Le permafrost
PDFLe permafrost est présent à la surface de la Terre, en particulier dans l’hémisphère Nord. Son épaisseur et sa continuité dépendent de la latitude et de l’altitude. On distingue deux catégories principales de permafrost : un permafrost épais et continu qui occupe les grandes étendues des plateaux continentaux d’Alaska, du Canada et de Sibérie ; et le permafrost d’altitude moins épais et souvent discontinu, voire sporadique, qui concerne les chaines de montagne, et en particulier les chaines alpines. Dans celles-ci, les glaciers rocheux constituent une forme remarquable, dont la genèse et le comportement font l’objet d’études particulières, différentes de celles classiquement menées sur les « vrais » glaciers. Cet article évoque aussi les risques liés au permafrost de montagne dans le contexte du changement climatique.
1. Définition et répartition du permafrost
La notion de permafrost (appellation anglaise) ou pergélisol a été définie pour la première fois en 1947 [1] et constitue, depuis lors, un élément important des études consacrées à la cryosphère.
Le permafrost est un phénomène thermique et temporel désignant les terrains de sub-surface dont la température ne remonte jamais au-dessus de 0°C pendant une année au moins. Il peut affecter tous types de matériaux : substratum rocheux, formations superficielles, sols. Il peut ou non contenir de la glace : dans le rocher, la quantité de glace est en général limitée au remplissage des fissures, alors que dans les formations superficielles elle peut être importante : remplir tout l’espace interstitiel (permafrost saturé), inclure de petites couches ou lentilles de glace, et dépasser en volume la proportion de matériel rocheux (permafrost sursaturé).
Le permafrost représente environ 20% de la surface continentale de la Terre, soit 25 millions de km2, un quart des terres émergées de l’hémisphère Nord. A titre de comparaison, les glaces continentales (glaces de mer non comprises) couvrent 16 millions de km2.
Selon la proportion de la surface totale concernée par le permafrost, on distingue habituellement, en fonction de la latitude (respectivement de l’altitude) :
la zone de permafrost continu (plus de 80 % de la surface),
la zone de permafrost discontinu (entre 30 et 80 % de la surface),
le permafrost sporadique (moins de 30 % de la surface),
le permafrost en taches isolées.
Si l’essentiel du permafrost se rencontre aux hautes latitudes, on le trouve aussi en altitude dans les massifs montagneux. Ainsi dans les Alpes, un permafrost discontinu est potentiellement présent au-dessus de 2500 m environ en orientation Nord, un permafrost plus continu au-dessus de 3500 à 4000 m. Selon les calculs de modèles, le permafrost pourrait couvrir dans les Alpes françaises [2] une superficie de 1300 km², soit plus du double de la surface des glaciers (env. 500 km²).
2. Structure du permafrost
La formation, la persistance ou la disparition du permafrost dépendent très étroitement du climat. Sa répartition, sa température et son épaisseur réagissent aux changements du milieu naturel et aux perturbations anthropiques, engendrant une modification du régime thermique du sol. La structuration verticale du permafrost, en particulier sa teneur en glace, est dépendante à la fois du climat, et des conditions topographiques, géologiques et géomorphologiques (Figure 2).
Sur le profil thermique type apparaissent clairement trois niveaux :
La couche de surface, dont la température dépasse 0°C en été (et qui dégèle donc saisonnièrement), est appelée couche active. Au sens strict, le permafrost ne concerne donc que la couche située sous la couche active, dont la température reste en permanence en dessous de 0°C. La couche active peut avoir une épaisseur de quelques dizaines de centimètres dans les terrains tourbeux de la toundra arctique, et jusqu’à 3 à 7 mètres d’épaisseur dans des terrains rocheux pauvres en glace dans les Alpes.
La couche qui ne dégèle jamais constitue le permafrost au sens strict. En-dessous du niveau auquel se rejoignent les courbes de températures maximale et minimale (Tmin et Tmax) le terrain ne subit pas les oscillations annuelles de la température de l’air. Cette profondeur de pénétration maximale des variations annuelles dépend beaucoup de la teneur en glace. Elle peut être de quelques mètres seulement dans des terrains riches en glace, et atteindre 20 à 30 mètres en terrain rocheux dans les Alpes.
La profondeur de la base du permafrost est déterminée par la température moyenne de l’air du lieu, qui conditionne celle du permafrost, et par le gradient géothermique : les pergélisols les plus profonds correspondent ainsi aux climats les plus froids et secs (la faiblesse de l’enneigement raccourcit l’effet isolant que procure la neige). A titre d’exemples, la profondeur du permafrost est de plusieurs centaines de mètres dans le grand Nord canadien ou en Sibérie. Dans les Alpes, les forages effectués entre 1998 et 2010 ont montré qu’à 3000 mètres d’altitude le permafrost peut atteindre une bonne centaine de mètres d’épaisseur.
L’interaction entre le climat au-dessus du sol et le climat sous sa surface est complexe et dépend de facteurs multiples, dont plusieurs sont sensibles aux changements climatiques. Les oscillations thermiques de l’atmosphère sont en général amorties avec la profondeur en raison de la conductivité thermique du sous-sol et de la couverture neigeuse. Il y a généralement un décalage temporel entre les changements de température à la surface du sol et les changements en profondeur dans le permafrost ; dans le cas d’un permafrost épais (Amérique du Nord, Sibérie …), ce décalage peut être de l’ordre de centaines à des milliers d’années, dans celui d’un permafrost mince (Alpes,…), il se compte en années ou en décennies.
3. Le permafrost et les glaciers rocheux alpins
Tout type de terrain est susceptible d’être concerné par du permafrost, que ce soit de la roche en place ou des sédiments.
Dans le cas d’un massif rocheux, on aura affaire à une roche plus ou moins fracturée et « cimentée » par la glace. La proportion de glace est limitée au remplissage des fissures et peut être quasi nulle dans le cas d’une roche peu fracturée, mais elle peut jouer un rôle non négligeable dans la stabilité des masses rocheuses.
Dans le cas des formations superficielles, le permafrost est susceptible de se former à partir des débris rocheux (colluvions, moraines et éboulis) et de la glace (issue de compaction de la neige et des coulées d’avalanche et du gel des eaux d’infiltration). Les conditions dans lesquelles ce permafrost peut se former dépendent de l’altitude (généralement supérieure à 2500 mètres sous nos latitudes tempérées), de l’exposition et du contexte géomorphologique (présence de glacier ; présence de dépôts détritiques grossiers jouant un rôle d’isolant thermique, voire de piège à froid, pour le sol) et topographique (effet d’ombrage, cuvette d’air froid, …).
La structure-type d’un permafrost dans des formations superficielles est constituée :
- d’une couche de surface non gelée en permanence qui peut atteindre quelques mètres d’épaisseur, peu conductrice thermiquement, et qui correspond à la couche active,
- d’une couche de permafrost, mélange de glace et de débris rocheux, quelquefois homogène (« béton de glace » saturé avec 30 à 40 % de glace), comportant aussi des hétérogénéités locales (permafrost « sursaturé » à lentilles de glace, permafrost « sous-saturé » contenant un peu d’air et de la glace en voie de fonte ; chenaux et « poches » d’eau de fonte …),
- du substrat rocheux lui-même (rarement gelé) ou d’une troisième couche formée de débris non gelés et non saturés.
La proportion de glace dans la couche de béton de glace est un élément déterminant pour la dynamique géomorphologique. Si ce béton est saturé ou sursaturé en glace, le permafrost est susceptible de s’écouler par fluage sur les versants, ce qui permet de le retrouver à des altitudes inférieures, notamment dans les formes appelées glaciers rocheux, très nombreuses dans les Alpes françaises, depuis le Mercantour jusqu’en Vanoise.
Les glaciers rocheux constituent les indicateurs de permafrost parmi les plus pertinents, car ils sont clairement visibles dans le paysage montagnard, et sont remarquables tant par leur extension que par leur réponse variable face aux fluctuations climatiques. Ils se rencontrent plus particulièrement dans les zones relativement sèches où les glaciers ne peuvent se développer pleinement. Les glaciers rocheux acquièrent leur morphologie très particulière (Figure 3), faite de bourrelets emboîtés et d’un front raide, par le fluage sur un substrat en pente du mélange de débris rocheux et de glace.
La présence ou non de glaciers rocheux, leur morphologie et leur fonctionnement dépendent de l’équilibre variable entre l’apport de débris rocheux et l’apport de glace, eux-mêmes conditionnés, à l’échelle régionale par le contexte climatique et géologique, et, à une échelle plus locale, par le contexte topo-climatique et géomorphologique [3].
La diversité des situations observées montre que la plupart des glaciers rocheux ont une origine périglaciaire (c’est-à-dire que la glace est issue de l’enfouissement de la neige sous les débris et du regel des eaux en profondeur), ce qui n’exclut pas la présence de glace d’origine glaciaire (formée au départ en surface par la compaction d’un névé). Enfin, retenons que, indépendamment de l’origine de la glace, seules des conditions thermiques de permafrost permettront le développement et le maintien d’un glacier rocheux.
Les glaciers rocheux, élaborés à des rythmes variables en fonction des climats du Quaternaire, s’écoulent sur les versants et comblent les hautes vallées, déplaçant des masses considérables de matériaux. A l’instar des glaciers, composés, eux, uniquement de glace, les glaciers rocheux subissent les caprices du climat à moyen et long terme et laissent des traces flagrantes dans le paysage. Alors que les moraines glaciaires sont de tailles restreintes, souvent démantelées par les eaux de fonte glaciaires, les glaciers rocheux restent en place et étalent aujourd’hui leur langue jusqu’à 1500 mètres d’altitude dans les Alpes. Toutefois, seuls les plus élevés d’entre eux, et donc les plus récents contiennent encore de la glace et peuvent être en mouvement. Il est communément admis que l’altitude limite « d’activité » de ces glaciers rocheux (entre 2500 et 3000 mètres dans les Alpes) correspond grossièrement à la limite inférieure du permafrost discontinu. Un éventuel permafrost trouvé à une altitude plus basse sera qualifié de « sporadique » ou en « taches isolées ». Il ne peut correspondre qu’à des situations morphologiques et thermiques très particulières, par exemple celles liées à des courants d’air froid en système poreux ou karstifié [4] : « éboulis froid », « glacières » identifiées par exemple dans les massifs préalpins de la Chartreuse et du Vercors.
4. Risques liés à la fusion du permafrost
Tout comme les glaciers reculent, le pergélisol alpin réagit aux modifications climatiques en cours depuis plusieurs décennies. En premier lieu, sa température s’élève et se rapproche de 0°C dans beaucoup de sites alpins. Parallèlement la couche active, cette portion superficielle qui dégèle en été, s’épaissit et la rhéologie des niveaux englacés dans le sol se modifie notablement. Au final, les limites inférieures du permafrost alpin devraient progressivement remonter en altitude.
C’est l’évolution de cette marge (grossièrement située entre 2300 et 3200 mètres d’altitude sous nos latitudes), en déséquilibre par rapport au climat, qui pose des questions majeures en termes d’aléas et de risques associés. En effet, la dégradation du pergélisol pourrait jouer un rôle significatif dans la recrudescence de phénomènes gravitaires, périglaciaires et torrentiels, du fait de la perte du rôle cohésif de la glace dans la stabilisation des hauts versants.
Les conséquences du réchauffement du pergélisol susceptibles d’affecter nos territoires sont de quatre ordres :
- la subsidence des dépôts détritiques, liée à la fonte de la glace a déjà affecté certaines stations de ski et installations de haute altitude en Suisse comme en France [5] ;
- la déstabilisation des dépôts détritiques gelés situés sur des pentes marquées se traduirait, dans un premier temps, par une accélération importante des déformations internes (nombreux cas connus dans les Alpes), puis par une rupture susceptible de mobiliser l’ensemble du dépôt (cas probable du glacier rocheux du Bérard en Ubaye [6]) ;
- l’augmentation de la fréquence de différents processus gravitaires affectant les parois rocheuses de haute altitude ; la fonte de la glace contenue dans les joints des parois est probablement à l’origine des écroulements récents survenus à l’éperon de la Brenva et aux Drus [7] ;
- l’augmentation de la fréquence des laves torrentielles et des coulées boueuses, soit par approfondissement de la couche active du pergélisol (cas du Ritigraben, Valais, Alpes suisses [8], et du glacier rocheux du Col du Lou à Lanslevillard, Savoie) soit par l’augmentation des apports sédimentaires des parois, par conséquent mobilisables lors d’événements pluvieux conséquents (cas du torrent d’Armancette, Haute-Savoie).
Références et notes
Photo de couverture : Etangs Permafrost de dégel sur les tourbières dans la baie d’Hudson, au Canada en 2008. [Source: Steve Jurvetson [CC BY 2.0], via Wikimedia Commons ]
[1] Müller S.W. (1947) Permafrost and permanently frozen ground and related engineering problems. J.W. Edwards ed., 231 p.
[2] Bodin X., Lhotellier R., Schoeneich P., Gruber S., Deline P., Ravanel L. & Monnier S. (2008) Towards a first assessment of the permafrost distribution in the French Alps. Swiss Geoscience Meeting, 21-23 November 2008, Lugano
[3] Conditions locales de relief et d’exposition des pentes
[4] avec fissures ouvertes et cavités de dissolution, comme on peut en trouver dans les roches calcaires
[5] Fabre D., Cadet H., Lorier L. & Leroux O. (2014) Detection of permafrost and foundation related problems in high mountain ski resorts. IAEG Congress Torino, in Lollino et al., Springer, vol 1, paper 60, 321-324
[6] Schoeneich P., Bodin X., Echelard T., Kaufmann V., Kellerer-Pirklbauer A., Krysiecki J.-M. & Lieb G.K. (2014) Velocity changes of rock glaciers and induced hazards. in Lollino G., Manconi A., Clague J., Shan W., Chiarle M. (eds): Engineering Geology for Society and Territory – Volume 1, Springer , pp. 223-227. DOI: 10.1007/978-3-319-09300-0_42
[7] Ravanel L., Deline P. et al. (2007) Ecroulement en haute montagne à permafrost : l’exemple du petit Dru (Massif du Mont-Blanc). Journées annuelles de la Société Hydrotechnique de France (Nivologie-Glaciologie), Grenoble
[8] Rebetez M., Lugon R. et al. (1997) Climatic changes and debris flows in high mountain regions : the case study of the Ritigraben Torrent (Swiss Alps) – Climatic Change 36, 371-389
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Pour citer cet article : SCHOENEICH Philippe, FABRE Denis (20 septembre 2018), Le permafrost, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/le-permafrost/.
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