Glissements et éboulements rocheux, une fatalité ?
PDFA cause de leur fréquence et de leurs volumes parfois très importants dans les chaines de montagne jeunes (Himalaya, Andes, Alpes…), les éboulements rocheux, comme les glissements de terrain, font partie des risques naturels majeurs. La rupture du terrain qu’ils supposent a lieu selon des surfaces de faiblesse mécanique qui sont présentes dans presque tous les massifs rocheux. Celles-ci résultent soit de la genèse de la masse rocheuse (plans de stratification des roches sédimentaires, fentes de retrait thermique des roches magmatiques…), soit de l’histoire tectonique des massifs rocheux (fractures et failles de toutes tailles, liées aux mouvements des plaques tectoniques). L’instabilité des masses rocheuses peut rester superficielle et concerner des volumes limités : chutes de pierres et de blocs très fréquentes dans toutes les zones de relief. Mais, selon l’orientation des discontinuités principales par rapport à la pente, des glissements ou basculements de panneaux rocheux plus importants sont aussi observés. Enfin, les grands éboulements peuvent atteindre des volumes de plusieurs dizaines de millions de m3. La rupture de telles masses suite à un séisme a été malheureusement plusieurs fois observée (Huascaran 1970, Népal 2014). Des parades aux éboulements rocheux, telles que soutènements, ancrages, filets divers… sont possibles. Mais, il reste économiquement difficile d’équiper tous les sites reconnus à risque, comme les falaises proches des villes, des villages et routes de montagne ou du littoral rocheux…
Les mouvements de pente sont généralement classés suivant leur mécanisme. On distingue ainsi : les glissements, les basculements, les chutes, les écoulements (Figure 1). Ils concernent des volumes allant du décimètre cube à plusieurs centaines d’hectomètres cubes (un hectomètre cube correspond à un cube de 100 m d’arête, soit un million de mètres cubes).
Leur vitesse est également très variable, de quelques mm par an à plus de 100 km/h (valeur qui approche la vitesse de chute libre dans l’air). Le présent article concerne les mouvements qui peuvent avoir lieu dans le milieu rocheux (lire « Les glissements de terrain »).
1. Les glissements rocheux
Un glissement est un mouvement d’une masse de sol ou de roche, sur une surface de rupture individualisée. On distingue différents types de glissements selon la forme de la surface de rupture.
Les glissements translationnels se produisent en général selon un ou deux plans (on parle alors de « dièdre ») de discontinuité(s) pré-existante(s) dans le massif rocheux. Un exemple bien connu en France est celui du Claps de Luc-en-Diois où, en 1442, des bancs calcaires épais ont glissé sur un plan de stratification, suite à l’érosion du pied du versant par la rivière Drôme (Figure 2). Le volume du glissement dépasse 1 hm3. Mais le plus gros glissement survenu dans les Alpes au cours des deux derniers millénaires, est celui qui a affecté le versant marneux au nord du Mont Granier en novembre 1248. Près de 500 hm3 de roche marneuse ont glissé vers l’est sur les joints de stratification, détruisant plusieurs villages et provoquant la mort de plus de 1000 personnes (Figure 3).
Les glissements rotationnels se produisent sur une surface axisymétrique ; on les appelle parfois glissements circulaires, car sur une coupe verticale, la surface de rupture est un arc de cercle. Ils peuvent se produire dans des massifs continus (souvent dans des sols) ou ne comportant pas de plans de discontinuité permettant un glissement translationnel. Un exemple est donné par le glissement de La Clapière à Saint-Etienne-de-Tinée, d’un volume d’environ 50 hm3 (Figure 4).
Les autres glissements sont appelés glissements composites (ou fractionnés), car ils impliquent une déformation interne ou un fractionnement de la masse en mouvement.
Certains glissements peuvent être déclenchés par l’homme. L’exemple le plus célèbre est celui du Mont Toc (Italie). A la suite du remplissage du barrage du Vajont, 270 hm3 de roche ont glissé dans la retenue, provoquant le débordement du barrage et une vague de 50 m de haut qui a détruit la ville de Longarone (2000 victimes). Le film « La folie des hommes », sorti en 2001, relate cette catastrophe. Ce glissement est le plus gros mouvement rapide de pente survenu dans les Alpes au 20e siècle.
2. Les basculements
Un basculement est un mouvement de rotation vers l’aval autour d’un axe situé sous le centre de gravité de la masse en mouvement. On distingue le basculement de blocs prédécoupés et le basculement par flexion de bancs rocheux ou de pans de falaise (que l’on appelle parfois « fauchage »). Le mouvement du Mont Sec à Séchilienne (Figure 5) est un exemple de basculement par flexion de bancs subverticaux, entraînant la formation de crevasses dont l’ouverture est surveillée. Cette déformation du massif se développe sur plus de 100 m d’épaisseur.
3. Les chutes de roche
Les chutes de roche (ou éboulements rocheux au sens large) sont des mouvements rapides mobilisant des blocs rocheux qui volent, rebondissent ou roulent sur une pente. Très fréquentes en zone de montagne, on peut les observer aussi en zone littorale dans les côtes à falaises et escarpements rocheux. Ces mouvements rapides sont généralement précédés par un glissement ou un basculement de la masse rocheuse concernée. On distingue les chutes de pierres ou de blocs, pour lesquelles l’interaction entre les blocs est négligeable, des éboulements en masse et des avalanches rocheuses, qui sont des écoulements granulaires dans lesquels l’interaction entre blocs joue un rôle important. La taille des éléments varie de quelques dm3 à plusieurs centaines de m3. Le volume total peut atteindre plusieurs dizaines d’hm3. Deux éboulements de cette taille se sont produits dans les Alpes au XXème siècle, celui du Val Pola en Lombardie (Italie) et celui de Randa en Valais (Suisse).
4. Comment prévoir le comportement d’une pente ?
Les ingénieurs spécialisés sont appelés à étudier des mouvements de pente dans différents contextes : (a) diagnostic pour une pente actuellement stable (pour combien de temps sa stabilité est-elle assurée ?) ; (b) dimensionnement d’une future excavation (déblai) ou confortement d’une pente existante (quel angle de pente adopter, combien d’ancrages réaliser ?) ; (c) surveillance d’une pente instable en mouvement lent (le mouvement risque-t-il d’évoluer vers un mouvement rapide et quand ?). Les méthodes utilisées diffèrent suivant le contexte et l’objectif de l’étude.
4.1. Pentes stables
Dans l’aménagement du territoire, le problème se pose de la pérennité de la pente à une échelle de temps humaine, de l’ordre du siècle. Pour savoir si une rupture risque de se produire dans le délai considéré, il faut connaître l’état de stabilité actuel (« excès » de stabilité) et les processus qui peuvent conduire à la rupture. L’état de stabilité d’une pente rocheuse dépend principalement de sa structure interne (découpage de la roche par des surfaces de discontinuité), qui est généralement mal connue, et des résistances de la roche et des discontinuités. Les principaux facteurs pouvant diminuer la stabilité d’une masse rocheuse et conduire à sa rupture sont : la présence d’eau, la présence de glace, les séismes et autres vibrations, l’érosion ou l’excavation en pied de pente, les surcharges. L’évolution de ces facteurs, lorsqu’ils sont d’origine naturelle, ne peut pas être prévue de manière déterministe. De plus, les processus exacts par lesquels ils agissent sont souvent mal connus et donc difficiles à modéliser. Il en résulte que la prévision du comportement futur d’une pente stable ne peut être que probabiliste, d’où le terme d’aléa employé par les spécialistes pour caractériser l’instabilité potentielle d’une masse rocheuse.
Dans le cas d’une masse rocheuse bien identifiée (aléa localisé), il n’est pas possible de déterminer quantitativement une probabilité de rupture. En revanche, à l’échelle d’un versant ou d’une zone homogène sujette à des mouvements de pente (aléa diffus), il est possible, à partir de bases de données historiques ou de mesures géomorphologiques (par scanner laser par exemple), d’estimer le nombre de ruptures par unité de surface et de temps (fréquence de rupture) pour des phénomènes d’une certaine taille. Par exemple, on a pu déterminer, à partir de mesures successives par scanner laser de la falaise du Mont Saint-Eynard, près de Grenoble, qu’il s’y produit environ une chute de volume supérieur à 1 m3 par année et par hm2 (hectare : carré de 100 m de côté).
4.2. Dimensionnement d’une excavation ou confortement d’une pente
Dans ce contexte, le problème n’est plus de savoir quand se produira une instabilité, mais de garantir qu’il ne s’en produira pas. La stabilité de la pente envisagée peut alors être analysée en adoptant un modèle pessimiste (en d’autres termes en appliquant le principe de précaution) : le plus souvent, le manque d’information conduit à supposer que les discontinuités sont d’extension infinie ; les valeurs des différents paramètres, retenues pour les calculs, ne sont pas les plus probables, mais des valeurs plus défavorables ayant une faible probabilité d’être atteinte. De plus, un excès de stabilité est généralement recherché. S’il n’est pas atteint, le projet est modifié en conséquence, par exemple en réduisant l’angle de talus.
La méthode la plus rapide utilisée pour évaluer le degré de stabilité d’une masse rocheuse peut être décrite simplement dans le cas d’un glissement d’une masse rocheuse sur un plan unique : elle consiste à comparer la force qui tend à provoquer le glissement (force motrice) à la force maximale mobilisable pour s’y opposer (force résistante maximale). Le rapport de la seconde à la première est appelé coefficient de sécurité. Il doit être supérieur à un pour que la pente envisagée soit stable. Le calcul de la force motrice prend en compte le poids de la masse rocheuse, mais aussi des sollicitations temporaires probables liées par exemple aux séismes ou à l’infiltration d’eau dans la pente.
On peut aussi utiliser des méthodes numériques plus sophistiquées, appelées méthodes d’éléments discrets, qui calculent les déplacements des blocs résultant de l’excavation. Ces méthodes permettent d’analyser des mécanismes complexes et de savoir si les déplacements sont acceptables. Contrairement à la méthode décrite précédemment, qui est basée sur une analyse statique, les méthodes d’éléments discrets sont basées sur le principe fondamental de la dynamique, ou deuxième loi de Newton.
4.3. Surveillance d’une pente instable en mouvement lent
Lorsqu’un mouvement de pente est détecté et qu’il menace des enjeux, il doit être surveillé. La surveillance consiste généralement à mesurer le déplacement de points de repère situés sur la pente ou dans le massif rocheux, par exemple dans des forages ou des galeries. La vitesse de déplacement est rarement constante, elle est généralement influencée par les infiltrations d’eau dans la pente à la suite de pluies ou de fonte de la neige et par les séismes. L’expérience montre que lorsque la vitesse augmente en l’absence de telles sollicitations extérieures, l’accélération peut se poursuivre jusqu’à la rupture de la pente, la masse en mouvement se détachant alors complètement de sa zone de départ et se propageant en aval à grande vitesse. Un exemple d’une telle accélération est donné sur la Figure 4 (voir plus haut).
5. Jusqu’où peuvent se propager les mouvements rocheux ?
Diverses approches mécaniques permettent d’estimer la distance de propagation des mouvements rocheux. La première est basée sur l’angle d’énergie, qui quantifie la perte d’énergie au cours de la propagation du mouvement (Figure 6). Lorsque la masse en mouvement s’arrête, son énergie potentielle est moins élevée qu’avant le mouvement ; dans un profil du versant, le point d’arrêt peut être obtenu en traçant une ligne (ligne d’énergie) issue de la zone de départ du mouvement et d’inclinaison égale à l’angle d’énergie. En trois dimensions, le point d’arrêt appartient à l’intersection de la surface topographique avec un cône dont le sommet est la zone de départ. Pour des mouvements de plusieurs centaines d’hm3, l’angle d’énergie peut être inférieur à 10°. C’est le cas du glissement du Granier, qui s’est ainsi propagé jusqu’à 8 km de sa zone de départ. Pour les chutes de blocs, l’angle d’énergie est de l’ordre de 40°, mais il peut descendre sous les 30° pour les blocs les plus éloignés.
L’énergie dissipée est due essentiellement aux rebonds, qui ne sont pas parfaitement élastiques, à la fragmentation des blocs, à l’émission d’ondes sismiques et éventuellement à la destruction des arbres.
Dans le cas des chutes de roche, une seconde approche consiste à calculer à l’aide de logiciels adaptés les trajectoires des blocs qui chutent, rebondissent ou roulent sur le versant. Si le calcul des trajectoires aériennes ne pose pas de problème, la modélisation du rebond est plus délicate. On utilise pour cela des coefficients de restitution d’énergie, qui représentent la proportion de l’énergie initiale qui est conservée après le rebond sur le versant ou après l’impact avec un autre bloc. Par ailleurs, l’observation des blocs déposés sur un versant fournit des informations précieuses sur l’extension possible du phénomène, ainsi que sur sa fréquence. Cependant, cette observation peut être biaisée car des blocs ont pu être déplacés ou exploités au cours des derniers siècles.
La Figure 7 représente la simulation, réalisée avec le logiciel Rockyfor3D, d’un éboulement qui s’est produit sur le Mont Saint-Eynard, près de Grenoble.
Lorsque le nombre de blocs est très grand et que les blocs interagissent fortement entre eux (éboulements en masse et avalanches rocheuses), le mouvement peut être considéré comme un écoulement et modélisé en utilisant les lois de la mécanique granulaire. Cette approche est également utilisée pour modéliser des glissements se propageant sur de longues distances à la manière d’un fluide (glissements évoluant en coulées de boue).
6. Les parades, ou comment se protéger des instabilités rocheuses
En matière de risques naturels, deux catégories de remèdes (parades) sont distinguées. Les parades actives ont pour objet de supprimer l’aléa lui-même, tandis que les méthodes passives ne cherchent pas à s’opposer aux phénomènes naturels mais seulement à en limiter les conséquences néfastes pour les aménagements (constructions, voies de communication).
Les parades actives sont diverses. Il s’agit de :
- méthodes générales, comme le drainage superficiel ou profond, et la végétalisation des versants qui limitent le ruissellement cause d’érosion (creusement de ravines) et les infiltrations qui altèrent les propriétés mécaniques (frottement, cohésion des joints rocheux) ;
- soutènements, comme des renforcements par construction de murs, par ancrages métalliques ponctuels ou par treillis ancrés recouverts de béton projeté ;
- grillages et filets plaqués, soit des structures métalliques destinées à contenir le massif et interdire la propagation des chutes de pierres et de blocs ;
- purge, minage : ce sont là des solutions radicales qui consistent à supprimer les éléments instables ; cependant, ces solutions ne sont pas toujours aussi définitives qu’escompté : l’altération continue et les vibrations des tirs sont souvent nuisibles pour la stabilité des massifs environnants.
Les parades passives sont également très diverses :
- les merlons (Figure 8) et digues sont des remblais placés au pied des versants instables ; leur but est d’arrêter la propagation des éléments rocheux avant l’atteinte des enjeux ; leur implantation qui nécessite de trouver une place suffisante et leur dimensionnement tiennent compte des propriétés des matériaux qui les constituent, mais d’abord des simulations numériques qui sont faites pour modéliser la propagation des blocs (études trajectographiques) ;
- les déviateurs sont aussi des remblais ; installés sur le versant, ils détournent le flux des éléments vers un espace sans enjeu ;
- les galeries de protection, analogues aux galeries paravalanches, sont susceptibles de protéger les voies de communication à la traversée des couloirs ;
- les écrans et barrières rigides sont placés dans les pentes raides au plus près des zones de départ ; leur implantation est souvent délicate à réaliser ;
- les grillages et filets déformables (Figure 9) peuvent être placés plus bas dans les versants jusqu’à être proches des enjeux ; le cas le plus connu est l’utilisation de filets de type « sous-marin » (utilisés pendant la deuxième guerre mondiale pour empêcher la pénétration des ports par des engins sous-marins) tendus entre des poteaux rigides et maintenus par des mousquetons fusibles ; ce dispositif est ainsi calculé pour résister à une énergie d’impact préalablement déterminée dans l’étude de l’aléa et de sa propagation.
Les parades adaptées à la réduction des risques liés aux instabilités rocheuses sont efficaces mais supposent un budget souvent important. On ne peut envisager de supprimer le risque partout où il existe. La meilleure protection s’appuie toujours d’abord sur la reconnaissance géologique, puis sur des actions préventives comme le drainage ou la purge régulière des éléments peu stables et sur une surveillance basée sur des mesures lorsque des mouvements sont détectés. Une telle surveillance permet souvent de déclencher une alerte assortie d’une fermeture de route ou d’une évacuation de zone habitée.
L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.
Pour citer cet article : FABRE Denis, HANTZ Didier (30 octobre 2018), Glissements et éboulements rocheux, une fatalité ?, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/glissement-eboulement-rocheux-fatalite/.
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