La température moyenne de la Terre
PDFLe changement climatique global est un sujet de préoccupation majeur. Il part du constat fait par la communauté scientifique que les activités humaines sont à l’origine d’un réchauffement planétaire présent et futur. Mais peut-on vraiment définir la température moyenne de la planète et si oui la mesurer ? Peut-on vraiment atteindre une précision de quelques dixièmes de degrés lorsqu’on donne les tendances au réchauffement du dernier siècle ou que la communauté internationale se fixe un objectif de limiter le réchauffement à seulement 2°C voire 1,5°C ? Nous abordons ici la question des méthodologies de détermination de la température moyenne à la surface de la Terre, celle des précisions des reconstructions actuelles, et les questions du constat et des causes de son évolution récente.
- 1. La moyenne de la température planétaire a-t-elle un sens ?
- 1.1. Lien entre bilan en énergie et température planétaire
- 1.2. La température moyenne ? un indicateur statistique !
- 1.3. Exemple 1 : impact des gaz à effet de serre sur la température moyenne de la Terre
- 1.4. Exemple 2 : effet des paramètres orbitaux de la Terre sur sa température moyenne
- 1.5. En résumé
- 2. Reconstruction de la température moyenne planétaire à partir de données instrumentales
- 3. Comment et pourquoi la température moyenne planétaire a-t-elle évoluée au cours des deux derniers siècles ?
- 4. Messages à retenir
1. La moyenne de la température planétaire a-t-elle un sens ?
1.1. Lien entre bilan en énergie et température planétaire
Le système climatique (atmosphère, océan, calottes de glace, végétation etc.) reçoit l’essentiel de son énergie du Soleil (Figure 1) [1]. Cette énergie reçue sous forme de rayonnement correspond sensiblement au rayonnement d’un corps noir d’une température d’environ 5 800°K (Lire Le rayonnement thermique du corps noir), principalement dans le domaine du visible. À sa traversée dans l’atmosphère, ce rayonnement est pour partie réfléchi ou diffusé par les nuages, les particules en suspension (aérosols) et les gaz atmosphériques. Une autre part de ce rayonnement est absorbée par ces gaz et les aérosols. Une part seulement du rayonnement solaire atteint la surface où il est pour partie aussi réfléchi. C’est donc seulement environ la moitié du rayonnement solaire incident au sommet de l’atmosphère (340 W/m2) qui est absorbé à la surface de la Terre (160 W/m2).
Cet apport d’énergie pour les océans et les continents est, à l’équilibre, compensé par une perte énergétique équivalente. Cette perte s’effectue soit sous forme radiative, soit sous forme de transferts de chaleur liés à la conduction (dite chaleur sensible) ou liés aux changements de phase de l’eau (dite chaleur latente). Ces pertes énergétiques sont toutes fonctions de la température de la Terre, en particulier le rayonnement émis par la surface qui est proche de celui d’un corps noir de 288°K et se situe donc dans le domaine de l’infrarouge.
C’est pour tendre vers cet équilibre énergétique à la surface, mais aussi au sommet de l’atmosphère, que la température terrestre évolue. Mais même si ce mécanisme physique est bien connu, la notion de moyenne à l’échelle de la planète de la température terrestre n’est pas pour autant facile à appréhender.
1.2. La température moyenne ? un indicateur statistique !
La température d’un milieu solide liquide ou gazeux est une grandeur physique qui traduit l’agitation des particules qui le composent en un lieu donné. La somme de deux températures n’a donc pas de sens physique. Il en résulte qu’une moyenne de température sur un domaine étendu sur lequel elle varie d’un endroit à l’autre n’a pas d’interprétation physique directe. C’est donc le cas pour la température moyenne calculée sur l’ensemble de la surface de la Terre, recouvrant à la fois les régions tropicales chaudes et les régions polaires froides. Cependant, cette moyenne est un indicateur statistique qui s’avère très utile pour évaluer des évolutions climatiques à l’échelle planétaire, tant sur le passé qu’en projection pour les prochains siècles. La température moyenne planétaire reflète en effet des changements des climats qui sont eux explicables par des mécanismes physiques sous-jacents identifiables.
1.3. Exemple 1 : impact des gaz à effet de serre sur la température moyenne de la Terre
Un premier exemple est la différence de température moyenne que l’on peut estimer par le calcul du bilan d’énergie de la Terre due à la présence dans l’atmosphère de gaz à effet de serre d’origine naturelle. Ces gaz ont la propriété d’absorber le rayonnement infrarouge émis à la surface de la Terre puis de le réémettre pour partie vers cette surface et ainsi la réchauffer davantage (Figure 1). Il s’agit en particulier de la vapeur d’eau, du dioxyde de carbone (CO2) et du méthane (CH4) pour ne citer que les principaux. Leur contribution à la température moyenne de la planète est de l’ordre de 33°C d’effet réchauffant, amenant cette température d’environ -18°C à +15°C.
Il faut noter que ce calcul n’a de sens que « toutes choses égales par ailleurs », car si la température de la Terre se refroidissait d’une trentaine de degrés, un changement de la couverture de glace à sa surface entraînerait un refroidissement additionnel dû à l’augmentation de la réflexion du rayonnement solaire (effet de rétroaction glace-albédo).
1.4. Exemple 2 : effet des paramètres orbitaux de la Terre sur sa température moyenne
Un autre exemple de processus physique se traduisant par un écart important de la température moyenne planétaire a pour première origine les variations de l’excentricité de l’orbite de la Terre. L’orbite de la Terre autour du soleil est une ellipse dont l’excentricité, mesurant l’écart de sa forme à celle d’un cercle, varie entre 0 (orbite circulaire) et 0,06 sur le dernier million d’années avec un cycle principal d’environ 100 000 ans. Lorsque l’excentricité augmente, la distance moyenne de la Terre au soleil augmente et donc l’énergie radiative solaire reçue par notre planète diminue. Il s’ensuit, depuis environ un million d’années, un cycle climatique de 100 000 ans faisant alterner des périodes froides (glaciaires) et des périodes chaudes (interglaciaires).
La compréhension de ce cycle de 100 000 ans fait encore l’objet de recherches parce que les effets directs de la variation de la quantité d’énergie reçue par la Terre sont faibles. Certaines études [2] montrent qu’il faut aussi prendre en compte les effets des variations d’autres paramètres astronomiques (obliquité, précession ; voir l’animation Les moteurs de l’évolution naturelle du climat) et des effets physiques amplificateurs des écarts de température entre les périodes froides et les périodes chaudes :
- L’effet de rétroaction glace-albédo déjà évoqué : la diminution de la couverture de glace pendant les périodes chaudes réduit le pouvoir réfléchissant du rayonnement solaire (l’albédo) à la surface terrestre, ce qui contribue à accentuer le réchauffement par absorption d’un surcroît d’énergie radiative.
- L’effet de serre car les périodes chaudes sont aussi des périodes au cours desquelles les concentrations de gaz à effet de serre augmentent du fait de processus physiques et des évolutions des écosystèmes.
L’écart de température moyenne planétaire résultant entre la dernière période froide à son extrême (le dernier maximum glaciaire) il y a environ 21 000 ans et la période interglaciaire chaude que nous connaissons depuis environ 10 000 ans, est ainsi probablement compris entre 3°C et 8°C [3].
Animation « Les moteurs de l’évolution du climat » (Crédit : Museum de Toulouse, Mercator Océan)
1.5. En résumé
La température moyenne planétaire doit donc être perçue comme un indicateur statistique de l’évolution du climat à la surface de la Terre. Les deux exemples précédents montrent à quel point cet indicateur peut être sensible aux processus physiques et biologiques mis en jeu dans les équilibres climatiques de notre planète et plus particulièrement ceux qui ont un effet sur son bilan énergétique.
Par ailleurs, le deuxième exemple correspondant à une évolution observée du climat terrestre, montre qu’un écart de quelques degrés de cet indicateur correspond à des variations très significatives du climat. Les quelques degrés en moins au dernier maximum glaciaire correspondent en effet à des couvertures de glace beaucoup plus étendues dans l’hémisphère nord (par exemple recouvrant le nord des îles britanniques) et à un niveau des océans plus bas d’environ 130 mètres.
2. Reconstruction de la température moyenne planétaire à partir de données instrumentales
2.1. Observer la surface terrestre
Évaluer la température moyenne de la planète est un défi. La précision de cette estimation dépend en effet de la couverture des moyens d’observation de la surface terrestre tant les écarts de température d’une région à l’autre peuvent être importants. L’étude de l’évolution temporelle de la température moyenne suppose aussi que l’on dispose de séries de mesures ininterrompues et homogènes, c’est-à-dire corrigées des perturbations de la mesure liées en particulier aux changements de capteurs ou à l’évolution de l’environnement de la mesure.
Si quelques séries d’observations instrumentales marines [4] et terrestres [5] débutent au XVIIe siècle, il faut attendre 1856 pour voir apparaître le premier réseau d’observations météorologiques géré par Emmanuel Liais à l’Observatoire de Paris sous la direction de l’astronome français Urbain Le Verrier [6]. Les reconstructions de la température moyenne planétaire basées sur des mesures thermométriques ne remontent donc au plus tôt qu’à 1850.
Des reconstructions indirectes basées sur des estimations des températures utilisant des archives naturelles (carottages glaciaires, carottages sédimentaires, cernes d’arbres, coraux, …) et des modèles statistiques, ont aussi été réalisées par des équipes de recherches. Mais, même si elles portent sur des périodes de temps beaucoup plus longues, elles n’atteignent pas la précision ni la couverture quasi-planétaire des reconstructions instrumentales auxquelles nous nous limitons ici.
2.2. Les données sources
Trois équipes principales sont à l’origine de la reconstruction de la température moyenne planétaire débutant au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il s’agit des équipes américaines du NASA Goddard Institute for Space Science [7], de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) [8] et des équipes britanniques associées du Hadley Centre de l’UK Met-Office et de la Climate Research Unit de l’université d’East Anglia [9].
Les données sources sont pour partie communes à ces trois principales reconstructions et sont pour une large part accessibles :
- Pour les régions continentales, il s’agit des données du « Global Historical Climatology Network» [10] (GHCN) provenant d’observations de températures de l’air sous abri (Figure 2) d’environ 25 000 stations utilisées par les reconstructions de la NASA et de la NOAA pour la version la plus récente (GHCNv4).
- Pour les régions marines, il s’agit des données de l’ « International Comprehensive Ocean-Atmosphere Data Set » [4] (ICOADS).
Mais si les reconstructions américaines utilisent sur continent essentiellement les données GHCN, la reconstruction britannique n’en utilise qu’une partie complétée par des données directement obtenues auprès de services météorologiques nationaux ou d’autres bases de données climatiques internationales [11]. Par contre les trois reconstructions sont essentiellement basées sur les données marines ICOADS.
Les données de températures continentales utilisées sont mesurées dans l’air près de la surface, maintenant à une hauteur comprise entre 1,25 m et 2 m (1,5 m en France) selon les recommandations de l’organisation météorologique mondiale (Lire « Observations météo au sol : que mesure-t-on et qu’en fait-on ? »). Mais les mesures de température de l’air mesurées sur bateaux ou sur bouées sont moins précises que les mesures de température de l’eau en raison notamment d’une contamination des capteurs par le sel et de la difficulté d’évaluer la hauteur de la mesure au-dessus de la surface océanique dans le cas des bateaux. Les auteurs de reconstructions ont donc de ce fait choisi d’évaluer la température de surface marine non pas dans l’air mais dans l’eau (Figure 3). Ce choix n’a pas d’incidence sur l’étude de l’évolution de la température moyenne planétaire dans la mesure où les méthodes de calcul restent identiques pour l’ensemble de la période de chaque reconstruction. Il faut par contre bien sûr en tenir compte pour l’estimation des incertitudes (voir 2.3).
Les reconstructions des températures moyennes globales dépendent du recueil et de la sauvegarde de données d’observations anciennes actuellement archivées sur des supports documentaires. On peut donc s’attendre à ce que la couverture spatiale et temporelle des données s’améliore dans le futur, en particulier pour les périodes les plus reculées, au fur et à mesure du retraitement de données archivées comme celles recueillies dans le cadre du projet international I-DARE [12].
2.3. Les méthodes de calcul des moyennes
Les données sont dispersées dans l’espace et certaines régions restent mal couvertes sur le début des périodes de reconstruction. A l’inverse, certaines observations peuvent être concentrées sur certaines régions comme par exemple sur le continent européen et sur l’Atlantique Nord. Il faut donc appliquer des procédures de calcul de la moyenne qui prennent en compte cette hétérogénéité spatiale. Les procédures de calcul, différentes d’une reconstruction à l’autre, sont précisément documentées dans des publications de la littérature scientifique et nous n’en donnons ici qu’un très bref aperçu.
Pour la reconstruction britannique, les observations disponibles sont moyennées sur un maillage de 5° en latitude par 5° en longitude, sans aucune interpolation, avant de calculer une moyenne pondérée par les surfaces correspondantes pour obtenir la moyenne planétaire [9]. Pour la NASA, sur continent, l’étape intermédiaire principale consiste aussi à réaliser des moyennes sur une grille terrestre (de 8000 mailles d’égales surfaces), mais pondérées par la distance au centre de chaque maille dans un rayon de 1200 km [7]. La reconstruction continentale de la NOAA est quant à elle plus sophistiquée dans la mesure où elle passe par une étape d’interpolation (et d’extrapolation) des données au moyen de fonctions statistiques prenant en compte les corrélations spatiales entre observations (Empirical Orthogonal Teleconnection Functions ou EOTs). Le domaine d’influence de ces fonctions est limité à 2000 km en latitude et 4000km en longitude autour du centre de chaque maille [8]. Ce sont aussi ces fonctions statistiques qui sont utilisées dans les reconstructions américaines pour interpoler et extrapoler les données de température de surface marine sur une grille de 2° en latitude par 2° en longitude. Dans ce cas, le domaine spatial d’influence des EOTs est limité à 3000 km et 5000 km respectivement en latitude et longitude autour du centre de chaque maille [13].
Enfin les données sont calculées comme des écarts, ou anomalies, par rapport à une moyenne climatique (climatologie) sur une période de 30 ans, une durée là aussi recommandée par l’organisation météorologique mondiale. Le choix des périodes de référence n’est pas le même pour les trois reconstructions (1961-1990 pour les reconstructions britannique et de la NOAA ; 1951-1980 pour la reconstruction de la NASA), mais c’est sans incidence dès lors que l’on ne s’intéresse qu’à l’évolution temporelle de la température et non à sa valeur absolue difficile à interpréter. Cela a notamment pour avantage de s’affranchir des différences d’altitude des stations prises en compte pour le calcul de la moyenne dans une maille donnée.
Les reconstructions sont disponibles sur des grilles couvrant la planète (5° par 5° pour la NOAA [14] et la reconstruction britannique [15], 2° par 2° pour la reconstruction de la NASA [16]) et permettent non seulement de calculer des moyennes à l’échelle planétaire mais aussi d’établir des cartes de tendances d’évolution de la température sur différentes régions. Elles sont disponibles au pas mensuel et annuel à partir de 1850 pour la reconstruction britannique et à partir de 1880 pour la NASA et la NOAA.
2.4. Estimation et correction des erreurs
Des articles scientifiques et les rapports successifs du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) analysent les sources d’erreurs dans les reconstructions de la température moyenne planétaire et, lorsque c’est possible, les méthodes employées pour les corriger. Limitons-nous ici à commenter les principales causes d’erreurs, qui sont détaillées dans le focus « Calcul des erreurs ». Certaines sont liées à l’échantillonnage (nombre d’observations par maille de calcul) et à la couverture incomplète (absence d’observation dans certaines mailles ; Figure 4). Les effets de l’urbanisation autour de stations d’observation terrestres se traduisent par une tendance artificielle au réchauffement qu’il convient de prendre en compte. Les ruptures dans l’homogénéité des séries de données dues à des changements de localisation des postes d’observation, d’instruments, d’abri météorologique, ou à tout autre changement pouvant affecter la mesure, sont aussi prises en compte dans les corrections des reconstructions et dans les estimations d’erreurs associées. Les données marines font également l’objet de corrections de biais dus à l’évolution des moyens d’observation utilisés.
Globalement, l’incertitude sur la moyenne annuelle de la température planétaire est calculée en combinant l’ensemble des erreurs ou incertitudes qui peuvent être estimées, que ce soit sur océan ou sur continent. Diverses estimations de la température moyenne sont finalement obtenues, à partir des reconstructions proposées par la NASA [8], par NOAA [9] et par les équipes britanniques [10]. Les estimations sont très proches d’une reconstruction à l’autre malgré les différentes méthodologies utilisées. La principale différence entre la reconstruction de la NOAA et les deux autres a pour origine des erreurs d’échantillonnage et de couverture spatiale avec a priori une meilleure prise en compte des données de l’Arctique dès le milieu du XXe siècle qui se traduit par une diminution de l’incertitude.
3. Comment et pourquoi la température moyenne planétaire a-t-elle évoluée au cours des deux derniers siècles ?
3.1. La détection des tendances
La Figure 5 issue d’un rapport annuel de l’Organisation Météorologique Mondiale [17] reproduit l’évolution de la température moyenne de la planète entre 1850 et 2019 suivant les trois reconstructions introduites dans la section 2. Les valeurs de température sont calculées en enlevant pour chaque reconstruction sa moyenne sur la période 1981-2010 puis sont représentées par rapport à une référence dite « préindustrielle » (la moyenne HadCRUT4 sur la période 1850-1900 [9]). Deux autres estimations de la température moyenne globale issues de ré-analyses de données (ici issues de l’Agence Météorologique Japonaise [18] pour JRA-55 et du Centre Européen de Prévision à Moyen Terme [19] pour ERA5) sont aussi représentées sur la Figure en suivant le même mode opératoire (lire focus « Estimation de la température de surface par les ré-analyses »)
La Figure 5 montre le très bon accord entre les évolutions de températures qu’elles soient issues des trois reconstructions ou des deux ré-analyses. Les différences sont parfaitement compatibles avec les incertitudes totales de chaque reconstruction. Huang et al. [8] montrent en particulier que les reconstructions britanniques et de la NOAA se situent chaque année dans l’intervalle de confiance de la reconstruction de la NASA (leur Figure 13). Les principales différences proviennent d’abord du traitement des corrections des biais des mesures océaniques au cours de la période 1920-1960 [7],[9] (section 2.3). Elles proviennent aussi des différences de couverture spatiale en données observées et de la façon de traiter les zones mal couvertes. En particulier, les reconstructions de la NASA et de la NOAA prennent mieux en compte les données de l’Arctique que la reconstruction britannique [7]. Cela a pour effet de mieux reproduire le réchauffement de ces régions qui s’est accentué au cours des dernières décennies et qui résulte en une augmentation légèrement plus rapide de la température moyenne planétaire que l’on constate aussi dans les ré-analyses.
La Figure 5 met aussi en évidence la superposition de différentes échelles temporelles de variabilité. Les tendances de température calculées sur la période commune la plus longue à partir des trois reconstructions sont très proches les unes des autres et indiquent clairement un réchauffement, très supérieur aux incertitudes de chaque reconstruction. Le dernier rapport d’évaluation du GIEC [3] inclut des estimations de ces tendances et de leurs incertitudes calculées jusqu’à l’année 2012. Selon ce rapport, la température moyenne planétaire a augmenté en surface de près de 0,9°C entre 1880 et 2012 (avec une probabilité de 90 % pour que le réchauffement soit compris entre 0,65 et 1,06 °C). Pour bien prendre la mesure de ce réchauffement, il suffit de le mettre en rapport avec le réchauffement de 3 à 8° C qui sépare le dernier maximum glaciaire (il y a environ 21 000 ans) et la période actuelle (voir section 1). Cette tendance au réchauffement s’est poursuivie depuis ce rapport du GIEC puisque qu’entre 1880 et 2018 les tendances estimées sont de 0,96°C pour la NASA et la NOAA (comprise entre 0,81°C et 1,11°C avec une probabilité de 95% d’après [7]).
3.2. A quoi est dû le réchauffement observé ?
La question de l’attribution de tout ou partie de ce réchauffement aux émissions de gaz à effet de serre émis par les activités humaines s’est posée dès le premier rapport du GIEC publié en 1990. Cependant, malgré l’observation du réchauffement et celle de l’augmentation des concentrations notamment de dioxyde de carbone dans l’atmosphère déjà analysées à cette date, aucune preuve d’un lien n’avait alors été apportée et le rapport ne donnait pas de conclusion sur l’attribution. A la suite de la multiplication des études permettant d’apporter des éléments de preuve obtenus par la simulation du climat du dernier siècle en faisant varier les facteurs susceptibles d’agir sur la température – naturels avec la variabilité solaire, le volcanisme et la variabilité interne au système climatique ou anthropiques avec les émissions de gaz à effet de serre et la production de particules en suspension dans l’atmosphère (aérosols) – les rapports successifs du GIEC ont été de plus en plus affirmatifs sur l’attribution du réchauffement. Le dernier rapport [3] conclut maintenant qu’il est extrêmement probable que l’influence de l’homme a été la cause principale du réchauffement observé depuis le milieu du XXe siècle.
La Figure 6 reproduit des estimations de contributions de différents facteurs à la tendance de température sur la période 1951-2010 et les confrontent à la tendance observée. Elle met bien en évidence la faible contribution des facteurs naturels au réchauffement observé tandis que la contribution anthropique est proche de l’observation. Par contre les contributions respectives de gaz à effet de serre (GHG) et des particules d’aérosols (OA) sont difficiles à estimer avec précision comme l’illustrent les « barres » d’erreurs entourant ces estimations.
3.3. Comment expliquer la variabilité de la température jusqu’à l’échelle multi-décennale ?
L’effet anthropique est donc clairement mis en évidence à l’échelle de temps d’une soixantaine d’année. Cependant le réchauffement n’est pas régulier sur cette période et il est bien plus difficile d’évaluer la contribution anthropique sur une période nettement plus courte. Cela peut s’expliquer par la présence d’une variabilité à l’échelle multi-décennale (sur plusieurs décennies) qu’illustre la Figure 5 mais aussi la Figure 7 qui fait un zoom sur la période 1950-2017 en combinant les trois reconstructions et les deux ré-analyses (avec des versions datant de 2018).
Une première période singulière est celle qui s’étend des années 50s aux années 70s. Elle est caractérisée par une relative stabilité de la température moyenne malgré la croissance par ailleurs constatée des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Distinguer cette contribution anthropique de l’effet des autres facteurs reste un défi pour une période aussi courte. Il faut cependant noter que plusieurs études ont montré un potentiel rôle d’un autre effet anthropique, à savoir l’augmentation des concentrations des particules d’aérosols dans l’atmosphère pouvant induire une réduction par ailleurs observée du rayonnement solaire mesurée à la surface de la planète (global dimming). L’augmentation rapide de la température à partir de la fin des années 70s s’expliquerait alors pour partie par les effets des mesures prises pour limiter les émissions de sulfates et de particules carbonées dans les pays industrialisés qui sont aussi concomitantes avec une augmentation du rayonnement solaire à la surface (global Brightening) [3],[20].
Un autre exemple de variabilité multi-décennale conduisant à une atténuation de la tendance au réchauffement concerne la période 1998-2012. Sur cette période, l’augmentation de température n’a été que de 0,06°C d’après les données de la reconstruction HadCRUT4 [3]. Une période au cours de laquelle l’augmentation du niveau de l’océan et celle du contenu thermique de l’océan n’ont pas montré d’affaiblissement. L’origine de ce ralentissement du réchauffement en surface a fait l’objet de nombreuses publications au cours de ces dernières années et son interprétation précise reste un sujet de débat scientifique (lire focus « Retour sur le « ralentissement » du réchauffement entre 1998 et 2013 »).
Enfin la Figure 7 montre aussi une variabilité de la température à une échelle interannuelle qui se superpose aussi aux tendances de long terme [21]. Sans que là non plus il soit possible d’évaluer l’effet relatif de tous les facteurs sur la température d’une année particulière, un facteur naturel important peut être identifié à cette échelle. Il s’agit de l’occurrence d’épisodes chauds (El Niño) ou froids (La Niña) dans l’océan Pacifique tropical. Ces épisodes qui résultent d’interactions entre l’océan et l’atmosphère modifient en effet les températures de surface de l’océan pendant une période de plusieurs mois et ont un effet visible et de même signe sur la température moyenne de la planète comme illustré sur la Figure 7.
4. Messages à retenir
- La température moyenne de la surface de la Terre évolue afin de tendre vers un équilibre entre l’énergie qu’elle reçoit et l’énergie qu’elle perd.
- La température moyenne planétaire est un indicateur statistique particulièrement utile pour évaluer des évolutions climatiques à l’échelle planétaire.
- A partir de 1850, elle peut être estimée à partir de reconstructions au pas mensuel et annuel utilisant les données instrumentales d’observations de température de l’air à la surface des continents et de température de l’eau à la surface de l’océan.
- Des modèles d’incertitude de plus en plus complexes permettent de rendre compte des différentes sources d’erreur dans son estimation.
- D’après le GIEC, la température moyenne planétaire s’est réchauffée de 0,9°C sur la période 1880-2012, un réchauffement très supérieur aux incertitudes des estimations,
- Il est extrêmement probable que l’influence de l’homme a été la cause principale du réchauffement observé depuis le milieu du XXe siècle.
- Il n’est par contre pas encore possible de quantifier avec précision le poids relatif des différentes contributions des facteurs naturels ou anthropiques à l’évolution de la température moyenne sur des échelles de temps plus courtes.
Notes et références
Image de couverture. Comment attribuer à la Terre une température moyenne, compte-tenu des variations bien connues suivant la latitude et la saison ? [Source : Pixabay, images libres de droit]
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[18] Japan Meteorological Agency. JRA-55 – the Japanese 55-year Reanalysis.
[19] European Centre for Medium-Range Weather Forecasts. ERA5.
[20] Wild, M. (2009) Global dimming and brightening: A review. Journal of Geophysical Research, 114, D00D16. DOI :10.1029/2008JD011470.
[21] Organisation Météorologique Mondiale. Médias – Communiqué de Presse – L’Organisation météorologique mondiale confirme que 2017 se classe parmi les trois années les plus chaudes jamais observées.
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Pour citer cet article : PLANTON Serge (29 juillet 2020), La température moyenne de la Terre, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/climat/temperature-moyenne-terre-rechauffement-climatique/.
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