Pourquoi et comment traiter les eaux usées urbaines ?
PDFFace à l’accroissement de la population mondiale combinée à une urbanisation croissante, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement représente encore aujourd’hui un enjeu vital pour beaucoup de villes, notamment dans les pays en développement. L’assainissement désigne l’ensemble des techniques de collecte, de transport et de traitement des eaux usées avant rejet dans le milieu naturel. Il peut se concevoir à l’échelle d’une agglomération (assainissement collectif) ou d’habitations non raccordées à un réseau d’égout collectif (assainissement autonome). Les stations d’épuration du futur tendent à devenir de véritables usines de valorisation des eaux usées afin de produire de l’énergie verte, des matières fertilisantes et des métaux précieux et afin de réutiliser les eaux usées traitées.
1. Bref historique de l’assainissement urbain
Les premiers réseaux d’égouts ont été construits dans l’Antiquité comme la célèbre Cloaca Maxima de la Rome antique (Figure 1). Après la chute de l’empire romain, les réseaux d’égouts ont été progressivement abandonnés. Les eaux sales, les matières fécales et autres détritus ménagers étaient alors déversés directement et entrainaient des odeurs fétides, des contaminations de l’eau des puits et de nombreuses maladies.
Suite aux épidémies successives de choléra qui ont déferlé sur le monde durant le XIXe siècle, le mouvement hygiéniste a préconisé dans les années 1850 la construction de réseaux d’égouts enterrés (Figure 2) pour évacuer les eaux sales domestiques, les eaux pluviales et les eaux de lavage des rues directement dans les rivières ou dans la mer. La longueur du réseau d’assainissement de la Ville de Paris est ainsi passée de 150 km en 1853 à près de 900 km en 1890 (environ 2500 km actuellement). En 1894, une loi oblige les immeubles parisiens à déverser leurs eaux usées et pluviales ainsi que leurs eaux-vannes [1] dans le réseau d’égout (dit unitaire) nouvellement créé [2]. Le concept du tout-à-l’égout est ainsi apparu.
Ce n’est qu’à partir des années 1960 que les réseaux séparatifs ont été développés dans les nouveaux quartiers des villes et dans les villes nouvelles pour collecter et traiter séparément les eaux usées domestiques et les eaux pluviales. Les eaux usées produites par les activités industrielles polluantes ne peuvent pas être rejetées directement dans le réseau d’assainissement et doivent être dépolluées par les industriels. Compte tenu de la très grande diversité et spécificité dans la nature des substances polluantes et dans les procédés de traitement, le cas des eaux usées industrielles ne sera pas abordé dans cet article.
L’évacuation des eaux usées déplaçait le problème des nuisances hors des villes et générait une pollution de plus en plus inacceptable des eaux superficielles. Les premières techniques d’épuration sont alors apparues dans les années 1860 avec l’épandage des eaux usées brutes sur des sols sableux afin d’utiliser le pouvoir épurateur du sol tout en augmentant les productions agricole et maraîchère.
L’accroissement continu de l’urbanisation et du volume d’eaux usées collecté a conduit à une augmentation concomitante de la surface des champs d’épandage (jusqu’à 5000 ha pour Paris vers 1900). Entre les années 1870 et 1900, les capacités d’épandage ont été progressivement augmentées en drainant les champs et en éliminant les matières solides avant épandage par décantation, traitement chimique ou par fermentation anaérobie (c’est-à-dire en l’absence d’oxygène).
Dans les années 1880, apparaissent des filtres artificiels à forte porosité et constitués de matériaux (coke, mâchefers, pouzzolane, …) favorisant le développement intensif d’un biofilm [3] épurateur. Ce sont les lits bactériens. Le premier d’entre eux a été construit en 1893 à Salford (Angleterre).
En 1914, les chercheurs anglais Ardern et Lockett découvrent que la dépollution est beaucoup plus rapide lorsque l’eau usée à traiter est mise en contact avec une biomasse épuratrice [4] déjà formée. Ils déposent ainsi le premier brevet sur le procédé d’épuration qui sera dénommé procédé à boues activées. Ce procédé qui n’utilise pas de filtre, est basé sur une culture intensive d’une biomasse épuratrice en suspension dans l’eau (boue activée). Il a d’abord été mis en œuvre industriellement en Angleterre en 1914 avec un réacteur unique (avec une alimentation séquencée) puis en 1916 avec un réacteur biologique alimenté en continu et couplé à un décanteur (ou clarificateur).
Ces procédés ont ensuite été régulièrement perfectionnés jusqu’à nos jours grâce au progrès apporté aux équipements électromécaniques et aux nouvelles connaissances scientifiques acquises depuis les années 1970 dans la compréhension et l’optimisation des réactions d’élimination des pollutions azotées et phosphorées. Si de nombreux lits bactériens et stations à boues activées ont été construits dans les années 1920 à 1960, il a fallu attendre les années 1970 pour voir le véritable essor de la construction de stations d’épuration dans les pays développés en raison d’une prise de conscience collective de plus en plus importante de la nécessité de protéger l’environnement, appuyée par la publication de textes réglementaires de plus en plus contraignants (Lire Droit de l’eau en en France).
2. Pourquoi épurer les eaux usées urbaines ?
2.1. Composition des eaux usées urbaines
Les eaux usées urbaines contiennent de très nombreux composés organiques et inorganiques présents dans les eaux-vannes (chargées d’urine et de matières fécales), les eaux sales issues de la préparation des aliments, de la buanderie et des salles de bains et dans les eaux de ruissellement. Sur le plan analytique et réglementaire, la caractérisation des eaux usées brutes et traitées fait appel à des paramètres globaux (exprimés en mg/l) qui intègrent un ensemble de polluants :
- La teneur en matières en suspension (MES) qui représentent la pollution particulaire retenue par filtration à travers des filtres de porosité 1,2 µm. Elles sont composées d’environ 25 % de matières minérales et 75 % de matières organiques dénommées matières volatiles en
- La demande chimique en oxygène (DCO) représente la quantité d’oxygène nécessaire pour oxyder totalement la pollution organique dissoute et particulaire, biodégradable et non biodégradable en CO. Cette oxydation totale est réalisée par voie chimique en employant un oxydant très fort (dichromate de potassium), en milieu très acide et vers 150°C durant 2 heures [5]. Pour les eaux usées domestiques brutes, environ 50 % de la DCO est sous forme dissoute et 50 % sous forme particulaire.
- La demande biologique en oxygène sur 5 jours (DBO5) correspond à la quantitéd’oxygène consommée par les bactéries après 5 jours de réaction pour dégrader la matière organique biodégradable. Le rapport DCO/DBO5 des eaux usées urbaines brutes (2 à 2,5) indique que la pollution organique peut être facilement éliminée par voie biologique dans une station d’épuration.
- L’azote Kjeldahl [6] (NK) prend en compte la teneur totale en azote organique (inclus dans l’urée, les acides aminés, les protéines…) et en azote ammoniacal (N-NH3).
- L’azote global (NGL) est la teneur totale en azote organique, en azote ammoniacal, en azote nitreux (N-NO2–) et en azote nitrique (N-NO3–). Ces deux dernières formes de l’azote ne sont pas présentes dans les eaux usées urbaines brutes.
- Le phosphore total (Pt) englobe le phosphore organique et le phosphore inorganique.
Le Tableau 1 donne les caractéristiques moyennes des eaux usées urbaines en entrée de station d’épuration ainsi que la qualité minimale des eaux usées traitées demandée par la réglementation (concentrations maximales ou rendements minimaux d’élimination).
Tableau 1. Composition moyenne des eaux usées urbaines brutes et exemples de normes de rejet pour une grande station d’épuration (pour plus de 100 000 habitants).
Les eaux usées urbaines renferment aussi de nombreux composés inorganiques et organiques à des niveaux de concentrations beaucoup plus faibles (de l’ordre du ng/l à quelques µg/l). Les principales familles de micropolluants sont des produits cosmétiques, des pesticides et résidus de pesticides, des solvants, des hormones naturelles et de synthèse, des résidus de médicaments, des métaux, …. Cette micropollution fait l’objet de campagnes de mesures réglementaires de rejets de substances dangereuses pour l’environnement. Actuellement, une attention particulière est portée sur les concentrations en résidus de pesticides, médicaments et en perturbateurs endocriniens dans les eaux usées en entrée et en sortie de stations d’épuration.
Les eaux usées urbaines contiennent aussi une forte concentration de microorganismes d’origine fécale et en particulier de microorganismes pathogènes dont le nombre et le type dépendent de l’état sanitaire de la population.
2.2. Impacts des rejets sur les milieux aquatiques
L’évacuation d’eaux usées urbaines non traitées dans les eaux superficielles entraine une pollution visuelle (matières flottantes), une diminution de la transparence de l’eau et un envasement des lacs et cours d’eau. Les rejets de substances biodégradables favorisent l’activité biologique dans les cours d’eau qui entraine une diminution de la concentration en oxygène dissous voire une asphyxie des cours d’eau. Les rejets d’azote et de phosphore favorisent les phénomènes d’eutrophisation (Lire Phosphore et eutrophisation et Les nitrates dans l’environnement).
Le rejet de micropolluants peut avoir des effets toxiques sur la faune et la flore des milieux aquatiques. Parmi ces effets, on peut citer la bioaccumulation de molécules persistantes dans la chaine alimentaire, la toxicité chronique aux très faibles doses et la modification du fonctionnement du système endocrinien qui peut se traduire par exemple par une féminisation des poissons mâles. La pollution microbiologique des eaux peut rendre la qualité d’eau impropre pour certains usages.
2.3. Obligation d’épurer les eaux usées
Les microorganismes naturellement présents dans les eaux superficielles peuvent dégrader les substances polluantes apportées par les rejets d’eaux usées mais les capacités auto-épuratrices des cours d’eau sont généralement très largement insuffisantes. Les eaux usées doivent donc être traitées dans des stations d’épuration avant leur rejet dans le milieu naturel. Pour les différents paramètres globaux de pollution, les valeurs de concentrations maximales à ne pas dépasser dans les eaux usées traitées ou des rendements épuratoires minimaux à atteindre sont fixés par des textes réglementaires, cf. Tableau 1 (Lire aussi Le droit de l’eau en France).
3. Comment sont épurées les eaux usées ?
L’épuration des eaux usées urbaines est réalisée principalement par voie biologique en association avec des procédés de séparation liquide/solide (décantation, filtration, flottation) pour retenir les matières en suspension et la biomasse produite. La biomasse épuratrice est essentiellement composée de bactéries (producteurs primaires) qui ont la propriété de sécréter des exopolymères [7] permettant la formation de flocs décantables [8] ou de biofilms au sein desquels se développent d’autres microorganismes (protozoaires, métazoaires) jouant le rôle de prédateurs (Figure 3).
L’élimination par voie biologique des pollutions organique, azotée et phosphorée nécessite, pour chaque type de réactions, des conditions particulières de mise en œuvre (présence ou absence d’oxygène dissous, temps de séjour de la biomasse dans les réacteurs, …). L’épuration est réalisée par des cultures de biomasse épuratrice en suspension dans l’eau ou fixée sur un support.
3.1. Transformation de la pollution par voie biologique
La matière organique biodégradable (constituée de protides, lipides et glucides) sert de nourriture aux bactéries dites hétérotrophes car elles utilisent le carbone organique comme source de carbone pour leur développement et leur multiplication (anabolisme) et pour leur besoin en énergie (catabolisme) (Figure 4). Cette production de nouvelles cellules nécessite aussi la présence d’azote ammoniacal et de phosphates qui se trouvent en quantités largement suffisantes dans les eaux usées brutes. En présence d’oxygène dissous ou de nitrates, les rejets organiques sont transformés à peu près à parts égales en CO2 et en biomasse (Figure 4).
Les principales réactions de transformation de la pollution azotée dans les stations d’épuration sont l’ammonification, l’assimilation, la nitrification et la dénitrification (Figure 5) :
- L’ammonification (réaction 1) transforme l’azote organique (principalement contenu dans l’urée pour les eaux usées) en azote ammoniacal. Cette réaction est rapide ; elle est assurée par de très nombreux types de micro-organismes :
Urée [CO(NH2)2] → Ammoniac [NH3] + dioxide de Carbone [CO2]
- L’assimilation (réaction 2) de l’azote ammoniacal par les bactéries pour former de nouvelles biomolécules organo-azotées entrant dans la composition des nouvelles bactéries.
- La nitrification (réactions 4a et 4b) biologique transforme l’azote ammoniacal (ammonium, NH4+) en azote nitreux (nitrite, NO2–) par des bactéries nitritantes puis en azote nitrique (nitrate, NO3–) par des bactéries nitratantes :
Ammonium [NH4+] → Nitrite [NO2–] → Nitrate [NO3–]
Ces réactions se déroulent uniquement en présence d’oxygène. Elles sont réalisées par des bactéries dites autotrophes car elles utilisent le carbone minéral (CO2 ou HCO3–) comme source de carbone pour la synthèse de nouvelles bactéries.
- La dénitrification (réaction 5) biologique réalise la réduction des ions nitrate (NO3–) en diazote (N2). Dans les stations d’épuration, la dénitrification n’est possible qu’en absence d’oxygène Elle est réalisée par des bactéries hétérotrophes et nécessite la présence de matière organique. Comme l’illustre la réaction écrite pour la dénitrification en présence de méthanol (petite molécule organique très biodégradable), la dénitrification est accompagnée d’une élimination de la pollution organique (oxydation en CO2) :
Nitrate [NO3–] + Méthanol [CH3OH] → Diazote [N2] + Dioxide de Carbone [CO2] +Eau [H2O]
Comme pour l’azote ammoniacal, la croissance de la biomasse s’accompagne d’une élimination partielle du phosphore par assimilation (incorporation du phosphore dans de nouvelles biomolécules).
Une élimination plus poussée du phosphore par voie biologique n’est possible que si la biomasse subit une alternance de phases anaérobie et aérobie permettant le développement de bactéries dites déphosphatantes qui ont la propriété de suraccumuler du phosphore dans leurs cellules. Le phosphore peut ainsi représenter 10 à 12 % du poids sec des bactéries déphosphatantes contre 1 à 2 % pour des bactéries non déphosphatantes.
Dans les stations d’épuration, la déphosphatation biologique ne permet d’éliminer qu’environ 40 à 60 % du phosphore. Afin d’atteindre les normes de rejet (voir Tableau 1), elle est complétée par une déphosphatation physico-chimique qui consiste en une précipitation du phosphore sous forme de phosphate ferrique par addition d’un sel de fer (en général du chlorure ferrique, FeCl3).
3.2. Des procédés intensifs pour les grandes stations d’épuration
L’épuration des eaux usées d’agglomérations de plus de 2000 à 4000 EH [9] est très majoritairement assurée par des stations d’épuration qui mettent en œuvre une culture intensive de biomasse épuratrice en suspension dans l’eau (appelée boues activées) ou fixée sur un support (biofiltres immergés). Ces stations d’épuration présentent l’avantage d’occuper une faible surface au sol. Par contre, ces stations consomment beaucoup d’énergie (environ 60 à 90 kWh/habitant/an), notamment pour apporter l’oxygène aux bactéries par brassage et injection d’air (Figure 6). Elles génèrent une quantité importante de boues d’épuration (20 à 22 kg de matières sèches/habitant/an) constituées principalement de matières en suspension non biodégradables et de la biomasse produite dans les réacteurs biologiques.
Une station d’épuration à boues activées (Figure 7) comprend :
- des étapes de prétraitements destinées à éliminer les gros débris (dégrillage et tamisage), le sable (dessablage) et les graisses (dégraissage) ;
- le(s) réacteur(s) à boues activées
- un décanteur (dénommé clarificateur)
- éventuellement un traitement tertiaire (par exemple une désinfection par irradiation UV) avant rejet dans le milieu naturel.
Une station d’épuration à boues activées comporte généralement deux ou trois réacteurs biologiques en série dont l’agencement et les conditions de fonctionnement ont été choisis de manière à optimiser les vitesses d’élimination des pollutions organique, azotée et phosphorée. La formation de flocs bactériens dans les bassins de boues activées permet de séparer par décantation dans le clarificateur l’eau usée traitée qui part en surverse et les boues qui se déposent au fond de l’ouvrage (Figure 8). Une partie des boues est recirculée dans le(s) réacteur(s) biologique(s) et l’excédent est envoyé vers la filière de traitement et de valorisation des boues. Inventé en 1914, ce type de station d’épuration traite environ 90 % des usées urbaines collectées en France.
Le remplacement du clarificateur par une filtration sur membranes poreuses (réacteur biologique à membranes) permet de mettre en œuvre une concentration plus élevée en biomasse dans le réacteur biologique. Par rapport à une décantation, la filtration membranaire garantit une eau traitée exempte de matières en suspension et un meilleur abattement [10] des bactéries.
Stations d’épuration par biofiltration. Ce procédé développé dans les années 1980 permet d’éliminer les pollutions organique et azotée par une biomasse fixée qui se développe dans un filtre immergé. Ce support (granulométrie : 4 à 6 mm) joue à la fois le rôle de support pour le développement du biofilm et de média filtrant. A la sortie, l’eau traitée peut être rejetée directement dans le milieu récepteur (absence de clarificateur). Afin de ne pas colmater trop rapidement les biofiltres, une élimination poussée des matières en suspension est effectuée avant la biofiltration. Un lavage journalier des biofiltres permet de récupérer les matières en suspension retenues ainsi que la biomasse produite lors de la filtration.
3.3. Des procédés extensifs pour les petites stations d’épuration
Les eaux usées des stations d’épuration des petites collectivités (< 1000 à 2000 EH) sont généralement épurées par lagunage naturel ou par des filtres plantés de roseaux. Ces procédés d’épuration extensifs (appelés aussi procédés rustiques) ont la particularité de traiter des eaux usées brutes sans aucun prétraitement (à l’exception d’un dégrillage pour éliminer les débris de taille supérieure à 10 à 15 mm), sans équipements électromécaniques et sans aucune consommation électrique (hormis pour le pompage).
Le lagunage naturel consiste à faire circuler durant plusieurs dizaines de jours les eaux usées à traiter dans 3 bassins étanches (lagunes) en série de faible profondeur (1 à 1,4 m) (Figure 9).
L’épuration des eaux usées résulte principalement de réactions biologiques dans la couche d’eau supérieure et de la sédimentation des matières décantables en fond des bassins (Figure 10).
- Couche d’eau supérieure : en conditions aérobies, les bactéries oxydent la pollution organique biodégradable (surtout dans le 1er bassin) et azotée (nitrification 2e et 3e bassin). L’oxygène dissous est fourni par les échanges entre l’eau et l’atmosphère par les microalgues (photosynthèse). Lors de leur développement, les micro-algues assimilent une partie de l’azote et du phosphore et du phosphore apportés par les eaux usées.
- Au fond : l’absence d’oxygène dissous au fond des bassins (pas de photosynthèse) permet une dénitrification partielle de l’azote nitrique et conduit éventuellement à des réactions de fermentation anaérobie (production d’hydrogène sulfuré).
Les performances épuratoires du lagunage varient en fonction des saisons au gré des variations d’ensoleillement et de température de l’eau. Un curage des bassins est réalisé tous les 10 à 12 ans en raison de l’accumulation de sédiments.
Les filtres plantés de roseaux représentent une version artificielle des marais naturels (Figure 11). La filière classique consiste à filtrer les eaux usées préalablement débarrassées de leurs gros débris (dégrillage) à travers deux étages de filtres plantés en série. Chaque filtre est composé d’un massif filtrant de 60 à 90 cm de profondeur et planté de roseaux. L’épuration biologique est réalisée par rétention des matières en suspension à la surface des filtres et par la biomasse épuratrice fixée sur le matériau filtrant et sur le système racinaire des roseaux. Le rôle essentiel des roseaux est d’assurer un décolmatage mécanique des filtres sous l’action du vent. Les filtres plantés nécessitent une emprise au sol 5 à 6 fois plus faible qu’un lagunage naturel et s’insèrent très bien dans le paysage (voir le focus : Filtres plantés de roseaux).
4. Les stations d’épuration du futur : de véritables usines à recycler
Les stations d’épuration ont pour objectif principal de diminuer les flux de pollution rejetés dans le milieu naturel. Elles peuvent aussi devenir de véritables usines pour produire de l’énergie verte, des matières premières ou encore pour réutiliser les eaux traitées [11],[12]. Ces nouvelles actions rentrent dans le cadre des démarches de développement durable, d’économie circulaire, de production d’énergie renouvelable et de lutte contre le réchauffement climatique développées par les villes et les collectivités territoriales.
4.1. Production d’énergie verte
Chaque habitant raccordé à une station d’épuration produit environ 20 à 25 kg/an (en poids sec) de boues d’épuration. Ces boues qui contiennent environ 65 % de matières organiques, de l’azote et du phosphore, sont depuis longtemps valorisées en agriculture (épandage, compostage). Elles sont de plus en plus valorisées dans les grandes stations d’épuration pour la production d’énergie renouvelable. L’incinération des boues (seules, avec des ordures ménagères ou en cimenteries) diminue la consommation de combustibles fossiles.
La digestion anaérobie des boues de station d’épuration produit environ 6 m3 de biogaz/EH.an (contenant 65 % de méthane et 30 % de CO2). Le biogaz peut être valorisé pour produire de la chaleur et/ou de l’électricité ou être injecté dans le réseau de gaz de ville après purification. La méthanisation des boues de station d’épuration est un procédé éprouvé et l’optimisation de la valorisation du biogaz produit est actuellement recherchée dans les nouvelles installations.
Si la chute d’eau et le débit d’eau le permettent, des turbines peuvent être installées dans les canalisations en amont ou en aval d’une station d’épuration pour convertir l’énergie hydraulique en électricité. La Suisse peut ainsi produire d’une manière rentable au moins 9,3 GWh/an d’énergie hydroélectrique à partir des eaux usées et 3,5 GWh/an sont déjà exploités [13].
La chaleur des eaux usées [14] représente une source renouvelable d’énergie [15] . La chaleur peut être récupérée au niveau du réseau d’assainissement ou en sortie de station d’épuration à l’aide d’échangeurs de chaleur pour alimenter des pompes à chaleur qui produisent à l’échelle locale de la chaleur et du froid. La récupération de la chaleur des eaux usées connait actuellement un essor très important pour la production d’eau chaude sanitaire, le chauffage et la climatisation de bâtiments publics, de piscines et d’immeubles. Des études pilotes sont actuellement menées pour faire des cultures de microalgues en utilisant l’azote et le phosphore des eaux usées traitées comme source de nutriments en vue de produire des biocarburants (Lire Biocarburants : l’avenir est-il aux microalgues ?).
Les biopiles sont des réacteurs qui utilisent des bactéries pour convertir directement l’énergie libérée lors de l’oxydation de composés biodégradables en électricité. Les travaux de recherche actuels tentent de développer des biopiles viables sur le plan technico-économique.
4.2. Production de matières premières
Le phosphore contenu dans les eaux usées peut être précipité (sous forme de granulés de phosphate de calcium ou de struvite [16]) et être réutilisé comme fertilisant en agriculture. Les bilans réalisés sur l’une des premières réalisations industrielles (station d’épuration d’Aarhus au Danemark, 85 000 EH) indiquent que 60 % des 700 à 750 g de phosphore rejeté annuellement par chaque habitant peut ainsi être recyclé, limitant ainsi l’importation de phosphates extraits à partir de minerais.
Les eaux usées contiennent des métaux précieux et rares comme le cuivre, l’argent, l’or, le platine, le palladium, le vanadium, …. Selon des chercheurs de l’Arizona State University (USA), il y a l’équivalent de 13 millions de dollars de métaux dans les boues de station d’épuration produites chaque année par une ville d’un million de personnes, dont 2,6 millions de dollars en or et argent. Ces métaux se retrouvent dans les boues d’épuration [17]. Au Japon, une installation de traitement des eaux usées récupère déjà de l’or dans les cendres d’incinération de boues de station d’épuration [18].
Les études récentes réalisées à petite échelle ont démontré qu’il est possible de produire un bioplastique biodégradable (un polyhydroxyalcanoate : PHA) à l’aide de bactéries qui transforment la matière organique des eaux usées brutes ou des boues d’épuration. Une station d’épuration recevant les eaux usées de 1 million d’habitants peut potentiellement produire 18 000 tonnes de PHA/an.
4.3. Réutilisation des eaux usées traitées
Beaucoup de régions de la planète souffrent d’un déficit hydrique temporaire voire chronique et les eaux usées épurées peuvent être réutilisées pour pallier le manque de ressources en eau. Elles peuvent être utilisées pour l’arrosage d’espaces verts et de terrains de golf, l’irrigation des surfaces agricoles, les besoins des industriels ou encore pour la production d’eau potable [19] (réutilisation directe dans une usine de production d’eau potable ou indirectement par recharge de retenues d’eau ou de nappes d’eaux par infiltration). Selon la destination de l’eau, les eaux usées sortant d’une station d’épuration doivent subir des post-traitements appropriés allant d’une simple désinfection à une succession de traitements beaucoup plus complexes.
5. Messages à retenir
- Le traitement des eaux usées s’est imposé d’abord pour des raisons sanitaires dans les grands centres urbains, puis a pris son essor à partir des années 1970 pour satisfaire des normes plus strictes de préservation des milieux naturels.
- Les eaux usées urbaines sont traitées par des procédés biologiques, complétés par une déphosphatation physico-chimique. Les eaux polluées industrielles sont traités séparément dans des installations spécifiques.
- Pour les agglomérations de plus de 2000 à 4000 habitants, des stations d’épuration intensives utilisent principalement le procédé des boues activées (90% des eaux urbaines collectées en France).
- Pour les petites communautés, des stations d’épuration extensives utilisent le lagunage naturel ou les filtres plantés de roseaux.
- Les développements en cours visent à valoriser les boues d’épuration, en récupérant l’énergie sous forme de biogaz ou de chaleur, en produisant des engrais ou des bio-plastiques, et parfois en valorisant les métaux extraits.
Références et notes
Image de couverture. Station d’épuration d’Antwerp-Zuid. [Source : By Annabel [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], from Wikimedia Commons.]
[1] Eaux fortement chargées provenant des toilettes.
[2] Tabuchi J.P. (2008) L’assainissement de l’agglomération parisienne, Nanterre, Agence de l’eau Seine-Normandie, 35 p. http://www.reseauprojection.org/ateliers/niamey_2009/Documents_annexes/session%203%20-%20Histoire%20assainissement%20agglo.%20parisienne%20JPT.pdf
[3] Un biofilm est une communauté de micro-organismes (bactéries, champignons, algues ou protozoaires), adhérant entre eux et à une surface, et marquée par la sécrétion d’une matrice adhésive et protectrice. Il se forme généralement dans l’eau ou en milieu aqueux.
[4] Les biomasses épuratrices qui se développent dans une boue activée sont composées d’un mélange de micro-organismes vivants ou morts (Bactéries & Actinomycètes) de débris organiques et/ou minéraux, de colloïdes et d’une microfaune composée d’animaux de petite taille, spécifique du site.
[5] Par exemple, les débris végétaux (pollution particulaire) sont oxydés en milieu acide par le bichromate de potassium en CO2 et consomment donc de l’oxygène (1 mole de bichromate consommé = 1,5 mole de O2).
[6] La méthode de Kjeldahl est une technique de détermination du taux d’azote dans un échantillon mise au point en 1883 par le danois Kjeldahl. Largement modifiée par la suite, elle est connue comme la détermination de l’azote suivant Kjeldahl, Wilforth et Gunning.
[7] Molécules excrétées par les micro-organismes et qui permettent leur agrégation, au sein des biofilms par exemple.
[8] Les eaux résiduaires contiennent une part importante de matières organiques composées de colloïdes qui ne peuvent pas s’agréger à cause de leur charge électronégative. Pour déstabiliser cette suspension et récupérer les composés, il faut favoriser l’agglomération des colloïdes en diminuant leurs forces de répulsion électrostatique. C’est la phase de coagulation. Les micro-flocs s’agrègent les uns aux autres pour constituer des flocons plus volumineux, jusqu’à devenir décantables par gravité. Le floc est ainsi constitué.
[9] EH = Equivalent-Habitant. Unité de mesure permettant d’évaluer la capacité d’une station d’épuration et basée sur une quantité de pollution émise par personne et par jour égale à 60 g de DBO5/jour. (Exemple : une station d’épuration de 1000 EH reçoit 60 kg DBO5/j).
[10] L’abattement des bactéries correspond à une réduction du nombre de bactéries dans le milieu après traitement.
[11] Trouvé E. (2010). La station d’épuration du futur. Le cahier des chroniques scientifiques de Véolia, n°17, 13 pages.
[12] ARMC, Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse (2016). La station d’épuration du futur. Elle est pleine de ressources ! (Plaquette de 5 pages).
[13] Bousquet C., Samora I., Manso P., Schleiss A., Luca Rossi L., Heller P. (2015). Le turbinage des eaux usées. Quel potentiel pour la Suisse ? Aqua et Gas, 15,54-61.
[14] La température des eaux usées est comprise entre 12°C et 20°C selon le moment de la journée et les saisons.
[15] De Batz S., Van den Bossche H. (2007). La production d’énergie renouvelable par les systèmes d’épuration, quelques exemples. Techniques Sciences et Méthodes, 12, 67-83.
[17] Westerhoff P., Lee S., Yang Y., Gordon G.W., Hristovski K., Halden R.U., Herckes P. (2015). Characterization, recovery opportunities, and valuation of metals in municipal sludges from U.S. wastewater treatment plants nationwide. Environmental Science & Technology, 49(16), 9479–9488.
[18] Une installation de traitement des eaux usées à Suwa, près de Nagano (centre du Japon), a enregistré un rendement de 1 890 grammes d’or par tonne de cendres provenant de boues incinérées. Le pourcentage élevé d’or trouvé est probablement dû au grand nombre de fabricants d’équipements de précision dans les environs. Cette teneur en or est beaucoup plus élevée que celle de mines d’or. Par exemple, la mine japonaise Hishikari (Sumitomo Metal Mining Co Ltd) produit 20 à 40 grammes de métal précieux par tonne de minerai.
[19] J. Haarhoff, B. Van der Merwe (1996) Twenty-five years of wastewater reclamation in windhoek, Namibia, Water Science and Technology 33 (10-11) 25-35;
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Pour citer cet article : DE LAAT Joseph (28 juin 2018), Pourquoi et comment traiter les eaux usées urbaines ?, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 décembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/eau/pourquoi-comment-traiter-eaux-usees-urbaines/.
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