La lente et puissante circulation océanique

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Dissimulé sous les vagues, masqué par les marées, un puissant circuit parcourt l’ensemble des océans avec, pour seuls moteurs, l’ensoleillement et le frottement des vents sur leur surface. Les barrières infranchissables que constituent les continents sont autant d’obstacles que la circulation globale doit contourner. Les variations de température et de salinité imposent des changements de la densité de l’eau qui forcent ce courant à plonger dans les profondeurs lorsqu’il s’alourdit, à remonter en surface lorsqu’il s’allège. Comment s’organise la circulation globale en présence de ces divers effets ? Quelles sont les vitesses et les temps de parcours typiques ? Comment cette circulation impose-t-elle des courants secondaires spécifiques à chaque océan et à chaque mer ?

1. De quoi parlons-nous ?

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Figure 1. Limites officielles des 5 océans de la planète. [Source : Pinpin / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)]
Globalement, les océans représentent environ 72% de la surface de notre planète. Ce domaine immense où la vie est apparue il y a plus de 3,5 milliards d’années (Lire L’origine de la vie vue par un géologue qui aime l’astronomie) exerce une influence majeure sur tout l’environnement terrestre. Lors de la dernière transition glaciaire-interglaciaire, initiée il y a environ 20 000 ans, son altitude moyenne a varié d’au moins 120 mètres. Auparavant la Manche et la mer du Nord n’existaient pas et nos ancêtres Cro-Magnon pouvaient aller à pied sec des territoires du continent européen actuel jusqu’à ceux devenus les îles britanniques. Au cours de l’Holocène, ère géologique qui s’étend sur les 10 000 dernières années, les océans ont acquis des frontières qui ne varient pas à l’échelle du millénaire, ce qui a amené l’Organisation hydrographique internationale [1] (OHI) à proposer leur découpage et à fixer leurs appellations (voir Figure 1). Néanmoins, ils sont encore porteurs de grandes incertitudes, tout particulièrement au sujet des organismes vivants qui les peuplent.

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Figure 2. Apparence habituelle de la surface des mers et des océans, agitée par la houle et les vagues. [Source : image libre de droits]
Sous nos yeux, l’aspect principal de la surface des océans est son agitation constante, marquée à la fois par la houle et les vagues qui peuvent devenir menaçantes et par les marées qui périodiquement envahissent les ports (Lire Les Marées). Si, après avoir filtré toutes ces oscillations, on observe la forme moyenne de la surface des océans, il apparaît que celle-ci n’est ni plate ni ronde mais bosselée. La différence d’altitude entre les régions les plus hautes, au sud-est du Groenland, et les régions les plus basses, au sud de l’Inde, atteint 160 m. Dans le cas particulier de la Méditerranée, cette différence atteint 80 m, avec une altitude maximale près des Baléares et minimale au sud-est de la Crète (Lire Le milieu marin). Sous cette surface, même si cela n’est pas visible depuis la terre ferme, l’eau circule et parcourt le gigantesque ensemble des cinq océans, avec une lenteur, une inertie et une puissance souvent insoupçonnées mais impressionnantes. Cette circulation porte un nom, la circulation thermohaline, où l’adjectif rappelle qu’elle est fortement dépendante des variations de densité, lesquelles dépendent de la température (thermo-) et de la salinité (-haline [2]), comme on le verra plus précisément par la suite.

2. Un unique moteur pour l’air et l’eau : l’ensoleillement

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Figure 3. Visualisation en fausse couleur de la température de surface des océans en juillet 2010. La couleur rouge marque la température la plus élevée, proche de 22°C, la couleur bleue marque la température la plus basse, proche de 0°C. [Source : MrFerraille / CC BY-SA (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)]
Le chauffage direct de l’eau de mer par le soleil, plus important qu’ailleurs dans les régions tropicales, responsable des hautes températures des eaux situées au-dessus de la thermocline (Figure 3), est le moteur de la circulation atmosphérique (Lire La circulation atmosphérique). C’est en retour que les vents ainsi engendrés entraînent les eaux de surface par frottement et installent la lente et puissante circulation thermohaline. On notera donc que toute l’énergie cinétique de ces deux milieux fluides, l’atmosphère et les océans, est fournie par l’ensoleillement.

Mais il existe une différence importante entre la circulation aérienne et celle de l’eau des océans : les côtes et les hauts fonds constituent des obstacles infranchissables, que les courants océaniques doivent contourner. Rien de comparable ne détourne les grands courants aériens comme les vents alizés (Lire Le rôle clé des alizés) et les jet streams (Lire Les jet streams). Par ailleurs, les variations de densité, capables de faire plonger en grande profondeur les eaux de surface alourdies lorsqu’elles deviennent plus froides ou plus salées, capables aussi de les faire remonter en surface lorsqu’elles sont allégées, imposent à ce mouvement marin une structure tout à fait tridimensionnelle.

3. Le courant d’est équatorial

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Figure 4. Comment le rayonnement solaire des régions tropicales engendre les vents alizés qui, à leur tour, amorcent la circulation thermohaline. [Source : © EDP Sciences, avec accord]
En période d’équinoxe [3], les vents alizés (Figure 4) soufflent vers l’équateur, en venant du nord ou du sud suivant l’hémisphère, et leur convergence, déviée vers l’ouest par la force de Coriolis [4], engendre un vent d’est régulier. C’est ce vent d’est, pas très rapide (environ 20 km/h) mais constant, qui entraîne vers l’ouest la couche superficielle de l’océan, formant ainsi le courant d’est équatorial.

Hors des équinoxes, la situation est moins symétrique puisque la trajectoire de la Terre fait voir le Soleil plus au nord en été et plus au sud en hiver. En plein été, les alizés ne convergent plus vers l’équateur mais vers le tropique du Cancer situé à une latitude de +23°26’ dans l’hémisphère nord. Alors la force de Coriolis, qui les dévie vers la droite l’un et l’autre, rend leurs composantes horizontales relativement antagonistes (Figure 5).

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Figure 5. En été les alizés venant du nord sont plus fortement déviés vers la droite que ceux venant du voisinage de l’équateur dans l’hémisphère nord ; leurs composantes horizontales ne s’opposent que partiellement. [Source : © Figure originale dessinée par Diane Gaillard]
L’effet du vent alizé venant du nord demeure supérieur à celui du vent du sud parce que la force de Coriolis, nulle à l’équateur, croit progressivement avec la latitude ; dans le vent du nord elle est plus grande que dans le vent du sud. Malgré leur antagonisme partiel, ces vents alizés continuent donc de pousser vers l’ouest l’eau des océans, mais moins qu’en mars ou en septembre. Une dissymétrie analogue se produit en hiver, au voisinage du tropique du Capricorne situé à une latitude de -23°26’. Le résultat de cette poussée des eaux tropicales vers l’ouest par les alizés est encore le courant d’est équatorial.

Ensemble, le vent d’est et le courant d’est équatorial, faibles mais constants, furent capables d’entraîner les goélettes de Christophe Colomb vers le Venezuela et les Antilles. Ils demeurent bien connus des navigateurs des courses de grands voiliers à travers le globe, bien que leur relative faiblesse amène ces compétiteurs à préférer capter dans leurs voiles la forte poussée d’une puissante tempête.

4. Le Gulf Stream

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Figure 6.a. La circulation océanique globale : couleur orange pour le courant de surface, couleur bleue pour le courant de fond. Dans l’océan atlantique nord, le Gulf Stream est marqué par les chiffres 1, 2, 3, et encerclé en noir. [Source : © EDP Sciences, avec accord]
Partons de l’océan Atlantique Nord, où les eaux sont entraînées vers les côtes nord-américaines, avec une déviation systématique vers la droite, donc vers le nord, due à la force de Coriolis. Les eaux de surface en provenance du Cap Vert partent ainsi en direction de la Floride, qui s’oppose à la poursuite de leur parcours vers l’ouest. En arrêtant le courant marin cet obstacle engendre une surpression, accompagnée d’une élévation du niveau de la mer suffisante pour que ce courant puisse être repoussé vers l’est, mais en conservant la quantité de mouvement acquise dans la direction du nord. Nous suivons ici une boucle bien caractérisée de la circulation thermohaline, dénommée le Gulf Stream et repérée sur les Figures 6 par le chiffre 1.

La surpression ainsi formée le long de la côte nord-américaine de l’océan atlantique repousse les eaux du Gulf Stream vers l’Europe, à des latitudes où les alizés n’existent plus et ne peuvent donc pas s’y opposer. Des eaux encore assez chaudes et légères s’approchent ainsi de l’Espagne, de la France et de la Grande-Bretagne (chiffre 2), tout en réchauffant les couches d’air qui les accompagnent, et qui circulent en moyenne aussi vers l’est à des vitesses bien plus grandes. Ce vent dominant venant de l’ouest, qui peut être assez fort et assez instable, est induit par le jet stream polaire qui circule en haute altitude. Ces deux courants, marin et aérien [5], favorisent dans les pays d’Europe occidentale les températures relativement douces, que nous connaissons en hiver, par comparaison avec celles de l’Amérique du Nord à la même latitude. Un peu plus à l’aval, les côtes du nord de l’Europe constituent un nouvel obstacle presque infranchissable [6] et détournent les eaux du Gulf Stream, maintenant vers l’ouest, toujours avec une composante vers le nord, de sorte que le courant marin se dirige vers l’Islande et le Groenland (chiffre 3).

5. La plongée du Gulf Stream et son retour vers le sud

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Figure 6.b. Retour dans l’hémisphère sud de la circulation océanique après la plongée en profondeur du Gulf Stream au sud de Groenland : chiffres 4 et 5. [Source : © EDP Sciences, avec accord]
Tout au long de cette première étape dans l’Atlantique Nord, de l’équateur vers le Groenland, l’évaporation a progressivement accru la salinité. Par ailleurs, le mouvement vers des latitudes nordiques s’accompagne d’un refroidissement. Ensemble, ces deux effets, thermique et halin, contribuent à accroître la densité de ces eaux. La banquise apporte alors une nouvelle contribution fort importante : en rejetant du sel moins soluble dans la glace que dans l’eau liquide [7], elle alourdit encore plus cette eau, au point de provoquer sa plongée en profondeur. Ainsi disparaît le courant de surface, pour se prolonger dans les profondeurs par un courant froid et lourd (chiffre 4).

En raison de la faible profondeur de l’océan Arctique ce courant marin ne peut que revenir vers le Sud puisque sa densité lui impose d’atteindre les plus grandes profondeurs où il demeure assez bien canalisé dans les fosses abyssales. Arrivé dans l’hémisphère sud où l’océan atlantique s’élargit, il n’échappe pas à la force de Coriolis qui impose son détournement vers l’Est, c’est à dire vers l’Afrique. C’est donc la rotation de la Terre, modélisée par la force de Coriolis, qui impose à ce courant de contourner par le sud le continent africain et non pas le continent américain. Le prochain obstacle sur cette trajectoire globalement dirigée vers le sud est le continent Antarctique qui impose à cette boucle profonde de le contourner d’Ouest en Est (chiffre 5).

6. Que se passe-t-il après ce retour vers le sud ?

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Figure 6.c. Remontée en surface de la circulation thermohaline dans l’Océan indien : chiffres 6 et 7. [Source : © EDP Sciences, avec accord]
À l’Est de l’Afrique le courant marin froid et salé, donc lourd et profond, se voit offrir trois possibilités : l’océan indien vers le nord, l’océan pacifique aussi vers le nord mais plus à l’aval, et une continuation vers l’est en contournant le continent antarctique. Mis à part la boucle qui contourne l’Antarctique en profondeur, connue sous le nom de Grande Dérive d’Ouest, un premier embranchement dirige une partie du débit, le Courant du Mozambique (chiffre 6 sur les Figures 6), vers Madagascar, puis vers la péninsule indienne (chiffre 7), nouvel obstacle infranchissable. À ces latitudes tropicales les eaux se réchauffent progressivement, deviennent plus légères, remontent au voisinage de la surface libre et n’ont pas d’autre possibilité que de reprendre une trajectoire dirigée vers le sud et déviée vers la droite, c’est à dire vers l’ouest, puisque ce courant est arrivé dans l’hémisphère nord.

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Figure 6.d. Autre remontée en surface de la circulation océanique dans l’océan pacifique et retour vers l’océan atlantique : chiffres 8, 9 et 10. [Source : © EDP Sciences, avec accord]
La troisième partie de ce courant marin profond contourne l’Australie par l’est dans l’océan Pacifique (chiffre 8 sur les Figures 6), formant des boucles connues sous les noms de Courant Equatorial Sud, Kuro Shivo et Courant Equatorial Nord. Progressivement réchauffé lors de son passage dans les régions tropicales et tempérées, ce courant remonte en surface (chiffre 9) puis rencontre lui aussi un obstacle infranchissable, le Nord Est de la Sibérie et l’Alaska, à peine séparés par le détroit de Behring. Ce débit s’oriente alors vers le Sud avec une déviation vers l’ouest. Arrivé dans l’hémisphère sud, ce courant subit le changement de signe de la force de Coriolis qui provoque le détournement vers l’est d’une partie de son débit (chiffre 10 sur les Figures 6). Ceci constitue le courant de surface encerclant complètement le continent antarctique. La partie complémentaire du débit en provenance des régions nordiques de l’océan Pacifique rejoint la fraction qui a circulé dans l’océan Indien, et ces courants regroupés (chiffre 11) s’orientent vers l’ouest au sud de l’Afrique. Ce tronçon de la circulation globale rejoint la boucle qui fait le tour de l’Antarctique au sud de l’Atlantique (chiffre 12) où elles sont aspirées ensemble par le frottement des vents alizés et du courant d’est équatorial.

Un autre effet, moins connu, est dû au fait que, le long de sa trajectoire en ellipse autour du Soleil, la Terre balaie un tore. L’ellipse située à l’extérieur de ce tore est plus longue que l’ellipse située à l’intérieur, avec une différence d’environ 80 000 km. Cette différence de distance parcourue en une année ajoute une contribution non négligeable à la circulation thermohaline, notamment dans les régions tropicales : par conservation de l’inertie du système global, elle implique une différence de vitesse de 220 km/jour, soit environ 9 km/h. Cet effet représente un moteur additionnel du courant équatorial, qui s’ajoute au moteur des vents alizés, car il agit dans le sens opposé à la rotation de la Terre autour de son axe.

7. Quelques chiffres avec un aperçu sur les courants secondaires

gulf stream
Figure 7. Le Gulf Stream et ses tourbillons ralentisseurs. Photographie en fausse couleur réalisée par la NASA. Noter les températures plus élevées (couleur orange) au Sud Est de la Floride (péninsule de couleur noire sur la Figure) et la formation des tourbillons dans des eaux un peu plus froides (couleurs jaune et verte), puis beaucoup plus froides depuis la latitude du cap Hatteras en Caroline du Nord jusqu’à celle de New York (couleur bleue). [Source : Donna Thomas / MODIS Ocean Group NASA / GSFC SST produit par R. Evans et al., U. Miami]. Domaine public américain]
Nous venons de suivre, étape par étape, cette immense circulation thermohaline, que l’on doit considérer comme la circulation océanique principale en raison à la fois de son inertie gigantesque, de ses conséquences climatiques, et de sa propre influence sur les courants océaniques secondaires. Quelques chiffres sont utiles pour situer cette importance primordiale. L’un des plus significatifs est sans doute la durée totale du circuit, de l’ordre de 1600 ans [8]. Les vitesses les plus élevées mesurées sont de l’ordre de 10 km/h. Mais ce chiffre surestime beaucoup la vitesse moyenne, certainement inférieure à 1 km/h en raison de nombreux ralentissements liés à la formation de très grands tourbillons spiraux entre le courant principal et les grands domaines fluides qui le bordent.

À titre d’exemple, illustré sur la Figure 7, le Gulf Stream, courant principal dans l’Atlantique nord entre la Floride et les côtes européennes, peut être vu comme une sorte de fleuve de très grande largeur, au moins 100 km, inséré dans l’océan lui-même entre d’immenses tourbillons ralentisseurs. Admettons que cette branche relativement chaude du Gulf Stream demeure située au-dessus de la thermocline, de telle sorte que sa profondeur puisse être évaluée à environ 50 m. On déduit immédiatement de ces chiffres une estimation du débit transporté par cette boucle nord-atlantique : des milliards de m3/h.

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Figure 8. Illustration de la diversité des courants océaniques répertoriés, autour de la circulation thermohaline représentée sur les Figures 6. [Source : © Yuvanoé/CEA, avec accord]
En complément à la Figure 6, la Figure 8 illustre la grande diversité des courants de surface bien identifiés, qui peuvent être vus comme des dérivations engendrées par les obstacles continentaux et les hauts fonds. Certains ont une identité assez marquée, comme le Courant de Humboldt, fraction de la Grande Dérive d’Ouest stoppée par la côte Ouest de l’Amérique du Sud et détournée vers le Nord par cet obstacle, dont les variations ont une influence déterminante sur le phénomène ENSO (El Niño Southern Oscillation), responsable d’alternances entre épisodes chauds (El Niño) et épisodes froids (La Niña) sensibles jusqu’en Europe. Le courant du Labrador, en provenance du Groenland, amène des eaux froides, souvent chargées d’icebergs, au voisinage des côtes orientales du Canada. C’est lui qui est responsable des hivers froids sur la côte est du continent nord-américain à des latitudes pourtant comparables à celles de l’Europe occidentale.

Sans aborder la description de tout cet ensemble de courants, un examen rapide des Figures 6 et 8 suffit à mettre en évidence l’influence des côtes, qui font obstacle au circuit, le réorientent et engendrent les nombreuses boucles secondaires. Ajoutons que certaines portions des océans ont une identité marquée par la géométrie de leurs côtes. C’est notamment le cas de la mer des Caraïbes presque enfermée entre le golfe du Mexique au nord et à l’ouest et le grand chapelet des îles antillaises au sud-est.

8. Ce vaste réservoir de la nature qu’est la mer

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Figure 9. Représentation schématique des 5 gyres dans lesquels la pollution plastique s’accumule. [Source : NOAA / Public domain]
À l’appui de ces mots de Jules Verne [9], soulignons que l’océan ne peut pas être réduit à l’immensité aqueuse décrite ci-dessus. L’eau des fleuves, des rivières et des précipitations y parvient chargée de toutes sortes de matériaux en suspension et de détritus. L’eau douce s’en échappe par évaporation, avant de retomber sur les terres ou sur les mers dans des précipitations variées, contribuant ainsi au cycle de l’eau. Toutes ces matières, minérales ou organiques, finissent donc par s’accumuler dans les océans qui ont cette extraordinaire capacité de les retenir. Certaines d’entre elles permettent de faire vivre les espèces animales et végétales qui les peuplent. Les autres, rassemblées au fond, constituent les sédiments qui pourront constituer les sols de continents d’une ère géologique ultérieure.

Les déchets à longue durée de vie comme les matières plastiques plus légères que l’eau se trouvent rassemblés et concentrés par la force centripète [10] dans des gyres, maintenant bien répertoriés (Lire La pollution plastique en mer : le septième continent). On en dénombre habituellement 5, mis en évidence sur la Figure 9, au sein desquels des milliers de tonnes de matières plastiques sont actuellement stockées et forment ce qui est souvent dénommé le sixième continent.

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Figure 10. Un échantillon de la vie dans les océans : poissons et coraux. [Source : Image libre de droits]
Dans les conditions les plus calmes, la mer n’est donc jamais immobile, puisqu’elle est parcourue par de puissants courants océaniques, notamment dans les portions les plus profondes des boucles de la grande circulation thermohaline. Nous avons vu que ce circuit majeur déterminait tous les autres. Sa lenteur justifie que le milieu marin fasse souvent l’objet d’une description quasi-statique. Néanmoins, aussi lente que soit cette circulation thermohaline, les débits transportés sont tels que l’incidence de son mouvement sur la circulation atmosphérique, sur la météorologie et sur le climat est considérable.

La mer fut aussi le berceau de la vie il y a plus de 3,5 milliards d’années. Pendant presque 3 milliards d’années elle demeura l’unique milieu où la vie pouvait se développer et se diversifier, avant que certaines espèces parviennent à modifier profondément l’atmosphère terrestre en l’oxygénant, puis à passer sur les terres émergées et à trouver là les conditions d’un nouveau développement (Lire Lamarck et Darwin : deux visions divergentes du monde vivant). Ceci implique notamment que la majeure partie de la biodiversité de notre planète se trouve dans le milieu marin (Figure 10), où le nombre des espèces vivantes est estimé entre 5 et 10 millions, une grande partie d’entre elles étant encore inconnues. À titre de comparaison, le nombre des espèces vivant sur les terres émergées est de l’ordre de 1,3 million, dont 850 000 espèces d’insectes.

9. Messages à retenir

  • La circulation thermohaline parcourt l’ensemble des océans avec une étonnante lenteur puisque la durée d’un circuit complet est de l’ordre de 1600 ans. Néanmoins les masses transportées sont considérables et confèrent à cette circulation une inertie gigantesque.
  • La naissance de cette circulation provient de l’influence convergente des vents alizés qui engendrent le lent courant d’est équatorial dans l’océan atlantique. Ne pouvant pas traverser le continent américain celui-ci donne lieu au Gulf Stream dans l’océan atlantique nord.
  • Au voisinage du Groenland, le Gulf Stream s’est alourdi et plonge dans les grandes profondeurs pour revenir dans l’hémisphère sud, contourner l’Afrique et le continent antarctique.
  • Deux boucles s’en séparent et reviennent vers le nord dans les océans indien et pacifique, où, allégées, elles peuvent remonter vers la surface, revenir dans l’océan atlantique et ainsi refermer cet immense circuit.
  • Dans chaque océan, le courant de surface est freiné par des tourbillons ralentisseurs dont certains conduisent à la formation de gyres où la force centripète concentre de grandes quantités de déchets légers comme les objets en matière plastique.
  • Cette circulation thermohaline et les courants secondaires ont une influence considérable sur la météorologie et sur le climat, dont ils sont l’élément le plus stabilisateur.

 


Notes et références

Image de couverture. L’immensité des océans autour des terres émergées [Source : Image libre de droits]

[1] Organisation hydrographique internationale, site Wikimini.

[2] Le suffixe halin a pour origine les mots grecs alos (άλος, sel) et alinos (αλίνος, salin).

[3] Vient du mot latin aequinoctium, formé à partir d’aequis (égal) et nox (nuit) et situe la date à laquelle la durée du jour et celle de la nuit sont égales.

[4] Introduite par Gaspard Gustave Coriolis (1792-1843), cette force permet de modéliser les mouvements dans le référentiel des observateurs terriens, bien que ce ne soit pas un référentiel Galiléen. Du fait que la Terre tourne autour de son axe dans le sens direct, les observateurs terriens voient les trajectoires de tous les objets qui ne sont pas fixés sur elle déviées dans le sens opposé. Cette déviation est nulle à l’équateur, elle maximale aux pôles, vers la droite dans l’hémisphère nord, vers la gauche dans l’hémisphère sud. On trouvera plus de précisions dans l’article La circulation atmosphérique.

[5] Il semble que la part du Gulf Stream dans les différences de températures hivernales, de l’ordre de 10 à 15 °C à latitude donnée, entre les côtes de l’Ouest de l’Europe et celles de l’Est du Canada, soit nettement supérieure à la part du courant aérien d’Ouest induit par le jet stream.

[6] Le détroit de Gibraltar est beaucoup trop étroit pour absorber une fraction significative de ce courant. Par contre, la Manche, à son échelle, laisse pénétrer un débit significatif qui engendre les fortes marées des côtes normandes. Mais, à l’échelle de l’océan Atlantique, le débit ainsi prélevé demeure modéré.

[7] D’une façon générale, lors de la solidification d’un mélange liquide où l’on peut toujours distinguer deux phases, un solvant et un soluté, ces deux phases n’ont pas la même solubilité à l’état solide qu’à l’état liquide. Ceci provoque un enrichissement en soluté de la phase liquide, en l’occurrence un enrichissement en sel de l’eau de mer au voisinage de la banquise.

[8] À titre de comparaison, les courants aériens comme les jet streams, qui circulent à des vitesses pouvant atteindre 300 km/h dans le cas du jet stream polaire, ne mettent que quelques jours pour faire le tour complet de la planète (Article Les jet streams)

[9] Ce vaste réservoir de la nature qu’est la mer est une expression tirée de « Vingt mille lieues sous les mers », l’une des œuvres de Jules Verne les plus connues. D’abord publié sous forme d’un feuilleton entre 1869 et 1870, ce roman est le cinquième livre le plus traduit au monde. Il a donné lieu à de nombreuses adaptations au cinéma et à la télévision.

[10] Dans une masse fluide en rotation, la force centrifuge dévie les composants les plus lourds vers l’extérieur ; réciproquement, la force centripète dévie les composants légers vers l’intérieur.


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Pour citer cet article : MOREAU René (24 juillet 2020), La lente et puissante circulation océanique, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 17 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/eau/lente-puissante-circulation-oceanique/.

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