L’émission, la propagation et la perception du son
PDFDouces notes de musique, ronronnement d’un moteur, stridences d’un marteau-piqueur… Comment les sons sont-ils produits et comment parviennent-ils jusqu’à nos oreilles ? Le son est composé d’oscillations qui se propagent dans les milieux compressibles notamment dans les fluides et les solides, avec des caractéristiques qui sont propres à chacun d’eux. Dans cet article, les notions de fréquence, de longueur d’onde et de puissance sonore sont dévoilées. Nous irons même un peu plus loin en dégageant les concepts de modes propres et de résonance, illustrés par les exemples de la balançoire et de la musique produite par un violon.
1. Le son, qu’est-ce que c’est ?
Les sons sont des alternances de compressions et de détentes, qui se propagent dans l’air, ou dans tout autre milieu compressible, depuis un émetteur jusqu’à un récepteur ; on les appelle aussi des ondes acoustiques. Souvent, l’émetteur est un matériau solide, plus ou moins souple, excité mécaniquement. Ce peut être une enclume mise en vibration par le choc du marteau, une corde de guitare excitée par le doigt du musicien, ou encore la membrane d’un haut parleur mise en mouvement par un électro-aimant. De même, les fluctuations de pression dans des fluides comme l’air ou l’eau, engendrées par des hélices, par les jets issus de tuyères, ou encore par la turbulence produite par le déplacement d’un véhicule, créent des sons qui se propagent dans ce milieu.
Le fluide ambiant transmet sa propre vibration à son voisinage, en forçant les couches de molécules les plus proches à suivre ses allers et retours. A leur tour, elles transmettent aux couches voisines ces alternances de compressions et de détentes, et ainsi de suite (voir l’animation de l’image de couverture). L’air apparemment au repos, mais dont nous savons bien qu’il est constitué de molécules en perpétuelle agitation et qu’il est compressible [1], est très sensible à ces secousses qui, alternativement, resserrent puis écartent les couches de molécules. L’eau, beaucoup plus dense que l’air (environ 800 fois) et beaucoup moins compressible (environ 100 000 fois), est aussi constituée de molécules en agitation, mais celles-ci se repoussent avec des forces coulombiennes [2] très difficiles à vaincre. Comme l’eau, les liquides sont donc aussi capables de véhiculer des sons.
Ces variations de pression peuvent parvenir à un récepteur, qui est souvent une membrane souple comme le tympan d’une oreille (Figure 1) ou le capteur d’un microphone. Ce récepteur vibre à son tour avec les couches de molécules les plus proches de lui. Dans le cas de l’oreille humaine ou animale (Figure 2) les nerfs auditifs transmettent les informations reçues au cerveau habitué à les reconnaître et à les interpréter. Les microphones, eux, transforment les oscillations de leur membrane en signal électrique pour enregistrement ou amplification et réémission par une enceinte audio.
2. Célérité, fréquence et longueur d’onde
Dans un gaz comme l’air la propagation du son résulte d’une propriété essentielle : la mobilité des molécules, avec une vitesse moyenne de l’ordre de 480 m/s dans les conditions normales (lire l’article Pression, température, chaleur). Mais cette agitation n’a pas d’orientation privilégiée : elle diffuse l’énergie de la secousse dans toutes les directions. Or la vitesse de propagation du son dans l’air, que l’on appelle célérité, implique que toutes les molécules situées dans un très petit volume (la particule fluide) subissent un même déplacement ordonné et collectif. Ceci explique que la célérité du son, bien que liée à la vitesse moyenne des molécules, ne soit qu’une fraction de cette vitesse moyenne, de l’ordre de 340 m/s.
Cette célérité du son est très faible par rapport à la vitesse de la lumière (300 000 km/s dans le vide et presque autant dans l’air). Ceci explique que le spectateur d’un match de football, assis dans les tribunes à une distance d’environ 170 m du rond central, n’entende la frappe du joueur qu’une demi-seconde après avoir vu son pied frapper le ballon. A l’inverse, sur des distances assez courtes comme les dimensions d’une salle de concert, les ondes sonores sont capables de véhiculer avec fidélité des informations d’une très grande subtilité, que les mélomanes apprécient. Petit exercice bien connu : par temps d’orage, sachant que la perception de l’éclair est quasi-instantanée, comment peut-on évaluer à quelle distance l’orage vient d’éclater ?
L’une des propriétés principales des ondes de toute nature est leur période T ; dans le cas du son, T est la durée entre deux compressions ou détentes successives en un point donné. Au lieu de la période, il est courant et tout à fait équivalent d’utiliser son inverse, la fréquence f = 1/T qui représente donc le nombre d’oscillations par seconde. La fréquence est comptée en Hertz, noté Hz (1 Hz = 1 s-1). Avec la célérité du son c et sa période T ou sa fréquence f, il est élémentaire de construire la longueur d’onde de la vibration sonore λ = cT = c/f, distance entre deux maxima ou minima successifs. Une fréquence de 1000 Hz, relativement bien centrée dans la gamme audible, correspond donc à une longueur d’onde de 34 cm (voir Figure 3 et paragraphe suivant).
Dans notre environnement, tout bouge sans cesse et émet donc des sons. Dans nos propres corps, le sang circule, les poumons se gonflent et se dégonflent, le système digestif lui aussi est animé. Mais nos chairs relativement molles amortissent bien ces variations de pression ; ceci impose au médecin l’utilisation d’un stéthoscope pour entendre les battements de nos cœurs ou les fluctuations de vitesse de l’air dans nos bronches. Par ailleurs, les oreilles humaines ne sont sensibles qu’à une bande de fréquences assez étroite, entre 15 Hz et 15 000 Hz. C’est pour cela que nous ne percevons pas nos bruits intérieurs, à l’exception de notre propre voix. Ceci nous permet de fixer notre attention sur les bruits venant de l’extérieur, souvent plus agréables, et surtout plus utiles par toutes les informations qu’ils nous permettent de capter. D’autres espèces animales perçoivent des sons dans des bandes de fréquences très différentes. Les éléphants émettent et entendent des infrasons de fréquence inférieure à 10 Hz, qu’ils utilisent pour communiquer entre eux. A l’autre extrémité, les chauves-souris émettent et entendent des ultrasons de fréquence supérieure à 30 000 Hz, dont les échos réverbérés par leur environnement leur permettent d’en prendre connaissance dans l’obscurité la plus totale.
D’une manière générale la célérité du son est pratiquement indépendante de la fréquence. Cependant elle dépend de la masse volumique du milieu et, par là, elle est est assez sensible aux variations de température et de pression. Cette célérité est d’autant plus grande que la masse volumique du milieu et sa compressibilité sont plus petits. Ainsi, dans l’hélium, dont la compressibilité est voisine de celle de l’air mais dont la densité est beaucoup plus faible, la célérité du son est presque 3 fois plus grande que dans l’air.
3. La puissance sonore
Pour caractériser la puissance d’un son, il est courant d’utiliser la pression acoustique p, amplitude maximale de la fluctuation locale de la pression atmosphérique. D’ordinaire, cette fluctuation est très faible. A titre d’exemple, une personne parlant normalement produit une pression acoustique de l’ordre de 0,01 pascal (Pa) à un mètre de distance, soit 10 millions de fois moins que la pression atmosphérique normale, voisine de 100000 Pa.
Cette pression acoustique est proportionnelle à l’amplitude maximale des vibrations montrées sur la figure 2. En réalité, la sensation perçue par l’oreille humaine est plutôt proportionnelle au logarithme [3] de la pression qu’à la pression elle-même. Ceci signifie qu’une pression acoustique 10 fois plus forte est ressentie comme un son 2 fois plus intense, une pression acoustique 100 fois plus forte comme un son 4 fois plus intense. La puissance transportée par une onde sonore étant proportionnelle au carré de la pression acoustique, ceci a conduit à caractériser la puissance d’un son par la quantité 10 log10 (p2/p2réf)=20 log10(p/préf), nommée le décibelLe décibel (dB), ou dixième du Bel, est l’unité de puissance sonore couramment utilisée, ainsi nommée en hommage à Graham Bell (1847-1922), scientifique écossais inventeur du téléphone. Il est égal à 20 log10(p/préf) où p désigne la pression acoustique et préf une pression de référence fixée arbitrairement à 20 μPa (20×10-6 Pascal, soit 0,2 milliardième de la pression atmosphérique), ce qui représente le seuil d’audition chez la plupart des humains.{end-tooltip} [4] et notée dB, où préf est une pression de référence fixée arbitrairement à 20 μPa (20 × 10-6 Pascal, soit 0,2 milliardième de la pression atmosphérique). Cette référence correspond au seuil d’audibilité chez la plupart des gens c’est à dire à 0 dB. Ainsi, un accroissement de 20 du nombre de décibels représente une multiplication par 10 de l’amplitude de la pression acoustique, soit encore une multiplication par 100 de la puissance sonore, encore appelée l’intensité du son. Voici quelques ordres de grandeur qui donnent une signification pratique au décibel :
- Atmosphère campagnarde calme : 40 dB ou p=2 × 10-8 fois la pression atmosphérique.
- Rue animée avec circulation automobile : 80 dB ou p=2 × 10-6 fois la pression atmosphérique.
- Aéroport avec avion au décollage : 120 dB ou p=2 × 10-4 fois la pression atmosphérique.
- Limite légale de sécurité pour une exposition brève : 135 dB ou un millième de la pression atmosphérique.
Chacun sait qu’il est nécessaire d’élever de plus en plus la voix pour appeler une personne qui s’éloigne. En se propageant, le son émis par une source quelconque perd en effet assez rapidement son intensité, pour deux raisons. Tout d’abord, puisque son énergie se répartit sur un front hémisphérique de plus en plus vaste au fur et à mesure que le front d’onde s’éloigne du lieu d’émission, son intensité diminue en raison inverse de l’aire de ce front, c’est à dire comme l’inverse du carré de la distance à la source. Par ailleurs, cette énergie initiale, faite de compressions et de détentes du gaz, est progressivement dissipée en chaleur par la viscosité (lire l’article Pression, température et chaleur).
4. Oscillations simples : le pendule et la balançoire
Commençons notre découverte des phénomènes oscillants par le cas du pendule simple. Il ne possède qu’un seul {tooltip}degré de liberté{end-texte}On désigne ainsi chaque paramètre, ou coordonnée, permettant de caractériser la position d’un objet ou de son centre de gravité sur sa trajectoire. : la position de son centre de gravité sur une trajectoire en arc de cercle (Figure 4). Très rapidement après que l’excitation ait cessé, les éventuelles perturbations initiales désordonnées cessent et les oscillations de ce pendule se poursuivent avec une fréquence bien déterminée, que l’on appelle sa fréquence propre, égale, pour de petites oscillations, à (1/2π)(l/g)1/2, où l désigne la longueur du pendule et g la gravité. Le fait que cette fréquence propre dépende de la gravité traduit l’échange entre énergie potentielle (maximale aux points hauts) et énergie cinétique (maximale au point bas). Ce mouvement périodique régulier est le mode propre d’oscillation du pendule.
Supposons maintenant que l’on apporte au pendule une énergie supplémentaire en choisissant bien la fréquence de cet apport. Exemple : à chaque passage du pendule par son point bas, on le pousse pour lui fournir une vitesse supplémentaire ; cette énergie va s’ajouter à l’énergie antérieure du pendule et l’amplitude de ses oscillations va s’accroître. On dit alors que la fréquence de cette nouvelle excitation est en phase avec l’oscillation du pendule et qu’elle conduit à une résonance du pendule. Cette résonance se traduit par de grandes amplitudes, telles que, à chaque oscillation, l’apport d’énergie soit exactement égal à l’énergie dissipée.
En revanche, si l’on n’apporte aucune énergie au système, l’amplitude des oscillations va progressivement diminuer puisque l’énergie sera régulièrement diminuée par frottement.
Le cas de la balançoire (Figure 5) montre une autre forme de résonance. Avec un peu d’entraînement, les enfants parviennent à s’élancer lors du passage au point bas et à accroître ainsi l’amplitude de l’oscillation. On remarquera d’ailleurs qu’ils apportent une énergie supplémentaire tout en réduisant la résistance de l’air en s’allongeant le mieux possible le long de leur trajectoire quand la balançoire passe à son point bas.
5. Ondes stationnaires : corde vibrante et musique
Ni le pendule ni la balançoire ne produisent des sons (seuls les grincements de leurs fixations peuvent être audibles). Au-delà de ce cas simple, une nouvelle étape doit être franchie pour illustrer comment un corps oscillant produit des sons. Le prototype d’un tel système est la corde tendue entre deux points fixes, soumise à une excitation, qui vibre et émet des sons. C’est le procédé utilisé pour produire de la musique avec les violons, les guitares, les harpes et autres instruments à corde. Ces systèmes mécaniques sont fort complexes, car ils possèdent une infinité de degrés de liberté – toutes les positions possibles – et autant de modes propres. Parmi ceux-ci, on distingue le mode fondamental, tel qu’une seule demi-longueur d’onde soit présente entre les deux points fixes, et ses harmoniques dont les fréquences sont des multiples de la fréquence fondamentale. L’animation de la Figure 6 illustre les trois premiers modes, l’imagination permet de deviner la suite infinie des harmoniques non représentée.
L’une des propriétés les plus intéressantes de ce système oscillant est son aptitude à former des ondes stationnaires, comme celles illustrées sur l’animation de la Figure 6. Cette oscillation a ceci de remarquable qu’elle met en évidence une succession de nœuds (points où l’amplitude du mouvement de la corde est nulle) et de ventres (points où elle est maximale). Le nombre de nœuds et de ventres dépend de la distance entre les deux points fixes et de la tension de la corde. Le fait que la propagation le long de la corde ait disparu justifie le nom d’onde stationnaire. En revanche, la propagation de cette excitation bien particulière dans l’air environnant se poursuit au point de transporter le son émis par la corde jusqu’à l’oreille d’un auditeur ou à un microphone. La durée pendant laquelle l’excitation est maintenue, par exemple la durée du frottement de l’archet sur la corde d’un violon, conditionne la longueur de la note émise.
Il est aussi possible de créer des ondes stationnaires entre un point fixe et une extrémité libre. Le mode fondamental comprend alors seulement un quart de longueur d’onde entre ces deux extrémités. Même s’il est formé de deux branches métalliques au lieu d’une corde vibrante, le diapason illustre fort bien ce système, à tel point que son aptitude à émettre un « la » d’une pureté assez grande peut devenir la référence pour un orchestre entier.
L’oscillation de la corde vibrante est audible mais non visible. En revanche, celle du tube de feu de la Vidéo ci-dessous montre qu’il est possible de visualiser les fluctuations périodiques de la pression au sein du gaz propane présent dans cet appareil. Le débit du gaz à travers les orifices distribués le long du tube et la hauteur de chaque petite flamme sont proportionnels à cette pression : nuls aux nœuds et maximaux aux ventres.
Video. Le tube de feu de Ruben. Un haut parleur envoie des ondes acoustiques dans un long tube où des ondes stationnaires s’installent pour une gamme de fréquences qui entrent en résonance avec ce tube. A l’extrémité gauche du propane est pompé dans le tube ; il en ressort par une série d’orifices situés sur la génératrice supérieure, créant ainsi une flamme longitudinale. La hauteur locale de cette flamme, proportionnelle à la pression locale dans le tube met en évidence les ventres et les nœuds au sein de celui-ci.
Dans tous les instruments de musique, notamment les instruments à cordes, la production du son provient de la résonance entre l’excitation et un ensemble de modes propres, harmoniques compris (Figures 6 et Vidéo). C’est en recherchant cette résonance que le musicien sélectionne la note qu’il veut faire entendre. La pureté du son émis tient à la sélection précise des modes propres excités. En général, à elle seule, la vibration d’une corde est à peine audible. C’est pourquoi, dans les violons, violoncelles et guitares, les cordes sont couplées à une table d’harmonie ; située à proximité des cordes, elle est construite de façon à former avec d’autres pièces une caisse de résonance (voir Figure 7). A son tour, cette caisse possède ses modes propres de vibration qui peuvent entrer en résonance avec ceux de la corde. Grâce à ses dimensions significatives, cette table d’harmonie amplifie les sons et les transmet à l’air, où ils se propagent vers les auditeurs. C’est finalement l’aire de la table d’harmonie qui détermine la tessiture [5] du son émis. Elle varie de 500 cm2 environ pour un violon destiné à un adulte (la longueur AB sur la Figure 7 est de l’ordre de 35 à 36 cm), à 1000 cm2 pour un violoncelle et 2000 cm2 pour une contrebasse, instruments caractéristiques des orchestres symphoniques.
Falaises rocheuses, enceinte d’un théâtre antique, mur anti-bruit… Chacun sait que des parois, naturelles ou artificielles, peuvent avoir une influence sur le signal perçu par l’auditeur. Cette influence tient à la fois à leur forme, plus ou moins favorable à des résonances, et à leur état de surface. Des parois lisses, fermes et élastiques réverbèrent bien le son ; à l’inverse, les parois rugueuses, ou revêtues avec des matériaux souples et absorbants, le réverbèrent mal. On touche ici au phénomène de l’écho, dont l’analyse débouche sur des applications importantes comme la conception de salles de concert de haute qualité acoustique, ou la protection contre les nuisances sonores.
6. Propagation du son dans l’eau et dans les solides
Puisqu’il résulte de leur compressibilité, le son se propage dans tous les milieux, notamment dans les liquides comme l’eau. Dans les mers ce phénomène présente un intérêt considérable, puisque, la lumière ne pénétrant pas dans les grandes profondeurs, il fournit l’un des moyens de diagnostic privilégiés. C’est avec des sons ou des ultrasons que les pêcheurs détectent les bancs de poissons, que les géographes relèvent les reliefs sous-marins et que les marines nationales du monde entier repèrent les navires et les submersibles amis ou ennemis présents dans leur voisinage. C’est aussi avec des ultrasons que les mammifères marins communiquent. La gamme des fréquences utilisables dans l’eau de mer s’étend de 30 Hz à 1,5 MHz, une valeur 100 fois plus élevée que la limite audible pour l’homme, voisine de 15 000 Hz. La célérité du son dans l’eau est voisine de 1450 à 1550 m s-1. Comme le montre la Figure 8, elle varie surtout avec la température et la profondeur, c’est à dire avec la pression, mais elle est peu sensible aux variations de salinité (lire l’article Le milieu marin).
Dans les mers, les rayons sonores sont réfléchis par la surface libre, ce qui fait que les bruits sous marins ne peuvent pas être entendus de l’extérieur et nécessitent des équipements spéciaux pour être captés : les sonars. Ils sont aussi réfléchis par le fond, et ils le sont partiellement par les interfaces intermédiaires comme la thermocline (lire Le milieu marin) ou comme des interfaces plus ou moins diffuses séparant des eaux de densités différentes, notamment au large des estuaires des grands fleuves. Même en l’absence d’interfaces marquées, les trajectoires sonores sont rarement rectilignes. Elles sont en général déviées vers la zone où la vitesse du son est plus faible, où elles se concentrent. Cette zone acquière alors une fonction de guide d’ondes [6]. C’est en particulier le cas de la couche située entre la surface libre et la profondeur où la célérité est la plus faible (vers 1000 m sur la Figure 8). Les couches plus profondes constituent alors des zones « d’ombre sonore » qui ne peuvent être auscultées qu’en plongeant les systèmes émetteurs et récepteurs au-dessous de cette profondeur particulière.
Le corps humain, en grande partie composé d’eau, ne réfléchit pas les ondes acoustiques sous marines. En raison de la distance entre leurs oreilles (d, environ 17 cm), les humains perçoivent dans l’air deux sons dont le déphasage permet de déceler la provenance. Nous avons vu que pour un son de fréquence égale à 1000 Hz, la longueur d’onde est égale à 34 cm. Si l’émetteur est situé devant cet humain (point A sur la Figure 9), à égale distance des deux oreilles, celles-ci perçoivent ce son en même temps, sans aucun déphasage. Mais si l’émetteur est situé dans la ligne des oreilles (point B sur la Figure 9), les sons perçus par celles-ci ont un décalage temporel d/c de 1/2000 s et une valeur d/λ de 17/34, soit une demi longueur d’onde [7]. Ce déphasage significatif permet au cerveau de ressentir un relief sonore, c’est à dire de savoir d’où provient le son. C’est ce déphasage qui permet au chef d’orchestre de déceler le son émis par chaque instrument au sein d’un ensemble musical.
Au contraire, dans l’eau, le décalage temporel entre les sons perçus par les deux oreilles (d/c) est de l’ordre de 1/10 000 s (lorsque l’émetteur est situé sur le côté), et leur déphasage maximal. La valeur de d se réduit alors au dixième de la longueur d’onde pour une fréquence de 1000 Hz et devient trop faible pour permettre cette détection. Immergés dans l’eau, les humains sont donc incapables de ressentir le relief sonore. En revanche, les mammifères marins comme les dauphins émettent des sons de fréquences 10 à 100 fois plus élevées que la plus haute fréquence perçue par l’oreille humaine. Leur longueur d’onde (λ), située entre 1,5 et 15 cm, est alors inférieure à la distance entre leurs oreilles (environ 15 cm). Le déphasage entre ces sons se réduit alors à une fraction significative de la longueur d’onde même lorsque l’émetteur n’est pas dans la ligne de leurs oreilles. Il leur permet, non seulement de communiquer entre eux, mais aussi de se situer les uns par rapport aux autres et par rapport à tout obstacle éventuel dans l’obscurité des fonds marins.
Dans les milieux solides, le son se propage encore plus rapidement que dans les liquides. Ceci tient au fait que les solides sont encore moins compressibles que les liquides. Ainsi, dans l’acier de l’enclume évoquée au début de cet article, la célérité est de l’ordre de 5000 m/s. Si sa longueur est voisine de 50 cm, cela signifie que l’enclume toute entière a ressenti le choc du marteau en un dix millième de seconde, alors que les ondes sonores dans l’air voisin mettent presque 2 millisecondes pour parcourir la même distance. Autrement dit, approximativement, c’est l’enclume toute entière, et pas seulement la zone impactée par le marteau, qui émet en bloc le son entendu par le forgeron.
Références et notes
Image de couverture : Les ondes acoustiques émises par une sphère vibrante radialement, se propagent dans toutes les directions sous forme d’alternances de compressions et de détentes des couches gazeuses voisines les unes des autres. [Source : By Thierry Dugnolle (Own work) [CC0], via Wikimedia Commons]
[1] La compressibilité de l’air est à la fois assez grande pour que ce milieu fluide puisse transporter le son et assez faible pour justifier l’usage d’approximations incompressibles pour décrire l’aérodynamique à des vitesses nettement inférieures à la célérité du son.
[2] Les charges électriques négatives des électrons qui entourent les noyaux des atomes d’hydrogène et d’oxygène formant la molécule d’eau sont soumises à la force de Coulomb qui les repousse fortement les uns des autres lorsque leur distance devient très petite. A leur tour, ces électrons transmettent cette force de répulsion aux atomes et aux molécules.
[3] Le logarithme est l’opération mathématique qui permet de substituer une addition à une multiplication : log (ab) =log(a)+log(b). Multiplier la pression acoustique par 10, nombre dont le logarithme décimal est l’unité, se traduit alors par l’ajout d’une unité à son logarithme. Dans les notations usuelles, log10 désigne le logarithme décimal, tandis que Log désigne le logarithme népérien, dont la base est le nombre irrationnel e = 2,71828…
[4] Dénomination en hommage à Graham Bell (1847-1922), scientifique écossais inventeur du téléphone. Le décibel (dB) est le dixième du Bel, très rarement utilisé.
[5] La tessiture d’un son caractérise sa hauteur, c’est-à-dire sa fréquence, qu’il s’agisse d’un son produit par un instrument ou d’une voix humaine. La tessiture du violon se situe entre 300 et 1400 Hz, celle du violoncelle entre 70 et 750 Hz et celle de la contrebasse entre 60 et 350 Hz.
[6] Un guide d’ondes est un système physique qui sert à confiner les ondes dans un milieu particulier, au moins sur une certaine distance. Il est très utilisé avec la lumière et les ondes électromagnétiques en général, par exemple dans les fibres optiques. Dans le cas des ondes acoustiques, notamment dans l’eau de mer, son efficacité est moins nette en raison de la nature plus floue des interfaces qui ne canalisent pas de la même façon les différentes longueurs d’ondes.
[7] A une différence d’orientation de 90 degrés des émetteurs A et B sur la Figure 9, on peut donc associer un déphasage 360/20 = 18 degrés par rapport à l’axe du corps de cet humain, ceci pour une fréquence de 100 Hz pour laquelle d/λ=1/20. Le rapport 18/90 = 1/5 caractérise la sensibilité des humains au relief sonore dans l’air.
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Pour citer cet article : MOREAU René (27 juin 2018), L’émission, la propagation et la perception du son, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/physique/lemission-propagation-perception/.
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