique, en Asie et en Australie, et sur les océans Indien et Pacifique ouest.
- L’alternance d’une saison humide et d’une saison sèche résulte d’une part du différentiel d’apport en énergie solaire entre les hémisphères d’été et d’hiver, d’autre part du réchauffement plus rapide sur les continents que sur les océans.
- Les moussons sont influencées par les variations du climat. Les exemples du passé montrent qu’elles sont généralement plus actives lors d’anomalies chaudes. Dans l’hémisphère Nord, elles se renforceront probablement avec le réchauffement planétaire en cours.
Références
Image de couverture. Nuages de mousson sur le Bangladesh vus depuis la Station Spatiale Internationale.[Source : © NASA / Marshall Space Flight Center, ISS 3 juin 2002, CC BY-NC 2.0]
[1] Gouru, P., 1951 : « Civilisations et géographie humaine en Asie des moussons ». Bulletin de l’École Française d’Extrême Orient, 44-2, 467-475
[2] Sion, T., 1920 : « Asie des moussons ». Tome IX de « La Géographie Universelle » (2 vol.), sous la direction de P. Vidal de la Blache et L. Gallois, Armand Colin, Paris.
[3] Malaizé, B., 2019 : « Changements climatiques et civilisations antiques » https://www.encyclopedie-environnement.org/climat/changements-climatiques-et-civilisations-antiques/
[4] On utilise le terme mousson au singulier pour désigner le phénomène météorologique dans sa généralité, les moussons au pluriel pour évoquer les situations particulières dans différentes régions tropicales.
[5] Moreau , R., 2021 : « La circulation atmosphérique : son organisation » https://www.encyclopedie-environnement.org/air/la-circulation-atmospherique/
[6] À un instant donné, le point subsolaire est le point de la planète le plus proche du Soleil. En cet endroit, les rayons solaires atteignent la planète perpendiculairement à sa surface.
[7] L’albédo le rapport du flux d’énergie lumineuse réfléchie au flux d’énergie lumineuse incidente
[8] L’infrarouge est le domaine des ondes électromagnétiques dont la longueur d’onde est comprise entre 0,7 µm et 1 mm.
[9] La Zone de Convergence Inter-Tropicale est une région de basses pressions proche de l’équateur, large de quelques centaines de kilomètres avec de nombreux amas pluvio-orageux et des vents faibles de direction changeante.
[10] Une circulation anticyclonique tourne dans le sens horloger dans l’hémisphère Nord, dans le sens contraire (anti-horloger) dans l’hémisphère Sud. L’air tourne dans le sens opposé cyclonique, anti-horloger dans l’hémisphère Nord et horloger dans l’hémisphère Sud, autour des zones de basses pressions.
[11] Une circulation divergente s’éloigne d’une zone de hautes pressions. Une circulation convergente se dirige vers une zone de basses pressions.
[12] La convection désigne l’ensemble des mouvements d’un fluide (liquide ou gaz) et le transport de ses propriétés au cours du déplacement. Dans l’atmosphère, la convection résulte principalement de variations verticales de température et d’humidité.
[13] Les spéléothèmes sont des dépôts minéraux ou concrétions dus à l’action de l’eau infiltrée dans des cavités souterraines.
[14] Le phyto-plancton est constitué d’algues microscopiques, souvent unicellulaires, se multipliant grâce à la lumière, au CO2 et aux sels nutritifs. Le zoo-plancton est constitué d’animaux microscopiques, herbivores ou carnivores, se nourrissant de matière vivante.
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Pour citer cet article : ROUX Frank (25 janvier 2022), Les moussons, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/les-moussons/.
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