Les végétaux et les lichens sentinelles de la qualité de l’air
PDFLa pollution atmosphérique exerce des effets sur la santé et sur l’environnement. Il est possible de suivre et d’évaluer l’impact des polluants sur les écosystèmes terrestres en observant à différentes échelles les végétaux, les mousses et les lichens. Ce concept existe depuis le XIXe siècle et les méthodes se sont depuis largement développées et ont su s’adapter à l’évolution constante de la pollution atmosphérique. De nos jours nous disposons de plusieurs approches permettant d’observer les impacts des polluants sur les communautés végétales, sur la physiologie des différentes espèces modèles voire sur l’expression de certains de leurs gènes. La biosurveillance est une discipline en constante évolution qui sait s’adapter aux challenges actuels tels que ceux posés par l’évolution climatique.
La pollution atmosphérique a d’importants impacts sanitaires et environnementaux. Les conséquences sanitaires font l’objet de très nombreuses publications épidémiologiques et toxicologiques qui montrent non seulement des effets sur l’appareil cardio-vasculaire mais également et de plus en plus, sur des pathologies telles que le diabète ou les maladies neurodégénératives. Les impacts environnementaux ont eux aussi été de longue date étudiés. Ainsi, les récits de voyages recèlent des observations de dégâts de la pollution sur les forêts, de même que de nombreuses toiles présentent des scènes où l’on peut également observer les sources ou les impacts des polluants. Plus proche de nous, dans les années 1980, le dépérissement forestier a permis de médiatiser au niveau européen la problématique de la pollution atmosphérique par le dioxyde de soufre, ses impacts environnementaux et à contribuer à faire prendre conscience du caractère transfrontalier de la pollution. Depuis, les exemples se sont multipliés, jusqu’à nos jours avec de nombreuses interrogations sur les changements globaux. L’observation des effets de la pollution atmosphérique sur l’environnement a ainsi permis de mettre au point des outils de suivi, complémentaires des approches physico-chimiques. Rassemblés sous le terme de biosurveillance, ils sont basés pour beaucoup d’entre eux sur l’utilisation des végétaux et des lichens sont de véritables sentinelles de la qualité de l’air.
1. La biosurveillance de la qualité de l’air : concepts et applications
La biosurveillance de la qualité de l’air est donc l’utilisation, à différentes échelles, d’organismes vivants tels que les végétaux ou les champignons pour suivre les effets de la pollution. Elle est apparue au XIXe siècle. Nous pouvons par exemple citer les travaux de Wilhelm Nylander [1], lichénologue finlandais, qui a observé notamment à Paris lien entre la régression entre certaines espèces de lichens [2] et l’importance de la pollution de l’air. La biosurveillance a été récemment définie par l’AFNOR comme l’utilisation de systèmes biologiques (organismes et communautés d’organismes) pour suivre les changements de l’environnement dans l’espace et/ou dans le temps.
1.1. Les différents concepts de la biosurveillance
La biosurveillance comprend différents concepts (ceux-ci ont également été récemment redéfinis par l’AFNOR [3]) tels que :
- Un bioindicateur est un organisme, ou une partie d’un organisme ou d’une communauté d’organismes (biocénose) fournissant des informations sur les impacts environnementaux.
S’il est, en théorie, possible d’observer les réactions de n’importe quel organisme, en réalité ceux utilisés comme bioindicateurs doivent avoir un certain nombre de caractéristiques. Ainsi, un bioindicateur :
- doit être connu scientifiquement (sa biologie et son écologie doivent être maîtrisées : nutrition, voies d’exposition aux polluants, reproduction, place dans la chaîne trophique…),
- être lié ou corrélé à des fonctions de l’écosystème. Ainsi ses réactions pourront être reliées à une échelle plus importante au niveau de l’écosystème,
- intégrer des propriétés ou des processus physiques, chimiques et biologiques du milieu,
- pouvoir rendre compte notamment des méthodes de gestion et des différents types de pollution des milieux,
- présenter des qualités de mesure (précision, fiabilité, robustesse),
- être validé (connaître l’amplitude des réponses liées aux variations naturelles),
- être facile à utiliser et ne pas être une espèce rare et/ou protégée (facilité de détermination, possibilité d’échantillonnage).
- Il est également possible d’utiliser des organismes bioaccumulateurs qui peuvent renseigner sur les conditions environnementales et leur modification en accumulant, en surface et/ou intérieurement, des substances présentes dans l’environnement.
- Enfin, un indicateur d’effet est un organisme qui peut renseigner sur les conditions environnementales et leurs modifications, soit par la manifestation de symptômes spécifiques (moléculaires, biochimiques, cellulaires, physiologiques, anatomiques ou morphologiques), soit par sa présence/absence dans l’écosystème.
1.2. Domaine d’utilisation de la bioindication de la qualité de l’air
La qualité de l’air fait l’objet d’une surveillance continue à l’aide d’un système de réseaux de capteurs gérés par des Associations Agréées de la Qualité de l’Air. Ces associations ont comme missions fondamentales de mesurer les concentrations en polluants réglementés, de surveiller que ces concentrations ne dépassent pas les seuils fixés par la réglementation et d’informer, les autorités et le grand public sur la qualité de l’air.
La biosurveillance végétale et fongique concerne les effets des polluants atmosphériques sur des végétaux (tels que le tabac, le ray-grass, les pétunias…) ou des lichens corticoles. Elle se fonde sur l’observation des réactions de ces organismes, dans leur environnement et leurs réponses suite à leur exposition aux polluants. La biosurveillance apporte des informations parfaitement complémentaires aux mesures physico-chimiques des capteurs qui renseignent sur les concentrations des polluants dans l’air.
Dans de nombreux cas, les organismes utilisés en biosurveillance se développent dans le milieu étudié (biosurveillance passive). Néanmoins, lorsqu’ils sont absents de ce milieu, il est possible d’amener des organismes (plantes, mousses, lichens…) sur des sites par transplantation (biosurveillance active). Il existe de très nombreuses techniques de transplantation dont certaines sont normalisées. A noter que les transplants sont soit des organismes cultivés (c’est le cas avec les végétaux supérieurs) ou prélevés dans un milieu non pollué (c’est le cas avec les mousses et les lichens qui ne se cultivent pas).
2. Exemples d’applications de la biosurveillance végétale et fongique
2.1. L’évolution des communautés lichéniques et végétales
Les premières observations « modernes » ont porté sur l’évolution des communautés lichéniques. Dans les années 1970 -1980, les polluants atmosphériques majoritaires en Europe de l’Ouest étaient le dioxyde de soufre et les poussières en suspension (SO2 et PS), principalement d’origine industrielle. A cette époque, différents auteurs tels qu’Hawksworth et Rose [4] en Angleterre ou Van Haluwyn et Lerond [5] en France ont étudié l’impact de ces polluants sur les communautés lichéniques épiphytes (se développant sur les troncs d’arbres, Figure 1). Ces auteurs ont observé un impact clair de la pollution atmosphérique sur la composition spécifique des communautés lichéniques (diminution de la richesse spécifique mais également modification de la composition des populations de lichens observées sur les troncs avec une augmentation de la pollution), à l’instar de Nylander précédemment cité. Ils ont élaboré différentes méthodes d’appréciation des effets des polluants atmosphériques directement sur le terrain, par l’observation des espèces de lichens. Ces méthodes étaient basées notamment sur l’observation de la présence, de l’abondance d’espèces plus ou moins sensibles aux polluants. La situation de la pollution atmosphérique a progressivement évolué et s’est complexifiée (diminution du SO2, augmentation des concentrations d’azote, d’ozone, de composés organiques…).
L’échelle mise au point par Van Haluwyn et Lerond, réalisée grâce à une approche lichénosociologique, a permis d’évoluer vers une notion d’impact global de la qualité de l’air faisant référence ainsi à l’effet du cocktail de polluants. La méthode lichénosociologique se base sur l’observation de groupes d’espèces caractéristiques d’une aire géographique et de l’évolution de ces groupes en fonction de la pollution. Cette échelle est maintenant remplacée par une nouvelle méthodologie basée sur un indice (Indice Biologique Lichens Epiphytes – IBLE) normalisée au niveau de la France (AFNOR) [6] et développée au niveau européen. Cet indice ce base sur la diversité appréciée par la présence/absence, la fréquence et le recouvrement des espèces. Les variations de l’IBLE montrent une augmentation ou une diminution de la diversité.
L’évolution des communautés végétales, fongiques et animales est également reliée au changement climatique. Celui-ci en faisant évoluer les paramètres environnementaux provoque une modification des aires de répartition de différentes espèces (progression en altitude, vers le nord…) qui peuvent être suivies. C’est une application plus récente de la biosurveillance.
2.2. L’imprégnation des organismes sentinelles
Certains organismes ont la capacité d’accumuler au sein de leurs tissus les polluants sans pour autant présenter d’impacts physiologiques importants. Cette propriété est mise à profit afin d’évaluer la contamination de l’environnement par les polluants. C’est certainement l’approche de la biosurveillance la plus utilisée actuellement. Tous les polluants ne peuvent être suivis de cette façon, seuls ceux qui peuvent s’accumuler dans les organismes de façon significative le sont. Il s’agit par exemple des métaux, des éléments radioactifs, des polluants organiques persistants (dioxines, furanes, PCB…), de certains composés azotés… La quantité de polluants accumulée traduit la part biodisponible. Il faut donc prendre garde à ne pas quantifier la pollution atmosphérique directement à partir des observations. Ces concentrations montrent l’imprégnation de l’environnement et permettent également d’étudier le transfert des polluants au sein des chaînes trophiques et participent ainsi à l’évaluation du risque sanitaire. Ceci est particulièrement le cas lorsque les contaminations sont évaluées avec des végétaux directement consommés par l’homme. Des méthodologies, telles que par exemple le protocole BARGE, permettent de calculer à partir de la consommation de végétaux contaminés par des métaux d’évaluer la part qui sera absorbée par l’organisme et ainsi d’évaluer en fonction de la toxicité des polluants le risque sanitaire.
Ainsi, de nombreuses méthodologies permettent de réaliser des suivis spatio-temporels de l’imprégnation de l’environnement par les polluants (contamination de la contamination métalliques à l’aide des lichens, des transplants de Ray-Grass, de mousses…). Ce type d’approche pouvant se mener très localement (à proximité d’une source industrielle par exemple) comme sur de vastes étendues (à travers l’Europe comme lors du programme ICP végétation). Ces travaux ont également bénéficié du développement des outils de géo statistique et de cartographie (apports importants des Systèmes d’Informations Géographiques –SIG) qui permettent actuellement d’obtenir des cartographies très précises et statistiquement fiables (Figure 2).
2.3. La biosurveillance basée sur l’’observation de symptômes chez les végétaux
Certains polluants vont provoquer sur les végétaux des symptômes caractéristiques, visibles (lire l’article Quel est l’impact des polluants de l’air sur la végétation ?). L’exemple le plus significatif est celui de l’ozone qui provoque des nécroses foliaires. Nous disposons de plusieurs modèles, le plus « célèbre » étant le tabac Bel W3 dont l’utilisation en biosurveillance est normalisée (norme AFNOR X95-900) [7]. L’ozone provoque chez cette espèce des nécroses foliaires blanches, ivoires (Figure 3). Lors de l’exposition, la formation de nécroses chez les plants de variété « Bel W3 » est comparée celle avec les plants de variété « Bel B » plus résistants, afin d’évaluer les dégâts dus à l’ozone et de confirmer qu’il ne s’agit pas de dégâts provoqués par des organismes phytopathogènes.
Les dégâts foliaires causés par l’ozone apparaissent à partir d’une concentration de 80µg/m3. Plus la concentration d’ozone est importante, plus la surface foliaire nécrosée l’est également. Le relevé de cette surface nécrosée est réalisé de manière hebdomadaire, sur les différents sites où sont disposés les plants, les feuilles sont comparées à des photos de référence.
Une explication plus détaillée du protocole est disponible sur le site de l’APPA, l’Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique.
Toujours pour évaluer les effets de l’ozone, il est également possible de suivre la croissance de plants de trèfle (Trifolium repens L., variété « Regal » écotype NC-S sensible comparé à l’écotype NC-R plus résistant). L’ozone provoque dans ce cas un ralentissement de la croissance. Cependant, l’ozone n’est pas le seul polluant dont les effets peuvent être visibles. Ainsi, le Petunia hybrida peut être utilisé pour mettre en évidence les effets des composés organiques volatils (Figure 4). Ces polluants modifient les paramètres de croissance et de floraison des plants exposés.
2.4. Passer du visible à l’invisible
De nos jours, les effets des polluants sont le plus fréquemment non perceptibles à l’œil nu. De plus, lorsque les dégâts visibles se manifestent, il est souvent « trop tard ». Des travaux ont, depuis de nombreuses années, permis la mise au point de biomarqueurs d’exposition et/ou d’effet des plants aux polluants. Ces biomarqueurs sont de natures très diverses, alliant le suivi de réponses physiologiques (atteintes de la respiration cellulaire, de la photosynthèse…) au suivi de mécanismes de compensation (systèmes antioxydants enzymatiques ou non…) ou d’effets (cassures de l’ADN, formation de micronoyaux, de « comètes » telles que présentées dans la Figure 5, etc.).
De nos jours, les travaux de recherches s’orientent vers des outils d’écotoxicogénomique. Il s’agit dans ce cas de suivre l’expression d’une série de gènes d’intérêts, c’est-à-dire qui codent pour des protéines intervenant dans des mécanismes de prise en charge des polluants et de leurs conséquences au sein des cellules.
L’objectif de toutes les méthodes évoquées dans ce paragraphe est de développer des indicateurs précoces des effets des polluants mais aussi spécifiques de polluants.
3. Points à retenir
- Des végétaux, mousses et lichens sont utilisés comme indicateurs des impacts de la pollution atmosphérique sur l’environnement.
- Ce sont les lichens se développant sur les troncs d’arbres qui ont ouvert la voie à la biosurveillance. La méthodologie utilisée de nos jours détermine l’Indice Biologique Lichens Epiphytes (IBLE) qui est basé sur la diversité, la fréquence et le recouvrement des lichens sur les troncs. Cet indice est relié aux impacts de la qualité de l’air.
- Certains organismes ont la propriété d’accumuler des polluants dans leurs tissus sans présenter d’impacts physiologiques. Ils permettent de réaliser des suivis spatio-temporels de l’imprégnation de l’environnement par ces polluants.
- L’ozone a la particularité de provoquer des nécroses sur les feuilles des végétaux. Elles sont en particulier observables sur les feuilles de tabac, d’autres polluants affectent la croissance du trèfle ou la floraison des pétunias. Ces végétaux modèles sont utilisés dans des démarches de biosurveillance.
Références et notes
Image de couverture. Parmelia sulcata : lichen foliacé couramment utilisé en biosurveillance pour ses capacités d’accumulation d’éléments traces. © Damien Cuny.
[1] Nylander, W. (1896). Les lichens des environs de Paris. Librairie des Sciences Naturelle, Paul Klincksieck, Paris.
[2] Les lichens sont des organismes formés par la symbiose d’un champignon et d’une algue. Ils appartiennent au règne des champignons. Dépourvu de racine, tige, feuille, leur organisme végétatif s’appelle un thalle. Ils dépendent des échanges avec l’atmosphère pour leur nutrition hydrique et minérale. La photosynthèse réalisée par les cellules algales au sein du thalle permet la synthèse des composés organiques.
[3] Leblond S., Gombert-Courvoisier S, Louis-Rose S. (2014). Normalisation dans le domaine de la biosurveillance de la qualité de l’air. Workshop International Biosurveillance Végétale et Fongique de la Qualité de l’Air, Lille, France, 13 & 14 octobre 2014.
[4] Hawksworth, D.L. Rose, F. (1970). Qualitative scale for estimating sulphur dioxide air pollution in England and Wales using epiphytic lichens, Nature, 227, 145-148.
[5] Van Haluwyn C., Lerond M. (1986). Les lichens et la qualité de l’air : évolution méthodologique et limites. Rapport n°2130, Paris, Ministère de l’Environnement (SREIE).
[6] AFNOR (2008). Biosurveillance de l’air — Détermination de l’Indice Biologique de Lichens Epiphytes (IBLE), Norme NF X43-903. Paris, AFNOR.
[7] AFNOR (2008). Biosurveillance de l’air — Bioindication de l’ozone par le tabac, Norme NF X43-900. Paris, AFNOR.
L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.
Pour citer cet article : CUNY Damien (19 septembre 2018), Les végétaux et les lichens sentinelles de la qualité de l’air, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/air/vegetaux-lichens-sentinelles-qualite-de-lair/.
Les articles de l’Encyclopédie de l'environnement sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons BY-NC-SA qui autorise la reproduction sous réserve de : citer la source, ne pas en faire une utilisation commerciale, partager des conditions initiales à l’identique, reproduire à chaque réutilisation ou distribution la mention de cette licence Creative Commons BY-NC-SA.