Les tornades : de puissants tourbillons dévastateurs
PDFLes vents les plus violents sur Terre sont dus aux tornades, provoquant là où elles frappent des dévastations d’ampleur inouïe. Les orages qui leur donnent naissance ont des caractéristiques bien particulières qu’on retrouve au centre des États-Unis, mais aussi dans d’autres régions des latitudes moyennes. On connaît l’essentiel des mécanismes physiques qui concourent à l’intensification du tourbillon atmosphérique. Cela permet d’en prévoir assez correctement les risques. En revanche, la localisation exacte et la force réelle des tornades que peut générer un orage ne peuvent être connue précisément à l’avance. Aussi, bien que ces évènements extrêmes soient rares, il est utile de savoir comment se protéger lors de l’éventuelle rencontre de tels monstres météorologiques.
1. Un phénomène aussi bref qu’intense
Les vents les plus puissants sur Terre, avec des vitesses pouvant atteindre, voire dépasser 400 km/h, sont dus aux tornades. Ces phénomènes violents laissent de leur passage des traces impressionnantes de torsion, de succion, d’arrachage, de soulèvement, signes de mouvements à la fois convergents, ascendants et tourbillonnants. Les destructions qui les accompagnent sont toujours considérables, avec parfois des pertes en vies humaines. La détection des tornades est difficile, ce qui ne permet pas de lancer des alertes efficaces, mais il est possible d’identifier un risque potentiel lorsque l’atmosphère est très instable avec un vent très changeant en fonction de l’altitude.
Une tornade est un tourbillon atmosphérique de vents intenses, d’axe quasi-vertical et de sens cyclonique (contraire au sens horaire dans l’hémisphère nord, dans le sens horaire dans l’hémisphère sud), qui s’étend comme une colonne ou un cône, le Tuba. Ce tourbillon est situé sous la base d’un nuage convectif développé, cumulonimbus ou plus rarement cumulus congestus (Figure 1). Les tornades se produisent dans la partie centrale des orages, et elles sont souvent accompagnées de fortes pluies, de chutes de grêle et d’une intense activité électrique.
Le diamètre du tuba varie de quelques dizaines à quelques centaines de mètres. Son extension verticale visible va de quelques centaines de mètres à 2-3 kilomètres, mais sa partie supérieure cachée dans la masse nuageuse s’étend beaucoup plus haut, jusqu’à 8-10 kilomètres d’altitude. La durée de vie d’une tornade est assez brève, quelques minutes tout au plus, mais le rapide déplacement des orages violents qui leur donnent naissance explique que leur impact au sol peut s’étendre sur plusieurs kilomètres. De plus, les orages passent souvent par des cycles de dissipation et de re-développement. Ils peuvent ainsi donner successivement naissance à plusieurs tornades, plus ou moins puissantes.
Comment reconnait-on la naissance d’une tornade ? Un des principaux signes précurseurs du développement d’une tornade est l’apparition quasi-simultanée d’une excroissance descendant sous la base du nuage et d’un fort tourbillon de poussières au sol. Un tuba apparait alors entre ces deux points. Il est rendu visible par la condensation de l’humidité atmosphérique en gouttelettes d’eau liquide en raison de la chute de pression associée au tourbillon. Initialement fluctuant, le tuba se stabilise en position verticale et il s’élargit lorsqu’il s’intensifie. Les plus puissantes tornades ont une apparence très turbulente, accompagnées d’une sombre masse de débris de toutes sortes soulevés par les vents violents. Les trombes sont des tornades qui se produisent au-dessus des surfaces liquides (mers ou lacs), elles suivent à peu près la même évolution que les tornades de faible intensité. Le pied d’une trombe est entouré d’un anneau d’écume haut d’une dizaine de mètres, semblable au buisson de poussières et de débris à la base des tornades terrestres.
2. Des dégâts plus ou moins importants
En 1981, le météorologue américain Théodore T. Fujita a proposé une échelle d’intensité pour classer les tornades à partir des dommages et destructions qu’elles causent.
Tableau : Echelle d’intensité des tornades selon T.T. Fujita (1981) [1]
3. Répartition mondiale des tornades
Les grandes plaines qui s’étendent au centre du continent nord-américain, entre les Appalaches et les Rocheuses, sont la région au monde où les tornades sont les plus fréquentes, en relation avec une très forte activité orageuse au printemps et au début de l’été. Elles sont responsables de la mort d’une centaine de personnes par an en moyenne et elles occasionnent chaque année des dommages dont le montant se chiffre en centaines de millions de dollars. Dans le nord du Texas, l’Oklahoma, le Kansas et le Nebraska, une aire à risque est connue sous l’appellation de Tornado Alley, où peuvent se produire 5 évènements par an et par zone de 10 000 km2.
Au niveau mondial, les zones touchées par les tornades se trouvent principalement aux latitudes moyennes. Dans l’hémisphère nord, ces phénomènes s’observent en Europe et en Russie, à l’est de l’Inde et au Bangladesh, sur la partie littorale de la Chine et au Japon. Dans l’hémisphère sud, des tornades surviennent en Australie du sud et de l’est, en Afrique du Sud et entre le nord de l’Argentine et le sud du Brésil. Les zones tropicales et équatoriales sont plus épargnées, mais des trombes marines sont parfois observées.
En France, l’étude climatologique de Jean Dessens et John T. Snow [2], publiée en 1989, révèle trois zones plus exposées : le nord-ouest dans une bande de territoire allant du Poitou à la Picardie et à la Champagne, l’est entre le Lyonnais et le Jura, et la côte méditerranéenne. La plupart des tornades se produisent entre mai et septembre, période de fréquente activité orageuse. Quelques unes sont néanmoins observées en hiver, en relation avec le passage de fronts froids particulièrement actifs. En moyenne, il se produit une à deux tornades faibles (d’intensité F0 ou F1) par an et par département. Les risques de tornades fortes (F3, F4 ou F5) semblent limités aux régions les plus actives, avec une fréquence moyenne d’un évènement tous les 5 ans environ.
L’évènement qui a frappé le val de Sambre, dans le département du Nord, au cours de la soirée du 3 août 2008 a ainsi été analysé comme une tornade de catégorie F3 ou F4. Suivant une trajectoire longue d’une vingtaine de kilomètre, la tornade a touché plusieurs communes, avec un maximum d’intensité à Boussières-sur-Sambre et à Haumont. Trois personnes sont décédées, dix-huit ont été blessés, et de nombreuses habitations ont été détruites. Le montant des dévastations a été évalué à environ 2 millions d’euros. C’est, à ce jour, la plus violente tornade ayant frappé la France depuis plus de 30 ans.
4. Au cœur des tourbillons
Quelle est la mécanique des tourbillons ? Tout repose sur la vorticité, grandeur vectorielle qui mesure localement la rotation d’un écoulement fluide, ici l’air (voir Focus) ; elle se mesure en tours pas seconde. On appelle vortex ou, plus simplement, tourbillon, une région de fluide avec une forte vorticité. L’axe du vortex est la direction vers laquelle pointe le vecteur vorticité. Des variations transverses de la vitesse ou de la direction du vent peuvent aussi engendrer une vorticité ambiante.
La vorticité peut varier en direction ou en intensité pour plusieurs raisons. D’abord cette quantité peut être transportée horizontalement ou verticalement par les mouvements de l’air comme une caractéristique du fluide, on appelle cela l’advection. Les variations de vitesse jouent un double rôle dans l’évolution du tourbillon : un peu comme les patineurs accélèrent (ou ralentissent) leur rotation en resserrant (ou en écartant) leurs bras, la vorticité s’intensifie (ou s’atténue) lorsqu’il y a convergence (ou divergence) du vent, c’est l’effet de convergence. D’autre part, des cisaillements horizontaux ou verticaux, c’est-à-dire des variations transverses des composantes du vent provoquent des changements de direction de la vorticité sans en modifier l’intensité, on parle d’inclinaison. Ainsi un tourbillon d’axe horizontal transporté par un flux horizontal voit son axe devenir progressivement vertical lorsque le flux s’incline vers la verticale. Le tourbillon peut également s’intensifier en présence de variations simultanées, et dans des directions différentes, de la vitesse de l’air et de sa température, c’est l’effet barocline. Il faut également prendre en compte l’effet de dissipation dû aux processus turbulents qui tendent à atténuer les variations spatiales de la vorticité.
Étudier la formation et l’évolution des tornades nécessite de décrire les sources de vorticité existant dans l’atmosphère, puis leur concentration dans des tourbillons de dimensions horizontales inférieures au kilomètre. Plusieurs phénomènes se succèdent. La première source de vorticité est la rotation de la Terre est une source de vorticité d’axe vertical dont l’intensité varie avec la latitude. Elle est maximum aux pôles avec une rotation par 24 h, et nulle à l’équateur. Mais on ne peut pas expliquer les tornades par la concentration de cette vorticité ambiante car le temps nécessaire pour aboutir aux valeurs typiques des tornades – 1 rotation par quelques secondes, soit une amplification par un facteur supérieur à 10 000 – par l’un des processus évoqués plus haut nécessiterait des temps beaucoup plus longs que la durée de vie moyenne des orages (quelques heures tout au plus).
Deuxième source de vorticité, qui constitue un réservoir plus important : le cisaillement vertical du vent horizontal, en intensité ou en direction. Ainsi, une variation de la vitesse du vent de 20 m/s sur une distance verticale de 10 000 m donne une vorticité de 2 10-3 s-1. Cette valeur est équivalente à une période d’une heure environ pour effectuer un tour complet. C’est déjà 25 fois plus rapide que la rotation terrestre au pôle. Le puissant mouvement tourbillonnaire associé aux tornades résulte de l’inclinaison vers la verticale de cette vorticité horizontale ambiante, puis de son amplification par les mouvements convergents, et de son transport en altitude ou vers le sol par les courants ascendants et descendants.
En terme de vorticité, le développement d’un courant ascendant – tel celui qui accompagne le développement d’un orage – dans un environnement sujet à un cisaillement vertical du vent horizontal produit une déformation de l’axe du tourbillon ambiant par l’effet d’inclinaison (Figure 2). Le courant ascendant est alors associé à un doublet de tourbillons cyclonique et anticyclonique. Mais ces deux tourbillons de sens contraires n’ont pas le même destin. En effet, le cisaillement de vent n’est en général pas constant, souvent il change de direction avec l’altitude. Ainsi, dans l’hémisphère nord le vent peut provenir du sud-est dans les basses couches, du sud-ouest en moyenne troposphère et du nord-ouest avec une plus forte intensité à haute altitude. Dans une telle situation, les perturbations de pression associées aux mouvements cycloniques génèrent une force verticale qui amplifie le courant ascendant, alors qu’elles l’atténuent du côté anticyclonique qui disparait assez rapidement. Bientôt la vorticité du courant ascendant s’oriente parallèlement à sa vitesse, formant un flux de Beltrami stable et résistant à la dissipation turbulente.
Après une phase initiale de concentration et de transport en altitude du tourbillon cyclonique associé au courant ascendant, le développement du courant descendant ouvre une nouvelle phase. D’une part, le maximum de vorticité cesse son ascension et redescend vers de plus basses altitudes. D’autre part, le fort contraste de vent horizontal et de température entre courants ascendant chaud et descendant froid renforce le tourbillon à leur interface (Figure 3).
A ce moment-là apparaît le nuage-mur, excroissance en rotation qui se développe sous la base du nuage et dont la rotation commence à être visible à l’œil nu. Cette structure large de quelques centaines de mètres est la marque d’un puissant tourbillon prêt à donner naissance à une tornade. Sa période de rotation est de quelques minutes, soit une vorticité de 10-2 à 10-1 s-1 (10 à 100 fois plus intense que celle associée au cisaillement de vent, et une vitesse du vent tourbillonnant de 50 à 100 km/h). La tornade se forme entre le nuage-mur et le sol par concentration du tourbillon entre courants ascendant et descendant, dans une zone où les précipitations sont fortes, les rafales violentes, et où l’activité électrique est généralement soutenue.
L’intensification progressive du courant descendant au cours de l’évolution de l’orage augmente la quantité d’air froid dans les basses couches, ce qui réduit d’autant l’apport en air chaud et humide alimentant le courant ascendant. Ce dernier s’atténue progressivement, et la puissance du tourbillon diminue au sein de l’orage. Privée de son mécanisme amplificateur et déformée par la progression de l’air froid, la tornade se dissipe progressivement après avoir subi étirements et ondulations. Mais l’activité orageuse peut se redévelopper un peu plus tard et engendrer à nouveau le processus d’inclinaison, concentration et transport de la vorticité ambiante liée au cisaillement de vent. Ainsi il n’est pas rare d’observer des occurrences successives de tornades au cours du déplacement d’un même orage, multipliant les dommages causés.
5. Anatomie des tornades
L’aspect et la puissance destructrice d’une tornade dépendent de l’intensité du tourbillon engendré par l’orage. Mais, en raison de sa taille réduite (quelques dizaines à quelques centaines de mètres tout au plus), et de la violence des vents qui y soufflent, il n’est pas facile d’y conduire des observations précises. Aussi les connaissances actuelles proviennent-elles surtout d’observations à distance par des moyens optiques (photogrammétrie) ou à l’aide de radars météorologiques mobiles déployés à proximité de ces dangereux phénomènes par des expérimentateurs intrépides. Depuis quelques années, des simulations numériques à très haute résolution ont également fourni des informations utiles.
Les tornades de faible intensité (d’échelle F0 à F1) présentent un tuba d’aspect lisse avec un flux ascendant en leur centre (Figure 4a). L’écoulement est plutôt régulier et la rotation de l’air s’effectue à vitesse angulaire constante, comme celle d’un corps solide. Cette situation est appelée tourbillon de Rankine.
Pour les tornades d’intensité moyenne (d’échelle F2 à F3), le tuba présente une apparence plus turbulente (Figure 4b). Des zones de décollement où la vitesse verticale devient descendante le long de l’axe central, se forment en altitude. A mesure que l’intensité augmente, ces régions deviennent plus nombreuses et elles progressent vers la surface du sol, associées à un élargissement et à des ondulations du tuba.
Dans les tornades de forte intensité (d’échelle F4 ou F5), le flux est descendant au centre de la circulation (Figure 4c). La symétrie cylindrique de l’écoulement disparaît progressivement et des tourbillons secondaires se forment fréquemment à quelques dizaines ou centaines de mètres de l’axe, tournant autour de l’axe central. Leur nombre augmente avec l’intensité de la tornade, on peut en dénombrer jusqu’à six en même temps pour les tornades les plus puissantes. Néanmoins il est difficile de distinguer visuellement ces tourbillons multiples au sein du vaste ensemble de débris de toutes sortes arrachés en surface par les vents violents. Dans de telles situations, les vents résultent de la combinaison de tous ces mouvements de rotation, ce qui explique l’importance des dévastations que provoquent les plus puissantes tornades.
6. Comment se protéger ?
Même si la probabilité de rencontrer une tornade est assez faible – à moins de résider dans la Tornado Alley au centre des Etats-Unis d’Amérique – il est utile de connaître les mesures à prendre face à ces dangereux phénomènes. Si les tornades de faible intensité (F0 et F1) ne sont en fait que des coups de vent tourbillonnants un peu violents, elles n’en risquent pas moins de provoquer des accidents matériels ou corporels par chutes de branche ou de tuiles, ou renversement de constructions légères. Lorsqu’en période orageuse, on aperçoit une excroissance conique se développant de la base d’un nuage vers le sol, signe annonciateur de la formation d’une tornade, il convient donc de chercher l’abri d’une construction en dur .
Les tornades d’intensité moyenne (F2 et F3) et surtout forte (F4 et F5) ont des conséquences matérielles beaucoup plus graves et peuvent mettre en péril des vies humaines. On les distingue essentiellement par le caractère turbulent du tuba et par la largeur du tourbillon de débris. Elles s’accompagnent aussi d’un bruit intense, semblable selon les témoins à celui du passage d’un train ou du décollage d’un avion. En premier lieu, il faut savoir que les orages à tornades se propagent très vite, à des vitesses pouvant atteindre 100 km/h. Aussi, lorsqu’une tornade se produit à proximité, il est toujours préférable de se protéger sur place, plutôt que de chercher à fuir, même à bord d’un véhicule, car la tornade peut éventuellement le rattraper.
La meilleure protection est celle qu’apportent les fondations d’un bâtiment ou les caves. Si cela n’est pas possible, il faut rechercher abri dans la pièce la plus centrale, en se protégeant avec des couvertures ou des matelas. Il faut surtout éviter de se tenir à proximité des portes et fenêtres, aisément arrachées et pulvérisées par les vents violents, et qui exposent alors aux débris projetés en l’air à très grande vitesse. Lorsqu’il n’y a pas de refuge en dur, on peut trouver une certaine protection en s’allongeant dans un creux de terrain et en se protégeant la tête avec les bras pour offrir le moins de prise possible aux vents violents. Dans tous les cas, il faut surtout éviter de rester dans une structure qui n’offre pas de protection suffisante, comme les automobiles, les camions, les caravanes, les mobile-homes, facilement emportés et détruits par les tornades. C’est malheureusement l’erreur fatale que commettent la plupart des victimes croyant à tort y trouver refuge.
Références et notes
[1] T.T. Fujita, 1981 : Tornadoes and Downbursts in the Context of Generalized Planetary Scales. J. Atmos. Sci., 38, 1511-1534.
[2] J. Dessens et J.T. Snow, 1989: Tornadoes in France. Weather Forecasting, 4, 110–132
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Pour citer cet article : ROUX Frank (20 septembre 2018), Les tornades : de puissants tourbillons dévastateurs, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/les-tornades/.
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