Les thérapies non médicamenteuses du stress chronique
PDFQuel est le meilleur moyen de vaincre le stress ? C’est sans doute d’apprendre à s’y adapter ! Le stress, défini comme une réponse non spécifique de l’organisme à tout type de sollicitations, est un phénomène normal auquel nous sommes tous exposés. Face à toute agression externe (provenant de notre environnement) ou interne (provenant de l’organisme lui-même), le stress constitue une réponse physiologique d’adaptation permettant de maintenir l’équilibre de l’organisme. Sur le plan psychique, cette réponse met en jeu des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux. Lorsque le stress est prolongé (stress chronique), il peut entraîner des conséquences négatives sur notre organisme tant sur le plan biologique que comportemental. Cet article traite des aspects biologiques sous tendant les effets délétères – mais aussi positifs – de l’exposition au stress. Nous verrons quels sont les déterminants qui sous-tendent les effets du stress. Nous proposons ensuite une revue des techniques non-pharmacologiques favorisant la gestion de l’expérience stressante offrant ainsi quelques outils pour développer nos compétences adaptatives.
- 1. Le stress, une réponse physiologique d’adaptation
- 2. Pourquoi prendre en charge les effets biologiques du stress chronique ? Les données de la science
- 3. Le concept d’allostasie et de charge allostatique
- 4. Quelles interventions basées sur les données scientifiques des effets biologiques du stress ?
- 5. Messages à retenir
1. Le stress, une réponse physiologique d’adaptation
Inventé dans les années 1950 par l’endocrinologue Hans Selye, le terme « stress » se définit comme « la réponse non spécifique de l’organisme à tout type de sollicitations » [1]. Il s’agit de toute réaction de notre organisme à des phénomènes internes ou externes qui perturbent un état d’équilibre initial définit comme « homéostatique ». Le terme d’homéostasie – du grec homoios ou similaire, et stasis ou état – a été lui inventé par Walter Bradford Cannon au début du XXᵉ siècle et fait référence à l’ensemble des processus physiologiques permettant le maintien d’un équilibre des organismes. Ce concept peut être appliqué à divers niveaux de la biologie, des aspects cellulaires jusqu’aux comportements complexes.
Face à toute agression externe (provenant de l’environnement) ou interne (provenant de l’organisme lui-même), le stress constitue une réponse physiologique d’adaptation permettant de maintenir l’homéostasie de l’organisme. Sur le plan psychique, cette réponse met en jeu des processus cognitifs, émotionnels et comportementaux. Le retour à l’homéostasie permet de tendre vers une situation de bien-être telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé : « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » [2].
Lorsque l’effet de l’agent stresseur (également appelé facteur de stress) se prolonge dans le temps, il existe un risque de voir apparaître une désadaptation qui expose l’individu à un état de vulnérabilité voire à un état pathologique, caractérisé par un impact significatif sur son fonctionnement. Cet état est caractérisé par une rupture de l’équilibre sur les plans biologique, cognitif, émotionnel et comportemental. Il existe une variabilité interindividuelle de la vulnérabilité à développer une pathologie lors d’une exposition chronique à un agent stresseur (Figure 1). Précisons ici que le stress chronique n’est pas à proprement parler une maladie, c’est-à-dire une « altération des fonctions physiques ou mentales d’une personne à l’origine de souffrances » [3], mais plus un facteur déclenchant ou aggravant un état ou une vulnérabilité préexistante à une pathologie médicale.
Le stress – défini comme la réponse systémique de l’organisme – pourra dans certains cas décompenser, c’est-à-dire révéler, des états pathologiques de tous les systèmes (neuropsychiatrique, cardiovasculaire, gastro-intestinal, endocrine, immuno-inflammatoire, etc.). De plus, s’il existe en recherche clinique des moyens de caractériser le stress chronique (par les perturbations qu’il induit aux niveaux hormonal, neuronal et cérébral ; voir plus bas), il n’existe pas à ce jour de test diagnostic clinique validé permettant à un médecin d’objectiver l’état de stress chronique d’un patient. La mesure des effets des interventions (pharmacologiques ou non) qui visent à diminuer le stress chronique se basent sur le ressenti subjectif du sujet. Bien que la réponse biologique au stress puisse être mesurée, à l’instar de la concentration de cortisol dans le sang, ce marqueur n’est pas utilisé en pratique courante afin de diagnostiquer un état de stress aigu ou chronique.
Cet article abordera les stratégies non médicamenteuses permettant de favoriser la gestion du stress chronique. Dans un premier temps nous aborderons les effets biologiques du stress chronique et les enjeux d’en contrôler les conséquences. Ensuite nous présenterons les risques physiologiques et psychologiques associés au stress chronique. Enfin, nous développerons les différentes interventions non pharmacologiques visant à prévenir les effets délétères du stress chronique.
2. Pourquoi prendre en charge les effets biologiques du stress chronique ? Les données de la science
L’exposition au stress fait partie intégrante de notre vie quotidienne. Comme défini en introduction, le stress peut être plus ou moins intense et prolongé. En fonction de l’intensité et de la durée de l’exposition à des phénomènes stressants, les effets sur l’organisme seront différents, allant du développement des compétences adaptatives à l’apparition d’un état pathologique. Cette section a pour but de sensibiliser aux différents niveaux de stress, à leurs effets biologiques, à la notion de charge allostatique, ainsi qu’à la variabilité interindividuelle dans la vulnérabilité au stress. La définition de ces concepts permettra d’identifier les cibles potentielles des thérapeutiques non pharmacologiques du stress chronique et de leurs effets attendus sur la biologie.
Classiquement, trois niveaux de stress sont distingués en fonction de leur intensité et leur durée. Il est à noter que l’intensité du stress perçue dépend de la vulnérabilité individuelle aux facteurs de stress. En effet, cette vulnérabilité est fonction d’un certain nombre de facteurs innés (génétiques) et acquis (exposition précoce à des facteurs de stress, environnement social, exposition aux toxiques, épigénétique). Une classification à trois niveaux de stress a été proposée par Shonkoff et collaborateurs en 2009 [4] :
- Le stress physiologique, de courte durée (quelques minutes à quelques heures) en réponse à des stimuli perçus par l’individu comme légers à modérés.
- Le stress tolérable, qui peut être un stress léger chronique (quelques jours à quelques mois) ou un stress intense de courte durée. Il expose l’individu à des réponses physiologiques potentiellement dommageables, mais qui aboutissent au retour à un état d’homéostasie. Ces réponses peuvent même favoriser la protection contre de futurs agents stresseurs en permettant la mise en place de meilleures capacités adaptatives.
- Le stress toxique, ou stress chronique (quelques mois à quelques années), expose l’individu à des réactions physiologiques dommageables survenant dans des conditions d’adversité sévère considérées comme dépassant les ressources adaptatives internes et/ou externes d’un individu. Le stress toxique exerce des effets délétères sur le système biologique de régulation et d’adaptation à l’agent stresseur, et par voie de conséquence occasionne des dommages à plusieurs niveaux : moléculaires, neuronaux et neurofonctionnels.
2.1. Les conséquences hormonales du stress
Le système biologique du stress est schématisé en Figure 2 [5],[6]. Le système de régulation physiologique du stress est supporté par l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalienL’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS en abrégé) est formé par l’hypothalamus, l’hypophyse et la glande adrénale (ou surrénale) qui libère des hormones tel que le cortisol (l’hormone du stress). Il relie les systèmes nerveux central et endocrinien. Il est au cœur des réponses biologiques de stress et de résilience, de concert avec le système nerveux autonome et les processus comportementaux d’adaptation. (ou axe corticotrope) ainsi que par le système nerveux autonome (Figure 3). Suite à l’exposition d’un agent stresseur, les neurones du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus relarguent deux hormones : la corticolibérine (CRH, corticotropine releasing hormone) et la vasopressine, qui stimulent l’hypophyse antérieure. Celle-ci sécrète l’hormone adrénocorticotropeHormone polypeptidique principalement sécrétée par les cellules basophiles du lobe antérieur de l’hypophyse et qui stimule la glande corticosurrénale. Elle est le produit de la maturation d’une prohormone, la proopiomélanocortine (POMC). (ACTH) conduisant elle-même à la sécrétion d’hormones corticoïdesLes corticostéroïdes, appelés plus simplement corticoïdes, sont des hormones stéroïdiennes sécrétées chez les êtres humains par le cortex des glandes surrénales. Cette partie superficielle de la glande, en partant de la zone la plus superficielle jusqu’à la zone la plus proche de la médullaire surrénalienne, produit des substances différentes en fonction de la zone. Dans la zone glomérulée, les minéralocorticoïdes (principalement aldostérone) qui agissent sur la régulation de l’eau et du sel dans le corps (rétention d’eau et de sodium, élimination de potassium). Dans la zone fasciculée, les glucocorticoïdes (cortisol) qui ont des propriétés anti-inflammatoires et une action sur le métabolisme protidique et glucidique. Enfin, dans la zone réticulée, les androgènes, qui ont un rôle dans le développement des caractères sexuels. (minéralo et glucocorticoïdes) par les glandes surrénalesLes surrénales sont 2 glandes situées, comme leur nom l’indique, au-dessus des reins. Chaque surrénale est composée de 2 parties : (i) une partie externe appelée la cortico-surrénale qui sécrète le cortisol, l’aldostérone et les androgènes surrénaliens et (ii) une partie interne appelée médullo-surrénale qui sécrète des catécholamines (noradrénaline, adrénaline et dopamine).. Ces hormones opèrent par voie de rétrocontrôle négatif une suppression de l’activité de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Ce rétrocontrôle met en jeu des récepteurs aux minéralo et glucocorticoïdes dédiés localisés au niveau du cortex frontal, de l’hippocampe, de l’hypothalamus, et de l’hypophyse (Figures 2 & 3). Ainsi, lorsque l’agent stresseur s’atténue ou disparaît, le rétrocontrôle négatif des hormones corticoïdes permet le retour vers un état homéostatique du système biologique de régulation du stress. En d’autres termes, ces hormones contribuent à l’extinction de la réponse physiologique au stress.
En plus de l’axe corticotrope, plusieurs réactions physiologiques exercent une influence significative sur les effets du stress sur la biologie de l’individu. En effet, des anomalies métaboliques (libération d’amino-acides excitotoxiquesL’éxcitotoxicité est un processus pathologique d’altération et de destruction neuronale ou neurotoxicité, par hyperactivation par l’acide glutamique et ses analogues (tous étant des neurotransmetteurs excitateurs).) ainsi que des mécanismes anti ou pro-inflammatoires ont des conséquences sur les neurones de régions cérébrales – telles que l’hippocampe, l’amygdale, et le cortex frontal (Figure 3) – supportant des fonctions cognitives clés dans l’adaptation à tout agent stresseur.
2.2. Effets du stress à l’échelle moléculaire et synaptique
Les hormones corticoïdes se fixent sur des récepteurs pré et post-synaptiques et induisent des réponses cellulaires telles que la modification de l’expression génétique des neurones, des modifications du métabolisme calcique des mitochondries, l’activation présynaptique des récepteurs NMDARécepteurs ionotropes activés dans des conditions physiologiques par le glutamate et la glycine qui sont essentiels à la mémoire et à la plasticité synaptique. (jouant un rôle dans la plasticité synaptique) et la sécrétion post-synaptique de glutamate (jouant un rôle dans les atteintes neurotoxiques). Les hormones corticoïdes interfèrent également avec la sécrétion de plusieurs neurotransmetteursLes neurotransmetteurs, ou neuromédiateurs, sont des composés chimiques libérés par les neurones (et parfois par les cellules gliales) agissant sur d’autres neurones, appelés neurones postsynaptiques, ou, plus rarement, sur d’autres types de cellules (comme les cellules musculaires et les cellules gliales comme les astrocytes). [7] via l’activation du système endocannabinoïde Système biologique composé de récepteurs qui réagissent à la présence d’ endocannabinoïdes, des neurotransmetteurs rétrogrades à base de lipides endogènes, et aux protéines réceptrices cannabinoïdes qui sont exprimées dans tout le système nerveux central des vertébrés ( y compris le cerveau ) et le système nerveux périphérique..
Ces modifications de la neurotransmission concernent des régions particulièrement vulnérables à l’excitotoxicité telles que l’hippocampe, le cortex préfrontal et l’amygdale. Le glutamate et les hormones corticoïdes jouent un rôle central dans les effets du stress sur la structure et le fonctionnement des neurones de ces régions cérébrales. En effet, leur sécrétion et les réactions en cascades auront des conséquences telles que [8],[9] :
- L’altération de la fonction synaptique des régions cérébrales suscitées, celles-ci étant impliquées dans l’apprentissage et la sélection des comportements.
- La diminution de la plasticité synaptique : réduction du remodelage dendritique et de la neurogenèse.
- L’atteinte de la vie neuronale : augmentation de l’excitotoxicité – principalement à cause du glutamate qui est relargué en excès dans la fente synaptique – aboutissant à terme à une possible mort neuronale. À noter que cette mort neuronale conduit à une réponse inflammatoire locale et à la production de radicaux libres délétères.
En fonction de la durée d’exposition et de l’intensité de l’agent stresseur, ces effets seront soit protecteurs et stimuleront la plasticité cérébrale (stress physiologique et tolérable) soit délétères et dommageables pour le cerveau (stress toxique/chronique) (Figure 4).
2.3. Effets du stress sur la structure et la fonction du cerveau
Sur le plan anatomique et fonctionnel, trois régions cérébrales jouent un rôle particulièrement central dans le comportement et les fonctions cognitives ainsi que dans la régulation des systèmes autonome et corticotrope de la réponse au stress : l’hippocampeStructure du télencéphale des mammifères. Chez l’Homme et les autres primates, il se situe dans le lobe temporal médian, sous la surface du cortex faisant partie du lobe temporal du cortex cérébral. L’hippocampe appartient notamment au système limbique et joue un rôle central dans la mémoire et la navigation spatiale. Il est endommagé dans la maladie d’Alzheimer., l’amygdaleNoyau pair situé dans la région antéro-interne du lobe temporal au sein de l’uncus, en avant de l’hippocampe et sous le cortex péri-amygdalien. Elle fait partie du système limbique et est impliquée dans la reconnaissance et l’évaluation de la valence émotionnelle des stimuli sensoriels, dans l’apprentissage associatif et dans les réponses comportementales et végétatives associées en particulier dans la peur et l’anxiété. L’amygdale fonctionnerait comme un système d’alerte et serait également impliquée dans la détection du plaisir. et le cortex préfrontalPartie antérieure du cortex du lobe frontal du cerveau, située en avant des régions prémotrices. Cette région est le siège de différentes fonctions cognitives dites supérieures (notamment le langage, la mémoire de travail, le raisonnement, et plus généralement les fonctions exécutives). C’est aussi la région du goût et de l’odorat..
Tout d’abord, l’hippocampe est une région riche en récepteurs aux minéralo et glucocorticoïdes et, par voie de conséquence, s’avère sensible à la présence trop importante de ces molécules en cas d’exposition chronique à l’agent stresseur. Cela peut aboutir à la perte d’épines dendritiques, des structures jouant un rôle clé dans la fonction synaptique et la plasticité neuronale. Aussi, ces altérations physiologiques présentent des répercussions sur les fonctions de l’hippocampe telles que la mémoire spatiale et épisodique ainsi que la régulation de l’humeur. Ces atteintes ont des conséquences sur les fonctions cognitives, essentielles à la mise en œuvre des stratégies émotionnelles et comportementales d’adaptation au stress.
De plus, l’amygdale cérébrale, bien connue pour son rôle dans le traitement de l’information émotionnelle, est largement impliquée dans les phénomènes de régulation du stress et de l’humeur. Au contraire de ce qui se passe dans l’hippocampe, les stress aigu et chronique entraînent une augmentation de la densité et du nombre d’épines dendritiques d’une région de l’amygdale appelée noyau basolatéral. De plus, le stress chronique aboutit à une réduction des dendrites au niveau du noyau médial. Ces atteintes histologiques sont décrites comme impliquées dans l’augmentation de l’anxiété et des comportements en lien avec l’état de stress post-traumatique.
Enfin, la perte de connexions et l’élagage des dendrites au niveau du cortex médial préfrontal ont pu être mis en relation avec la rigidité cognitive – définie comme l’incapacité à changer de schéma de pensée malgré les conséquences négatives – ce qui a potentiellement des répercussions sur la capacité de l’individu à élaborer des stratégies adaptatives face à l’agent stresseur. L’augmentation des dendrites neuronales au niveau du cortex orbitofrontal a été mise en lien avec l’hypervigilance. Le cortex préfrontal dans son ensemble est aussi vulnérable au stress en présentant des déficiences telles que la perte des capacités adaptatives et des troubles mnésiques (vieillissement accéléré).
En synthèse, le stress agit sur la structure et le fonctionnement de régions cérébrales clés dans les fonctions cognitives, la régulation des émotions et les aspects comportementaux, eux-mêmes cruciaux dans l’élaboration de stratégies adaptatives face aux agents stresseurs. Ainsi, l’atteinte de ces structures conduit à un cercle vicieux au bout duquel les capacités d’adaptation à l’agent stresseur sont mises à mal. En plus de la vulnérabilité innée et/ou acquise, les effets neurotoxiques de la sécrétion des glucocorticoïdes viennent accentuer l’état de vulnérabilité biologique préexistante constituant ainsi un cercle vicieux du stress chronique.
2.4. Variabilité inter-individuelle de la vulnérabilité au stress
Face aux divers agents stresseurs, il existe une variabilité individuelle quant aux capacités à s’adapter [5,9,10]. Cette vulnérabilité individuelle est conditionnée par le patrimoine génétique, les expériences stressantes au cours du développement et leurs conséquences sur l’expression génétique de protéines impliquées dans les mécanismes de régulation du stress. Ainsi, plus l’individu sera exposé à des agents stresseurs précocement au cours de sa vie, plus il subira de conséquences néfastes sur son développement cérébral, en particulier concernant la spécialisation des cellules neuronales dans des régions clés dans l’adaptation. Il existe donc tout au cours de la vie une interrelation entre le patrimoine génétique et l’environnement de l’individu. Cette théorie de l’interaction gènes-environnement explique les trajectoires individuelles allant de fortes capacités d’adaptation aux agents stresseurs jusqu’au développement de pathologies psychiatriques liées au stress telles que la dépression ou les troubles anxieux, entre autres.
3. Le concept d’allostasie et de charge allostatique
Le terme d’allostasie a été inventé par Sterling et Eyer (1988) [11] pour décrire les processus biologiques adaptatifs qui préservent « la stabilité au cours de changements ». En d’autres termes, ce concept recouvre les mécanismes biologiques que notre organisme met en œuvre afin de retrouver un état d’équilibre dit homéostatique.
Plus tard, Mc Ewen [9] complète la théorie de l’allostasie suggérant que « les hormones de stress qui sont essentielles à la survie de l’espèce peuvent avoir des effets néfastes sur la santé physique et mentale si elles sont sécrétées sur de plus longues périodes ». Ainsi le concept de charge allostatique correspond à l’accumulation des contraintes appliquées sur le système biologique – au premier rang desquels l’axe corticotrope – au cours du temps. Ainsi, elle peut être conceptualisée comme le prix à payer d’une adaptation prolongée à l’agent stresseur. Mis ensemble, les concepts d’allostasie et de charge allostatique permettent de rendre compte de la dynamique de réponse au stress. En effet, le stress perçu va dépendre de l’expérience individuelle passée, du patrimoine génétique, et des stratégies comportementales mises en place. Quand le cerveau identifie une expérience (interne ou externe) comme stressante, des réponses physiologiques et comportementales vont être initiées définissant alors le mécanisme d’allostasie. Au cours du temps, en cas d’exposition répétée ou intense à l’agent stresseur, l’allostasie – permise par la réponse neuronale, endocrinienne (hormones corticoïdes), immuno-inflammatoire – va être sur-sollicitée et ainsi accumuler de la charge allostatique. Ainsi, plus la charge allostatique est augmentée plus le risque de conséquence délétère sur les organes est importante. L’exposition chronique à l’agent stresseur conduira donc à un risque accru de dérégulation de l’homéostasie de l’organisme, par suite d’une cascade de processus inflammatoires, immunologiques, métaboliques. Les conséquences sur le long terme sont le risque de développement de pathologies cardiaques, immunitaires, métaboliques et neuropsychiatriques. Ces concepts sont résumés dans la figure 5.
4. Quelles interventions basées sur les données scientifiques des effets biologiques du stress ?
En synthèse, l’ensemble des données scientifiques sur la réponse physiologique au stress permettent d’identifier des axes d’action et/ou de prévention afin de prévenir toute conséquence au long cours de l’exposition chronique à un agent stresseur. Les stratégies seront soit préventives, à visée de renforcement des stratégies adaptatives, soit thérapeutiques en cas de développement d’une pathologie psychiatrique telle que trouble de l’humeur ou trouble anxieux. Ici, nous n’aborderons pas les thérapeutiques spécifiques aux pathologies psychiatriques, bien que certaines d’entre elles soient communes à la thérapie centrée sur la gestion du stress.
L’objectif commun à toutes les techniques non pharmacologiques est de promouvoir les capacités d’adaptation au stress sur les dimensions émotionnelles, cognitives, et comportementales, mais aussi à l’échelle de la biologie cérébrale. Le but est alors de diminuer la charge allostatique liée à l’accumulation des effets délétères de l’agent stresseur dans le temps. Nous pouvons très schématiquement identifier plusieurs niveaux d’action potentiels :
- Émotionnel : techniques de régulation des émotions ;
- Cognitivo-comportemental : identification et mise à distance des facteurs environnementaux potentiellement stressants, apprentissage des stratégies positives d’adaptation, renforcement des comportements vertueux ;
- Biologique : règles hygiéno-diététiques concernant l’alimentation, le sommeil, l’activité sportive, le renforcement du soutien social positif.
4.1. L’action sur son environnement
Afin de prévenir l’exposition chronique à des agents stresseurs, l’action sur l’environnement est déterminante. Ergonomie au travail, groupes de paroles, actions spécifiques aux corps de métiers, rythmes de travail, de nombreux axes de prévention existent.
4.2. Interventions précoces
Plus l’individu sera exposé jeune à des agents stresseurs, plus le risque de développer un état de vulnérabilité future au stress sera important et conditionnera alors l’émergence de maladies à l’âge adulte. Les actions préventives doivent intervenir à tout âge, a fortiori dans les premiers instants de vie. Les interventions précoces vont donc tenir une place prépondérante.
Le stress de la mère enceinte engendre des effets tant sur le pronostic obstétrical (accouchement prématuré, retard de croissance intra-utérin, risque de prééclampsie, diabète gestationnel) que sur le pronostic développemental de l’enfant (troubles de l’attachement, asthme, allergies, troubles de l’humeur) [12]. Les stratégies de prévention ainsi que les psychothérapies d’inspiration cognitives et comportementales permettent d’accompagner la future mère et son/sa partenaire dans cet évènement de vie important qu’est la parentalité. Les techniques de type pleine conscience, les thérapies cognitivo-comportementales, les techniques de relaxation ou encore le yoga ont toutes démontré une efficacité dans la gestion du stress et de l’anxiété chez la femme enceinte. Dans le post-partum, le programme des 1000 jours [13] développé par une commission d’experts en 2020 propose un certain nombre d’actions de prévention soulignant l’importance de cette période cruciale pour le développement du nouveau-né. Ce rapport [12] la décrit comme « une période sensible pour le développement et la sécurisation de l’enfant, qui contient les prémisses de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de la vie. »
Aussi, le repérage au niveau familial d’agents potentiellement stresseurs, de négligence voire de maltraitance sont au cœur des politiques de santé publique. En France, les services de Protection maternelle et infantile (PMI) ont, à l’échelle départementale, des missions de protection sanitaire de la mère et de l’enfant. Ils mènent des actions médico-sociales de prévention et de suivi des femmes enceintes, des parents et des enfants de moins de 6 ans (Figure 6).
Enfin, l’école est un terrain propice pour l’implémentation d’action de prévention. Beaucoup de programmes ont été développés, basé sur le modèle d’évaluation (appraisal model) proposé par Lazarus et Folkman en 1984 [14]. Ces approches ont fait l’objet du développement de nombreux programmes d’enseignement afin de fournir aux enfants des outils psychothérapeutiques, d’inspiration cognitive et comportementale, et ainsi optimiser les capacités adaptatives.
4.3. Approches d’inspiration cognitive et comportementales
La thérapie d’inspiration cognitive et comportementale et une forme de psychothérapie dont le principe repose sur une analyse fonctionnelle du comportement d’un sujet. L’objectif est d’abord d’identifier des comportements inappropriés dans un contexte donné (ex : la phobie de l’avion). Ensuite, le sujet et le thérapeute vont travailler au désamorçage du comportement « inadapté » appris face à ladite situation. Enfin, le travail se centrera sur l’apprentissage d’un comportement exposant à moins conséquences négatives et en particulier à moins de souffrance pour l’individu. Cette technique a fait l’objet de nombreuses études cliniques qui ont mis en évidence une efficacité démontrée notamment dans les problématiques de régulation du stress [15]. Sur le plan neurobiologique, les techniques cognitives et comportementales ont pu montrer des effets sur le volume du cortex préfrontal (dans le cas du traitement de la fatigue chronique) ainsi que l’amygdale (dans le traitement de l’anxiété chronique).
Depuis les années 80, de nombreuses thérapies issues de cette approche cognitive et comportementale ont vu le jour. Elles ont notamment été adaptées à la régulation émotionnelle et au développement des stratégies de réduction du stress. Les thérapies cognitives et comportementales sont pratiquées par des psychothérapeutes diplômés et formés spécifiquement à cette technique. L’Association française de psychothérapie cognitive et comportementale [16] est la principale structure de formation en France. Leur site internet propose un annuaire des psychothérapeutes agréés.
4.4. Interventions centrées sur les techniques de régulation des émotions
L’importance de la régulation des émotions afin de maintenir une forme d’homéostasie psychique et de diminuer la charge allostatique a été soulignée par la théorie de Campos et collaborateurs en 2004 [17]. En effet, ces auteurs pointent que les émotions sont fondamentales dans les processus de prise de décision et d’adaptation des comportements par leur influence sur les processus cognitifs. Elles jouent donc un rôle protecteur. En revanche, lorsque ces émotions ne sont pas régulées, elles peuvent engendrer des effets néfastes sur les dimensions psychologiques et physiologique de l’individu.
4.4.1.Techniques de relaxation et de respiration
Les techniques de respirations et de relaxations sont des techniques ancestrales de gestion du stress. Leur mécanisme d’action est basé sur le contrôle des réponses physiologiques au stress telles que l’augmentation de la fréquence respiratoire, la tension musculaire, l’émergence d’images mentales anxiogènes. Les techniques de respiration profonde, de contrôle de la fréquence respiratoire ainsi que l’imagerie mentale guidée ont démontré leur efficacité (Figure 7). Elles présentent aussi l’avantage de leur accessibilité avec la possibilité d’effectuer des exercices n’importe où, n’importe quand, et par le sujet lui-même [18].
4.4.2. Thérapie de pleine conscience
La technique de réduction du stress basée sur la pleine conscience [19] est une intervention qui a démontré une efficacité dans la réduction du stress, de la dépression et de l’anxiété [20] (Figure 7). Elle peut aussi être utilisée dans des populations dites « non cliniques », c’est-à-dire ne souffrant pas de pathologie psychiatrique. Le principe de la pleine conscience repose sur différents exercices tels que le balayage corporel, la méditation, le yoga. La pleine conscience a pour objectif de changer le rapport qu’à l’individu avec certaines pensées ou évènement stressants en diminuant la réactivité émotionnelle et en faisant la promotion de la réévaluation cognitive. Une cure standard se déroule sous forme de groupe sur 8 semaines avec 2,5 heures par semaines de sessions de groupe et d’une retraite de 6 heures [20]. Plusieurs variantes de la méditation de pleine conscience ont été développées à l’instar des formes numériques qui ont permis une large diffusion de cette pratique. De nombreuses études ont été menées sur l’utilisation de la pleine conscience dans des populations « non cliniques ». Une méta-analyse a permis de colliger les effets de cette technique sur 2668 personnes. Ainsi, il a été rapporté une diminution de l’anxiété, des symptômes dépressifs, associés à une amélioration de la qualité de vie [20].
4.4.3. Modèle intégratif d’optimisation du stress – quand l’agent stresseur peut être utilisé comme atout
Le modèle intégratif d’optimisation du stress est directement inspiré par le modèle d’évaluation du stress (« appraisal model »). Ainsi, en plus d’évaluer la source de l’agent stresseur, les auteurs, Crum et collaborateurs, formulent l’hypothèse que le sujet peut aussi utiliser les stratégies d’optimisation afin de mettre en œuvre les moyens de tirer profit des situations et des ressources à sa disposition [21]. L’objectif de cette technique n’est pas d’éliminer l’agent stresseur lui-même mais de plutôt optimiser la flexibilité des mécanismes d’adaptation comportementale et favoriser les stratégies qui permettront d’atteindre un but (qui était mis à mal par l’état stressé). La figure 7 représente les éléments conceptuels sous-tendant le modèle intégratif d’optimisation du stress. Il se base notamment sur les trois piliers de l’approche cognitive et comportementale : l’identification, la sélection et l’application des stratégies d’adaptation au stress.
4.4.4. L’activité physique
L’activité physique régulière est une thérapie efficace qui va agir sur le plan biologique à plusieurs niveaux du système de régulation du stress. En effet, elle augmente le débit sanguin cérébral au niveau du cortex préfrontal et pariétal et améliore les fonctions exécutives. Ces dernières correspondent à un ensemble de fonctions cognitives supérieures telles que la planification, l’organisation et l’élaboration de stratégies. Elles sont essentielles à la mise en œuvre des stratégies adaptatives face à toute forme d’agent stresseur. De plus, une activité physique régulière a été démontrée comme augmentant le volume de l’hippocampe, impliqué dans les mécanismes de régulation et de désadaptation au stress. Enfin, l’activité physique régulière est maintenant bien connue pour ses effets antidépresseurs et de protection contre les maladies cardio-vasculaires et les démences tout comme la prévention contre le vieillissement prématuré [22].
Au total, le sport va agir sur la structure et la fonction de régions cérébrales jouant un rôle prépondérant dans la régulation du stress et de ses conséquences (psychologiques, cardiovasculaire, métaboliques et cognitives).
4.4.5. Le support social positif
La qualité de l’intégration sociale (au sens d’appartenance à un groupe social) et un support social positif (groupe social vécu comme protecteur) vont conditionner la vulnérabilité à l’exposition aiguë comme chronique aux agents stresseurs. Ils représentent également un axe thérapeutique non pharmacologique rarement identifié comme tel. Il est évident que l’être humain est un animal social par essence et que le maintien de rapports prosociaux est essentiel au bien-être. Des études sur l’animal ont montré que les situations de rejet social étaient un paradigme expérimental pertinent permettant d’induire un stress chronique et par voie de conséquence un phénotype de dépression.
L’intégration sociale, le soutien social, la recherche de sens, sont autant d’approches qui permettent de diminuer la charge allostatique. Des programmes tels que « Experience Corps », à destination des sujets âgés et basés sur le développement des fonctions cognitives associées aux stratégies d’adaptation en plus d’une activité physique, ont prouvé leur efficacité en diminuant le déclin cognitif et en améliorant la santé mentale, avec des effets sur le débit sanguin cérébral du cortex préfrontal [23]. D’autres programmes tels que « DeStress for Success Program » [24] ont été développés pour les populations jeunes et sont centrés sur l’identification de l’agent stresseur avec un travail sur les stratégies d’adaptation (la figure 8 illustre le choix du mammouth comme logo du programme « DeStress for Success »). Ils ont un effet sur les réponses hormonales au stress comme la diminution de l’hypersécrétion du cortisol [6]. Ces travaux permettent de mettre en lumière les effets des thérapies non pharmacologiques sur le système biologique de la réponse au stress.
5. Messages à retenir
- Le stress, défini comme une réponse non spécifique de l’organisme à tout type de sollicitations, est un phénomène normal auquel nous sommes tous exposés.
- Si celui-ci se prolonge et/ou est intense, les réactions biologiques et comportementales en cascades risquent d’aboutir à une forme de désadaptation de l’individu avec des conséquences biologiques et comportementales.
- Les techniques non pharmacologiques de gestion du stress sont caractérisées par le renforcement des capacités d’adaptation sur les dimensions émotionnelles, cognitives et comportementales, avec des répercussions à l’échelle de la biologie cérébrale.
- Ces thérapies ont pour but de diminuer la charge allostatique liée à l’accumulation des effets délétères du stress dans le temps.
- La vulnérabilité individuelle au stress est fonction d’un certain nombre de facteurs innés (génétiques) et acquis (environnement social, épigénétique).
- L’objectif ultime est de limiter l’impact du déséquilibre engendré par l’agent stresseur, voire d’utiliser ce déséquilibre pour développer des ressources individuelles focalisées sur le maintien homéostatique des systèmes biologiques sous-tendant les processus cognitifs, émotionnels et comportementaux.
Cet article a initialement été publié en décembre 2022 par Planet Vie sous licence Creative Commons : Les thérapies non médicamenteuses du stress chronique. Il a été édité par M Pascal Combemorel, Responsable éditorial du site Planet-Vie.
Notes et Références
Image de couverture. [Source : CIPHR Connect, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons]
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[2] Préambule à la constitution de l’Organisation mondiale de la santé, tel qu’adopté par la conférence internationale sur la santé, New York, 19-22 juin 1946
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[19] Dans son rapport de 2021, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) souligne que l’absence de définition précise et univoque de la méditation pleine conscience peut présenter un « risque de dévoiement de la pratique au profit de dérives sectaires ». Elle note également que, plus généralement, « la plupart des nouvelles techniques de développement personnel reposent sur des formations et des qualifications non contrôlées ». Les personnes souhaitant recourir à la méditation de pleine conscience devraient donc s’assurer qu’elles sont encadrées par des professionnels ayant suivi une formation et ayant recours aux pratiques définies par les sociétés de thérapies cognitives et comportementales, telles que l’AFTCC.
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[24] https://www.stresshumain.ca/programmes/de-stresse-et-progresse/
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Pour citer cet article : BATAIL Jean-Marie (26 juin 2023), Les thérapies non médicamenteuses du stress chronique, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sante/therapies-non-medicamenteuses-stress-chronique/.
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