La variabilité climatique : l’exemple de l’Oscillation nord-atlantique

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Aura-t-on de la neige cet hiver ? Faut-il partir en vacances en Bretagne ou sur la Côte d’Azur ? Est-ce-que les vendanges seront bonnes cette année ? Autant de questions qui montrent bien le caprice des saisons, surtout à nos latitudes. On sait depuis longtemps que ces fluctuations sont en partie organisées, mais il reste difficile de les prévoir.

1. Qu’est-ce que la variabilité climatique ?

Le climat est classiquement défini par la moyenne, sur environ 30 ans, de paramètres météorologiques mesurés localement : pression, température, vent, précipitations, couverture nuageuse, etc. Ces moyennes climatologiques sont souvent appelées « normales » : on parle de « normales saisonnières » comme les valeurs attendues pour la saison. En premier lieu, elles dépendent de l’apport d’énergie solaire, comme le rappelle l’étymologie du mot d’origine grecque ‘climat’ : « inclinaison du ciel », c’est à dire des rayons du soleil. Mais en réalité, les conditions météorologiques diffèrent toujours un peu de leur moyenne. Ces fluctuations constituent la variabilité climatique, et sont aussi importantes pour caractériser le climat que leur moyenne, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, leur amplitude est une caractéristique même du climat : globalement cette variabilité augmente avec la latitude, elle est ainsi faible en région équatoriale et forte en régions polaires.

De plus, leurs impacts sont bien plus forts sur les écosystèmes et les sociétés que les variations régulières des saisons : un été humide et frais, ou un hiver sec et sans neige, ont par exemple des conséquences sur la végétation, l’agriculture et les activités économiques. Canicules, vagues de froid, tempêtes… si les fluctuations extrêmes restent rares leurs impacts sont encore plus forts, parfois catastrophiques. Récemment, l’Agence européenne de l’environnement a ainsi chiffré à 12 milliards d’euros par an le coût des catastrophes liées au climat en Europe [1].

Enfin, ces fluctuations sont en partie organisées, dans le temps et l’espace : ces organisations préférentielles sont nommées « modes de variabilité ». Ils présentent une certaine persistance dans le temps, ce qui permet d’envisager leur prévision. Cet article porte sur un mode de variabilité.

Aux moyennes latitudes, la circulation atmosphérique est essentiellement ‘horizontale’ (lire La circulation atmosphérique : son organisation). La confrontation de l’air chaud des basses latitudes et de l’air froid des hautes latitudes y produit des perturbations de plusieurs milliers de kilomètres. Transportées par la circulation générale, elles engendrent des fluctuations météorologiques (Section 2). Ces fluctuations sont en partie organisées, à des échelles de temps allant de la semaine à la décennie, selon plusieurs modes d’organisation. Dans l’atlantique nord, un mode est particulièrement prononcé : « l’Oscillation nord atlantique » dite NAO, acronyme du nom anglais ‘North Atlantic Oscillation’ (Section 3). Ce mode régional fait partie d’un mode encore plus large qui domine la variabilité de tout l’hémisphère nord, dénommé « Oscillation arctique » ou aussi « mode annulaire de l’hémisphère nord » (Section 4).

2. Moyennes latitudes : les fluctuations ‘synoptiques’

2.1. Une circulation zonale de l’atmosphère

Aux moyennes latitudes la circulation atmosphérique générale est dite ‘zonale’ : elle se fait d’ouest en est, et elle est structurée par des courants ‘jets’ d’altitude (lire La circulation atmosphérique : son organisation et Les jet streams).

Dans la basse atmosphère, les vents d’ouest ondulent entre des zones de basse et de haute pression. Régulièrement, des centres de basse pression se ‘creusent’ (leur pression diminue) au-dessus de l’Atlantique pour former des perturbations cycloniques. Ces dernières apportent un temps perturbé et pluvieux sur la façade ouest de l’Europe, avec des conditions météorologiques qui changent en quelques jours et touchent une région sur un millier de kilomètres. Entre ces perturbations, des zones de hautes pressions anticycloniques induisent un temps calme et stable.

Parfois, ces hautes pressions ‘stationnent’ sur une région, et dévient les perturbations : on parle alors de « blocage » de la circulation zonale. Passage de perturbations, conditions anticycloniques, voire situation persistante de blocage… autant de phénomènes à l’origine des fluctuations météorologiques en Europe de l’ouest, désignées par l’expression « variabilité synoptique ».

2.2. Comment mesure-t-on les conditions météorologiques ?

Cette circulation et ses perturbations sont directement liées à des différences de pression atmosphérique. Le baromètre ne fait d’ailleurs rien d’autre que nous annoncer la pluie lorsque la pression diminue, ou un grand beau temps lorsqu’elle remonte. Dans un but de prévision, les premiers réseaux de stations météorologiques ont ainsi été mis en place en Europe dès la fin du 18e siècle par différentes institutions : Société royale de médecine en France, Société Palatine de Mannheim (dans l’actuelle Allemagne), plus tard en 1854 Service royal de météorologie en Angleterre [2]. Ces réseaux sont maintenant gérés par chaque pays et coordonnés par l’Organisation météorologique mondiale (OMM). On possède ainsi de longues séries de mesures des conditions météorologiques en Europe.

On a ensuite effectué des mesures en altitude par ballon, puis par satellites depuis une trentaine d’années. Ces mesures et observations sont envoyées et compilées plusieurs fois par jour à l’OMM. Elles sont utilisées pour les prévisions météorologiques par la technique d’assimilation (lire Introduction à la prévision météorologique et Assimilation des données météorologiques). Les mesures passées sont aussi assimilées par des modèles de circulation atmosphérique. Objectif : simuler les conditions météorologiques passées, y compris pour des régions et des altitudes dépourvues de mesure. Nommées ‘réanalyses’, ces simulations sont des interpolations de données dispersées pour obtenir une vision globale et physiquement cohérente de l’état de l’atmosphère. Ces réanalyses sont très largement utilisées par les climatologues pour étudier et caractériser le climat et sa variabilité. Elles remontent actuellement jusqu’au début du 20e siècle, et jusqu’au 19e de façon expérimentale.

Sur les océans, les mesures sont beaucoup plus récentes et restaient très dispersées avant l’avènement des satellites. Ici aussi, un travail considérable est effectué pour disposer de séries fiables de température et étudier leur variabilité : il s’agit en fait de compiler, corriger et homogénéiser les mesures de température de l’eau faites par bateaux. A partir des années 1960, on a commencé à faire des profils verticaux de température de l’océan de manière systématique. Depuis les années 2000, un réseau de flotteurs autonomes permet de sonder régulièrement les deux premiers kilomètres de l’océan. En général, la température océanique varie beaucoup moins, spatialement et temporellement, que sur les continents : cette plus faible variabilité permet d’obtenir une reconstitution correcte de la surface des océans avec beaucoup moins de mesures.

3. L’Oscillation nord atlantique, une organisation des conditions météorologiques

3.1. Une bascule des masses d’air

Des notes [3] du 18e siècle rapportent que les conditions hivernales étaient souvent opposées entre le Danemark et ses comptoirs de l’ouest du Groenland, entre douceur humide et froid sec. D’anciens récits font aussi état de liens entre les conditions météorologiques de différentes régions du monde. Ces observations empiriques furent ensuite explorées à l’aide de séries de mesures. Ces études [4] ont mis en évidence des relations statistiques fortes entre divers paramètres météorologiques sur plusieurs milliers de kilomètres : ces liens distants sont appelés des « téléconnexions » (étymologiquement « liens à distance »). Ces téléconnexions révèlent une organisation préférentielle de la circulation atmosphérique et des conditions météorologiques associées, ce qui est nommée un mode de variabilité.

On rappelle qu’une corrélation statistique est une relation étroite entre deux paramètres qui varient conjointement (dans le même sens). Si ces deux paramètres varient en sens contraires, il s’agit d’une anti-corrélation. La Figure 1 illustre une des téléconnexions liées à l’Oscillation nord atlantique, entre la dépression d’Islande et l’anticyclone des Açores. Il s’agit du ‘moteur’ même de cette oscillation : un jeu de bascule des masses d’air, et donc de pression atmosphérique, entre le sud et le nord du bassin nord atlantique. C’est cette bascule de pression que les climatologues ont désigné par le terme, impropre, d’oscillation (seesaw en anglais).

3.2. L’indice NAO de cette oscillation

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Figure 1. Moyennes hivernales de la pression atmosphérique au sol mesurée en Islande (en bleu) et aux Açores (en rouge), en centaines de Pascals (hPa). On note une différence moyenne de l’ordre de 20 hPa, entre la ‘dépression islandaise’ et ‘l’anticyclone des Açores’. On note également que pour de nombreux hivers, si la pression est largement au-dessus de la moyenne pour une région, elle est en-dessous de la moyenne pour l’autre région, et inversement (anticorrélation). Le coefficient de corrélation est de -0.6. [Source : © G. Delaygue UGA/IGE]

Au fil des études [5], cette bascule de pression entre sud et nord du bassin nord atlantique est apparue comme la caractéristique la plus importante de ce mode NAO. D’une part cette bascule induit une forte téléconnexion entre ces deux régions (Figure 1), d’autre part elle est capable de modifier la trajectoire des perturbations qui traversent l’Atlantique. Un indice de l’activité de cette Oscillation -l’indice NAO– a donc été établi à partir des mesures de pression (Figure 1). L’activité NAO est forte lorsque la bascule de pression est forte entre l’Islande et les Açores (régions appelées les ‘centres d’action’). Une bascule forte implique d’importantes fluctuations de la pression autour de sa moyenne dans chacun de ces centres, et que ces fluctuations soient opposées (anti-corrélées). L’activité NAO est au contraire faible lorsque la pression ne varie pas conjointement au sud et au nord, ou lorsque la pression varie peu. L’indice NAO est calculé pour osciller autour de zéro. Ainsi, il est positif lorsque la bascule penche vers le nord, négatif lorsqu’elle penche vers le sud, et proche de zéro lorsque la bascule est à plat (activité NAO faible). Plus sa valeur est importante plus la bascule de pression est penchée.

En pratique on utilise plusieurs techniques pour calculer des indices assez proches (Figure 2). L’indice le plus simple est basé sur les mesures de pression réalisées en quelques stations de l’Islande et du sud-ouest de l’Europe (Açores et/ou péninsule ibérique). Cet indice, en bleu sur la Figure 2, permet ainsi de faire remonter l’activité NAO jusqu’aux années 1820. Une autre technique utilise les champs de pression couvrant toute la région atlantique, issus des réanalyses. Un indice correspondant est en rouge sur la Figure 2 : il est plus précis, mais ne permet pas de remonter aussi loin dans le temps.

3.3. Une persistance décennale de ce mode NAO

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Figure 2. Deux indices de l’Oscillation nord atlantique en hiver, basés sur la pression de surface. En bleu : différence entre les pressions normalisées mesurées à Gibraltar et en Islande (données CRU/UEA). En orange : première composante principale de l’analyse de la pression de surface NCEP (données J. Hurrell/NCAR). Courbes en gras : moyennes glissantes sur 11 saisons. [Source : © G. Delaygue UGA/IGE]

La Figure 2 montre que cette bascule de pression entre nord et sud de l’Atlantique nord varie beaucoup d’un hiver à l’autre (on parle d’échelle inter-annuelle), mais elle présente une certaine persistance sur 10 à 20 ans (échelle décennale). En particulier, les décennies 1900-1910, 1920-1930, et 1990-2000 furent marquées par une phase positive de la bascule (dite ‘NAO+’) avec un indice en moyenne assez positif. À l’inverse, les décennies 1850-1860 et 1950-1970 ont été marquées par une phase négative (‘NAO-’). Mais de telles persistances n’empêchent pas des valeurs extrêmes en sens opposé : l’hiver 1995-96 fut par exemple marqué par une valeur particulièrement négative de l’indice, au milieu d’une décennie plutôt positive.

3.4. Quels impacts sur les conditions météorologiques ?

Comme évoqué plus haut, la bascule de pression entre nord et sud de la région nord atlantique modifie principalement la trajectoire des perturbations qui traversent l’Atlantique nord aux moyennes latitudes, mais aussi la vitesse des vents d’ouest associés à ces trajectoires. L’impact de cette bascule sur les conditions météorologiques est donc opposé entre nord et sud de l’Europe de l’ouest. En été, des passages plus fréquents de perturbations donnent des conditions plus humides et fraîches. En hiver, les conditions associées sont plus humides et douces, typiquement pluie à la place du froid sec en Europe du nord.

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Figure 3. Impacts moyens des conditions NAO+ pour le mois de janvier (moyennes sur les mois avec des indices NAO >1 ou <-1). En haut : anomalie de température en ºC. En bas : anomalie de précipitation en mm/mois. Les contours colorés donnent une idée des régions pour lesquelles ces anomalies sont significatives par rapport à la variabilité interannuelle (rapport anomalie sur déviation standard de 0.8, en haut, et 0.5 en bas). Réanalyses NCEP 1948-2010. [Source : © G. Delaygue UGA/IGE]

La Figure 3 illustre les impacts météorologiques typiques de l’Oscillation nord atlantique pour le mois de janvier. Ces impacts ne sont pas restreints à l’Europe de l’ouest : ils affectent aussi la bordure orientale de l’Amérique du nord, à cause des changements de circulation induits par la bascule nord-sud de pression. Une téléconnexion très forte existe ainsi en température entre la région du Labrador et la Scandinavie, et de manière plus atténuée entre la côte est des Etats-Unis et la méditerranée et le nord de l’Afrique (jusqu’au Proche-Orient). On peut noter que la température des centres d’action n’est pas affectée, alors que ces centres sont les moteurs des fluctuations météorologiques. Les anomalies de précipitation présentent une structure spatiale plus ‘zonale’, avec un contraste nord-sud similaire à la bascule de pression, et des extrema proches des centres d’action.

Ces impacts sont toutefois relativement faibles par rapport aux fluctuations d’un hiver à l’autre (variabilité inter-annuelle), surtout pour les précipitations. Les contours colorés sur la Figure 3 définissent les régions pour lesquelles ces impacts sont marqués. Au maximum le mode NAO ne décrit ainsi que 20 à 30 % de la variabilité inter-annuelle de la température.

Mais ces impacts météorologiques de l’Oscillation nord atlantique ont-ils marqué le climat européen ? L’un des meilleurs exemples récents est la transition marquée entre des conditions NAO plutôt négatives des années 1960 à 1980, à plutôt positives au début de la décennie 1990. Cette transition est responsable du réchauffement de l’Europe de l’ouest, plus rapide et plus important que celui du reste du globe et que celui prévu par les modèles climatiques [6]. L’une des conséquences bien visibles de ce réchauffement fut une baisse d’enneigement dans les Alpes occidentales [7]. Cette phase NAO positive a duré une décennie environ, puis l’Oscillation a basculé dans une phase en moyenne négative, avec des indices parfois très négatifs (minimum historique de l’hiver 2009-2010). Cette période de phase négative fut accompagnée de vagues de froid hivernales remarquables (décembre 2001) et d’hivers assez froids en moyenne (2004-05, 2005-06, 2009-10, 2010-11). Toutefois, à part ces quelques hivers froids, les autres hivers des décennies 2000 et 2010 ont été plutôt chauds voire très chauds en France. Il semble donc que l’Oscillation nord atlantique ait moins d’impact sur les conditions météorologiques. Différentes études ont simulé les conditions météorologiques en Europe compte tenu de la circulation (notamment des phases NAO) : elles montrent que, depuis la fin des années 1990, les conditions météorologiques réelles sont plus chaudes que celles attendues, y compris lors de ces hivers si froids des années 2000 [8]..

4. D’autres modes régionaux d’organisation de l’atmosphère

Aux 19e et 20e siècles, les météorologues ont comparé toutes les séries de mesures disponibles pour trouver des corrélations entre des régions. Le bassin nord atlantique fut très vite reconnu comme une région aux fortes téléconnexions, dues à l’Oscillation nord atlantique. Mais des modes d’organisation de l’atmosphère sont apparus dans d’autres régions. C’est le cas de la fameuse Oscillation australe (Southern Oscillation – SO) dans le Pacifique tropical. C’est en étudiant la mousson indienne, phénomène d’une ampleur considérable pour l’Inde, que Gilbert Walker a mis en évidence l’Oscillation australe au début du 20e siècle. Cette oscillation est associée au puissant phénomène ENSO (lire article ENSO -en préparation).

À partir des années 1980, la technique d’assimilation des données par des modèles atmosphériques a permis une avancée considérable (lire Assimilation des données météorologiques ). Les analyses issues de ces modèles ont donné une vision globale de la circulation atmosphérique et de sa variabilité. Elles ont aussi permis d’explorer bien plus en avant son organisation, avec des outils statistiques différents (ex. : analyses en composantes principales). Des modes affectant tout un hémisphère ont ainsi été identifiés aux moyennes et hautes latitudes. L’organisation de ces modes est dite ‘annulaire’ avec une bascule de la pression entre la zone polaire et les moyennes latitudes qui l’entourent (structure en anneau). Il s’agit du mode annulaire de l’hémisphère nord (Northern annular mode – NAM), plus couramment appelé Oscillation arctique (Arctic oscillation – AO), et du mode annulaire de l’hémisphère sud (Southern annular mode – SAM).

Dans le mode annulaire de l’hémisphère nord, la région atlantique joue un rôle prépondérant, avec une très forte variabilité de la circulation atmosphérique, mais aussi une organisation très marquée. De plus, cette région ne joue pas toujours la même partition que les autres régions de l’hémisphère nord. Pour ces raisons, l’Oscillation nord atlantique se distingue clairement comme un mode régional particulier.

Généralement, ces modes décrivent l’organisation de la circulation atmosphérique sur des échelles de temps qui s’étendent de la semaine (synoptique) à la saison. L’Oscillation nord atlantique présente aussi une certaine persistance sur plusieurs années, ce qui est très long par rapport à la vitesse de changement de l’atmosphère. Pour essayer d’expliquer une telle persistance, les climatologues sont allés chercher du côté des océans. En effet leur surface possède une inertie thermique beaucoup plus forte que celle de l’atmosphère (on parle de l’océan comme un ‘volant thermique’); la vitesse des courants océaniques est aussi bien plus faible que celle des vents. Ce volant thermique de la planète constituait donc un candidat idéal pour expliquer la persistance décennale de certaines modes comme NAO.

L’étude de la température de surface des océans a ainsi conduit à identifier plusieurs modes propres à l’océan. Dans l’hémisphère nord il s’agit de l’Oscillation pluri-décennale atlantique (Atlantic multi-decadal oscillation – AMO), qui décrit l’anomalie de température du bassin nord-atlantique, et l’Oscillation décennale pacifique (Pacific decadal oscillation – PDO), qui décrit une bascule de température entre les zones est et ouest du Pacifique nord. La zone tropicale est, elle, dominée par le mode ‘El Niño / la Niña’, une composante du mode ENSO décrivant la bascule d’une anomalie de température entre l’est et l’ouest du Pacifique équatorial (lire article ENSO -en préparation).

En réalité cette idée de ‘volant d’inertie’ de l’océan pour expliquer la persistance décennale des phases NAO s’est avérée plus compliquée que prévu. En effet, des études théoriques [9] montrent que les fluctuations synoptiques de la circulation atmosphérique (de l’ordre de la semaine) sont filtrées par l’océan de surface pour créer des anomalies de température de l’océan et/ou de circulation de plusieurs années. Certaines études suggèrent ainsi que l’Oscillation nord atlantique, qui affecte l’atmosphère, serait responsable de l’Oscillation multi-décennale de l’océan atlantique. Dans le sens contraire à ce qui était prévu ! La phase NAO positive des années 1990 serait ainsi à l’origine du réchauffement de l’océan nord atlantique depuis le milieu de la décennie 1990, correspondant à la transition de l’Oscillation multi-décennale atlantique vers une phase positive. Cette anomalie chaude de l’Atlantique est peut-être responsable des conditions chaudes de la décennie 2010 en Europe.

5. Conclusion : origine de la NAO et potentiel de prévision

Après un siècle de recherches sur l’Oscillation nord atlantique, quel bilan ? Tout d’abord, c’est une organisation privilégiée de la circulation atmosphérique dans le bassin nord atlantique, avec deux phases opposées (NAO+ vs. NAO-), particulièrement marquée en hiver. Cette organisation est d’ailleurs assez bien reproduite par les modèles numériques de l’atmosphère. En revanche, on n’a toujours pas clairement identifié les facteurs de cette organisation, de la transition parfois abrupte entre ces deux phases, ni de la persistance décennale d’une phase. A l’échelle de la semaine, la zone tropicale semble responsable du changement de phase via la propagation de trains d’onde dans l’atmosphère. A l’échelle de la saison, plus particulièrement l’hiver, la prise en compte de l’état de surface des hautes latitudes et de celui de la haute atmosphère semblent donner les meilleures prévisions de la phase NAO. En revanche la persistance à l’échelle décennale reste difficile à expliquer, même si le ‘volant inertiel’ de l’océan reste un bon candidat.

Au final, la région nord atlantique est probablement l’une des régions les plus scrutées par les météorologues et les climatologues, avec les plus longues séries de mesures. Mais c’est aussi une région sous très fortes influences, de la part des tropiques, de l’Arctique, du Pacifique est, et même de la stratosphère. Prévoir l’évolution saisonnière de la circulation atmosphérique, ne serait-ce que celle de l’Oscillation nord atlantique, reste, depuis plus de 50 ans, un challenge [10]. Alors même que les impacts sociétaux sont très forts dans cette région.

 


Références et notes

Image de couverture : Pixabay

[1] Indicator:Economic losses from climate-related extremes , consulté le 17/02/2017.

[2] Ce service fut dirigé par le fameux Robert FitzRoy, explorateur et capitaine du HMS Beagle avec Darwin.

[3] Récits du missionnaire Saabye des conditions contrastées entre le Groenland et le Danemark au cours de la période 1770-78, cités par van Loon & Rogers (1978), Monthly Weather Review, 106, 296-310

[4] Teisserenc de Bort (1883) Etude sur l’hiver de 1879-80 et recherches sur l’influence de la position des grands centres d’action de l’atmosphère dans les hivers anormaux. Annales de la Société Météorologique de France, 31, 70-79 ; Hildebrandsson & Teisserenc De Bort (1907) Les bases de la météorologie dynamique, Gauthier-Villars, Paris.

[5] Walker & Bliss (1932). World weather V, Mem Royal Meteorol Soc, 4(36), 53-84.

[6] van Oldenborgh et coll. (2009). Western Europe is warming much faster than expected. Climate of the Past 5: 1-12, DOI: 10.5194/cp-5-1-2009. Delworth et coll. (2016) The North Atlantic Oscillation as a driver of rapid climate change in the Northern Hemisphere. Nature Geoscience 9: 509-512, DOI:10.1038/ngeo2738

[7] Beniston (2012). Is snow in the Alps receding or disappearing? WIRes 3: 349-358, DOI: 10.1002/wcc.179

[8] Yiou et coll. (2007). Inconsistency between atmospheric dynamics and temperatures during the exceptional 2006/2007 fall/winter and recent warming in Europe. Geophys Res Lett 34:L21808. DOI: 10.1029/2007GL031981

[9] Frankignoul & Hasselmann (1977). Stochastic Climate Models 2. Application to Sea-Surface Temperature Anomalies and Thermocline Variability. Tellus, 29, 289-305.

[10] Woollings (2010). Dynamical influences on European climate: an uncertain future. Philosophical Transactions of the Royal Society of London 368: 3733-3756, DOI:10.1098/rsta.2010.0040


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Pour citer cet article : DELAYGUE Gilles (30 octobre 2018), La variabilité climatique : l’exemple de l’Oscillation nord-atlantique, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/climat/variabilite-climatique-exemple-oscillation-nord-atlantique/.

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