Les lois qui régissent l’activité des volcans

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Où trouve-t-on des volcans sur Terre ? Pourquoi et comment les volcans entrent-ils en éruption ? Pourquoi sont-ils capables de produire des éruptions très différentes ? Pour répondre à ces questions, il faut suivre les magmas à la trace depuis leur source à des dizaines de kilomètres de profondeur jusqu’à la surface. Tout commence dans le manteau terrestre, sous la croûte, dont les mouvements sont responsables de la formation de magma. Parce qu’il est plus léger que les roches qui l’entourent, le magma s’extrait de sa source et monte vers la surface. Il vient souvent s’accumuler dans un réservoir. Il y refroidit, cristallise, change de composition et de propriétés physiques, au point d’accroître sa concentration en éléments volatils. Un réservoir volcanique n’est pas stable et finit par relâcher le magma qu’il contient. Propulsé vers la surface, le magma dégaze. En fonction de la quantité de gaz libérés, une éruption peut prendre la forme d’une coulée liquide ou d’un jet de gaz portant des fragments de magma à grande vitesse. La physique des volcans a beaucoup progressé mais de nombreuses incertitudes limitent encore les prévisions des experts.

1. Comment se construit un volcan

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Figure 1. Schéma montrant les différentes parties d’un système volcanique. La source profonde de magma est majoritairement liée à des mouvements de grande échelle dans le manteau terrestre (on représente ici un courant ascendant). Le magma monte vers la surface en fracturant les roches qui l’entourent. Près de la surface, il vient souvent s’accumuler dans un réservoir. [Source : Figure de l’auteur]
Un volcan se construit à partir d’une source de magma [1], qui se trouve à plus de quarante kilomètres de profondeur, dans le manteau terrestre [2], dans la plupart des cas. Un magma se forme par fusion des roches du manteau et chemine ensuite vers la surface. Un gigantesque système de plomberie s’établit pour l’amener jusqu’au volcan (Figure 1).

Le magma monte vers la surface parce qu’il est plus léger que les roches qui l’entourent. Lorsqu’il rencontre des formations moins denses que lui ou particulièrement résistantes à la déformation, il s’arrête et s’accumule dans un réservoir. Lors de son séjour dans le réservoir, ce magma refroidit et cristallise partiellement, laissant des minéraux et un magma résiduel dont la composition change au fur et à mesure que la cristallisation progresse. Ce mécanisme est responsable de la très grande variété des magmas et des régimes éruptifs sur Terre. Un réservoir n’est pas stable et finit par se fracturer, permettant au magma de reprendre son ascension vers la surface. C’est dans cette dernière phase que s’établit le régime d’une éruption. La dernière partie du système volcanique est l’édifice lui-même, qui peut s’élever à plusieurs kilomètres d’altitude et qui peut subir des changements lourds de conséquences.

Les volcans peuvent rester actifs pendant plusieurs centaines de milliers d’années et s’élever à plusieurs kilomètres d’altitude. L’âge de l’Etna, en Sicile, par exemple, est estimé à un demi-million d’années. Le plus imposant volcan terrestre est le Mauna Kea, dans l’île d’Hawaii, qui est resté actif pendant près d’un million d’années et qui est maintenant éteint. Son sommet s’élève à presque dix kilomètres au-dessus des fonds marins.

2. Les sources des volcans

En dehors de son noyau, la Terre est essentiellement solide et ne produit des magmas que dans quelques endroits particuliers. Parce qu’elle se refroidit, son manteau est animé de grands mouvements de convection [3] dont les vitesses vont de quelques centimètres à quelques dizaines de centimètres par an. Ces mouvements prennent deux formes différentes : de grandes cellules associées aux mouvements des plaques [4], qui sont responsables de l’expansion des fonds océaniques et de la dérive des continents, et des courants ascendants localisés approximativement cylindriques appelés panaches ou points chauds [5].

Les roches du manteau sont des assemblages de minéraux et ne sont pas des corps purs. La fusion n’a pas lieu à une température donnée et s’étale sur un intervalle de température allant du solidus [6], qui marque l’apparition d’un liquide, au liquidus [7], qui voit disparaitre le dernier solide. Sur Terre, elle peut se produire de deux manières très différentes.

2.1. La fusion par décompression

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Figure 2. La courbe de solidus des roches du manteau terrestre, qui marque le début de la fusion. La courbe en pointillés rouges montre la variation de température pour une roche animée d’un mouvement ascendant. A grande profondeur, le manteau est à des températures élevées mais inférieures au solidus: il est solide. Lorsqu’elles montent vers la surface, les roches du manteau croisent la limite du solidus et fondent partiellement. [Source : Figure de l’auteur]
C’est le mécanisme de fusion le plus important et il est contre-intuitif car il agit alors que la température des roches décroît. La température de solidus du manteau augmente avec la pression à un taux de plus de 5°C par kilomètre. Dans l’état actuel de notre planète, le manteau est entièrement solide à grande profondeur mais à une température assez élevée. Lorsque ses roches remontent vers la surface, leur pression diminue et elles se dilatent. En supposant des conditions adiabatiques, le travail des forces de pression est compensé par une diminution de leur énergie sensible, et donc par une diminution de leur température, à un taux faible d’environ 0,5°C par kilomètre. Dans un courant ascendant, la température finit par atteindre la courbe du solidus, ce qui enclenche la fusion (Figure 2).

Ce mécanisme est responsable de deux types de volcans (Figure 3). Les premiers sont associés aux courants ascendants des cellules de convection, qui sont matérialisés en surface par les dorsales [8] parcourant les fonds océaniques. Ces volcans sont peu connus car ils se trouvent à plus de deux kilomètres sous les mers mais ils sont responsables de la plus grande quantité de lave [9] produite sur Terre. Les volcans du deuxième type sont les plus imposants, comme ceux des îles Hawaii et de La Réunion, et sont dus aux panaches du manteau (appelés aussi points chauds).

2.2. La fusion par hydratation

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Figure 3. Les relations entre les volcans et les mouvements internes de la planète. On montre quatre types de volcans. Les plus abondants sont associés aux courants de convection dans le manteau terrestre, qu’ils soient ascendants ou descendants. Sur la droite de la figure, on montre des volcans qui naissent dans des zones d’extension. [Source : Figure de l’auteur]
Même en faibles quantités, l’eau abaisse la température de solidus. Les roches qui ont séjourné à la surface ont été hydratées au contact de l’hydrosphère. Elles sont entrainées dans les courants descendants froids des zones de subduction [10] et se déshydratent en profondeur. L’eau ainsi libérée pénètre dans le manteau environnant et le fait fondre, à la manière du sel que l’on utilise sur les routes en hiver pour les débarrasser de la glace. Les volcans associés (Figure 3) sont célèbres, comme la Montagne Pelée en Martinique et le Mont Fuji au Japon, et construisent des arcs insulaires, comme au Japon et dans les Antilles.

2.3. La distribution des volcans sur Terre

D’autres mécanismes sont à l’œuvre sur Terre, par exemple au sein d’une croûte continentale épaissie ou bien dans une zone d’extension, mais ne sont pas responsables de grandes quantités de magma à l’échelle de la planète. Dans tous les cas, la cause ultime du volcanisme réside dans les mouvements internes du manteau terrestre qui se développent sur des milliers de kilomètres (Figure 3). Du magma est produit à la montée et à la descente. Les volcans sont des marqueurs de l’activité planétaire et peuvent être considérés comme permanents à l’échelle humaine.

3. L’ascension des magmas

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Figure 4. Variation de la densité en fonction de la profondeur. La courbe pointillée (CC) correspond aux roches de la croûte continentale. Les deux autres courbes montrent les densités d’un magma basaltique qui est soit “sec”, c’est-à-dire qui ne contient pas d’eau en solution, soit hydraté avec une concentration de 0.8 pour cents d’eau en poids. Ces deux magmas sont plus légers que la croûte à plus de 15 kilomètres de profondeur. [Source : Figure de l’auteur]
Dans les conditions terrestres, la fusion des roches ne va pas jusqu’à son terme et le magma est à l’origine un liquide interstitiel au sein d’une matrice solide. Le magma est plus léger que sa matrice et est propulsé vers le haut par la poussée d’Archimède [11] (Figure 4). Pour qu’il puisse s’extraire de sa source, il ne doit pas être dispersé dans de petites poches isolées les unes des autres, ce qui n’est réalisé que s’il existe en quantité suffisante. C’est pourquoi on ne voit pas à la surface terrestre de magmas correspondant à des taux de fusion partielle très faibles. Les magmas les plus abondants sur terre, les basaltes [12] des dorsales océaniques, correspondent à un taux de fusion de l’ordre de 20-25%. L’extraction proprement dite se fait grâce à la déformation de la matrice solide qui doit se refermer derrière le magma. Cette déformation est très lente et de grands débits de magma ne peuvent être obtenus qu’en rassemblant le liquide produit dans un grand volume.

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Figure 5. A gauche: propagation d’un magma par fracturation hydraulique. Le magma sous pression ouvre une fracture dans les roches et monte sous l’effet de la poussée d’Archimède. A droite: un dyke qui traverse les strates d’une falaise en Islande [Source : Figure de l’auteur et collection personnelle]
Plus près de la surface, les roches de la croûte ne se déforment pas facilement. La force motrice est encore la force d’Archimède (Figure 4) mais le mécanisme d’ascension du magma n’est plus le même. Une roche a un seuil de résistance mécanique donné et se fracture lorsque la pression de magma dépasse une certaine valeur. Le magma se propage dans une fissure de faible largeur que l’on appelle dyke [13] en géologie (Figure 5). Ce phénomène de fracturation hydraulique s’accompagne de petits séismes et peut être détecté depuis la surface. Lorsque la source se tarit, le magma ralentit et finit par se figer. Reste une fissure remplie de magma solidifié (Figure 5).

4. Les réservoirs volcaniques et leurs magmas

Les magmas sont des liquides complexes faits de nombreux oxydes, parmi lesquels les oxydes de Silicium (SiO2), de Fer (FeO et Fe2O3) et d’Aluminium (Al2O3) sont les plus abondants. Un magma peut être produit par la fusion partielle d’une roche ou bien par cristallisation partielle d’un magma plus “primitif”. Sa composition chimique dicte ses propriétés physiques et donc les conditions éruptives.

4.1. La formation des réservoirs volcaniques

Un magma “primitif” peut monter tant qu’il est plus léger que les roches qu’il rencontre et tant qu’il est capable de les fracturer. Près de la surface (Figure 4), les roches sont souvent moins denses que ce magma, soit parce qu’elles sont d’origine sédimentaire soit parce qu’elles sont fracturées. Lorsque le magma les atteint, la force d’Archimède change de signe et vient s’opposer à l’ascension. Ailleurs, des roches plus denses que le magma et particulièrement résistantes à la déformation peuvent empêcher le magma de passer. Dans ces deux cas, un réservoir se forme sous la surface.

Un réservoir joue un rôle fondamental. Alimenté par une source profonde dont le débit est faible, il sert d’accumulateur de magma et permet l’éruption rapide de très grands volumes. En outre, il agit comme un réacteur chimique où le magma change de composition.

4.2. La fabrication des magmas “évolués”

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Figure 6. Une “série magmatique” et les propriétés physiques associées. Les magmas représentés, appelés basalte, andésite, dacite et rhyolite, sont produits par la cristallisation partielle d’un magma basaltique. Ce sont les liquides résiduels successifs qui se forment lorsque la cristallisation progresse dans un réservoir. [Source : Figure de l’auteur]
Au sein d’un réservoir, le magma perd sa chaleur au contact des roches encaissantes plus froides et se solidifie. Comme pour la fusion, la solidification ne se produit pas en bloc et se répartit sur un intervalle de température. Le magma cristallise graduellement et laisse un liquide résiduel dont la composition change. Les magmas successifs font partie de ce que l’on appelle une série magmatique. La Figure 6 illustre les différents liquides qui sont produits quand un basalte cristallise. Un volcan peut éjecter des basaltes à ses débuts puis progressivement tous les autres magmas de la série, que l’on qualifie souvent d’“évolués”.

Un réservoir magmatique est capable d’engendrer des éruptions en système fermé mais peut aussi être réalimenté par du magma primitif. Il peut connaître des changements complexes de composition chimique en fonction de la séquence de réinjection et d’éruption. Le magma résiduel peut tendre vers des compositions évoluées et ensuite revenir vers des compositions plus primitives.

4.3. La viscosité des magmas

Un basalte est cent fois plus visqueux qu’une huile de cuisine, qui est elle-même cent fois plus visqueuse que l’eau. Un fait remarquable est l’énorme variation de la viscosité des magmas, représentée dans la Figure 6 pour ceux qui sont secs, c’est-à-dire dépourvus d’eau. Entre un basalte et une rhyolite [14], la viscosité augmente de plus de dix ordres de grandeur ! Un magma extrêmement visqueux comme la rhyolite s’écoule très lentement et a un comportement fondamentalement différent de celui d’un basalte. C’est ainsi que le même volcan peut produire des éruptions très différentes quand la composition du magma change.

4.4. Les espèces volatiles et les gaz volcaniques

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Figure 7. Courbe de solubilité de l’eau dans un magma rhyolitique contenant 3% d’eau, une valeur plutôt basse. Toute cette eau est en solution à des pressions supérieures à 50 MPa (500 bars), ce qui correspond à une profondeur d’environ 2 km. Au-delà du seuil de solubilité, le magma est saturé et une partie de l’eau apparait sous forme de gaz. Un magma peut atteindre la saturation de deux manières différentes, par décompression lors de la remontée ou par cristallisation fractionnée dans un réservoir. [Source : Figure de l’auteur]
Les derniers ingrédients nécessaires pour comprendre le comportement des éruptions sont les espèces volatiles telles que l’eau et les dioxydes de carbone et de soufre. Elles sont présentes en petites quantités dans les roches du manteau et se concentrent dans le magma lors de la fusion. Aux fortes pressions qui règnent en profondeur, elles sont solubles dans le magma (Figure 7). Aux températures magmatiques et à la surface, elles sont à l’état de gaz. Parmi elles, c’est l’eau qui est la plus abondante. Sa concentration est typiquement de quelques pour cents en poids. Malgré ces faibles quantités, l’eau a un effet majeur sur le comportement du magma dans un conduit volcanique, comme on le verra plus loin. Elle affecte aussi la viscosité du magma, qui baisse d’un facteur dix pour chaque addition de 1%.

4.5. La rupture du réservoir

Pour qu’une éruption ait lieu, il faut que le réservoir relâche le magma qu’il contient, ce qui peut être dû à deux phénomènes. Le premier est l’injection de magma depuis la source, qui est constamment active. Le réservoir enfle jusqu’au moment où ses parois ne peuvent plus résister à la tension. Le deuxième phénomène est la cristallisation. Les éléments volatils qui sont en solution dans le magma primitif ne peuvent être pris par les cristaux à de très rares exceptions près. En conséquence, ils s’enrichissent dans le liquide résiduel au fur et à mesure que la cristallisation progresse. Lorsque leur concentration finit par atteindre le seuil de solubilité, le magma est saturé et une phase gazeuse apparaît. A partir de cet instant, le réservoir renferme un mélange de magma et de bulles de gaz, dont la densité est bien plus faible que celle du magma primitif. A masse constante, la baisse de densité entraîne l’augmentation de volume et donc le gonflement du réservoir.

Dans les deux cas, le gonflement du réservoir signale qu’une éruption se prépare. Il se traduit à la surface par un soulèvement du sol dont l’amplitude atteint couramment plusieurs centimètres. Une telle déformation est facilement mesurable avec les outils d’aujourd’hui.

5. Les principaux régimes éruptifs

5.1. Deux grandes catégories d’éruption

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Figure 8. Séquence de décompression dans un conduit volcanique. Le magma se charge progressivement de bulles de gaz à cause de l’exsolution des espèces volatiles et de la dilatation du gaz. La suspension de magma et de bulles de gaz devient instable et le magma est pulvérisé en fragments qui sont portés par un jet de gaz. [Source : Figure de l’auteur]
On peut distinguer deux grandes catégories d’éruption en fonction de la quantité de gaz présente dans le magma à la sortie du conduit volcanique. Lorsque cette quantité est faible, le gaz est dispersé dans des bulles au sein du magma. La mixture de gaz et de magma a le comportement d’un fluide et l’éruption prend la forme d’une coulée liquide. Lorsque la quantité de gaz est élevée, le magma est pulvérisé et c’est lui qui est dispersé au sein du gaz. La Figure 8 illustre la séquence de décompression dans un conduit éruptif dans ce cas. Au fur et à mesure que le magma monte, la solubilité décroit parce que la pression baisse (Figure 7) et une quantité croissante d’espèces volatiles se rassemble dans une phase gazeuse. La mixture volcanique de magma et de gaz prend d’abord la forme d’une suspension de bulles dans du liquide puis passe par une étape de “mousse” magmatique, qui n’est pas stable. Les bulles éclatent et l’écoulement prend la forme d’un jet de gaz portant des fragments de magma. On qualifie ce régime d’“explosif”.

5.2 Deux régimes “explosifs”

volcan - volcans
Figure 9. Les deux principaux régimes explosifs. A gauche: une colonne Plinienne s’élève à haute altitude jusqu’à un niveau où l’atmosphère raréfiée est moins dense que la mixture volcanique. La mixture se propage latéralement en laissant sédimenter ses fragments. A droite: une coulée pyroclastique est due à l’effondrement d’une colonne éruptive qui est restée plus dense que l’air. [Source : Figure de l’auteur]
Les éruptions Pliniennes (Figure 9) sont les plus spectaculaires. A la sortie de la bouche éruptive, un puissant jet de gaz volcanique porte des fragments de lave à une vitesse en général comprise entre 100 et 300 m/s (c’est la vitesse du son dans la mixture) (Figure 10). Une colonne éruptive s’élève dans l’atmosphère jusqu’à une altitude qui peut dépasser trente kilomètres. Lorsqu’elle rencontre l’air très raréfié de la haute atmosphère, la mixture volcanique finit par s’étaler latéralement. Elle est alors animée d’un mouvement essentiellement horizontal et laisse les fragments de magma retomber en pluie sur de très grandes surfaces. On retrouve les dépôts de l’éruption « Minoenne » de l’île de Santorin en mer Egée, qui eut lieu en 1600 avant J.C. à peu près, sur plusieurs centaines de milliers de kilomètres-carré. Les éruptions Pliniennes se muent souvent en coulées pyroclastiques, un régime beaucoup plus catastrophique décrit plus bas, et il serait plus exact de parler de phase Plinienne d’une éruption. La durée typique d’une phase Plinienne est de quelques dizaines d’heures.

volcan mount st helens
Figure 10. La colonne de l’éruption de mai 1980 du Mount St Helens, dans L’État de Washington aux USA. Un mélange de gaz et de fragments de magma sort à haute vitesse du conduit volcanique. [Source : United States Geological Survey, domaine public]
Dans le cas des coulées pyroclastiques [15] (Figure 9), la mixture de gaz et de magma est semblable à celle d’une éruption Plinienne à la sortie de la bouche éruptive mais le régime change dans l’atmosphère. Les débits et quantités de magma émis sont quasiment les mêmes, mais la colonne éruptive ne s’élève qu’à quelques kilomètres du sol. La mixture volcanique retombe près du point de sortie et est canalisée dans une puissante coulée de faible largeur au lieu d’être répartie sur une grande surface à haute altitude (Figure 11). Les effets sont dévastateurs. Les dépôts de coulées pyroclastiques sont beaucoup plus épais que leurs analogues Pliniens et montrent des stratifications compliquées, révélatrices des conditions chaotiques et violentes de leur mise en place.

La célèbre éruption de l’an 79 du Vésuve, qui détruisit les villes romaines de Pompei et Herculanum, montre que des changements intempestifs de régime éruptif peuvent se produire. Le volcan démarra dans un régime Plinien, qui est désagréable et destructeur sur le long terme mais qui n’est pas fatal pour les populations. Il changea brutalement de régime et se mit à émettre des coulées pyroclastiques violentes et mortelles.


Vidéo 1 : Exemple d’une colonne atmosphérique de gaz et de cendres qui se développe lors d’une éruption explosive. [Source : Achraf Bouiafri]

5.3. Le rôle de la turbulence

volcan sinaburg
Figure 11. Une coulée pyroclastique dévalant les pentes du volcan Sinabung en Indonésie. Cette coulée n’est pas due à l’effondrement d’une colonne atmosphérique, mais à l’explosion d’une épaisse coulée de lave chargée de bulles de gaz. [Source : Jean-Guillaume Feignon, distribué via imaggeo.egu.eu]
Les éruptions dévastatrices qui viennent d’être décrites n’ont pas besoin de beaucoup de gaz. En fait, tout dépend de la manière dont on mesure la quantité de gaz. Si l’on compte en poids, les magmas terrestres contiennent rarement plus de 5% d’espèces volatiles. Mais, étant donné que la phase gazeuse a une densité très petite, c’est elle qui domine la mixture lorsque l’on raisonne en volume. Par exemple, pour seulement 1% du poids total, la vapeur d’eau occupe déjà environ 95% du volume.

Une conséquence importante de la faible quantité de volatils dans les magmas est que la mixture qui s’échappe d’un volcan est plus dense que l’atmosphère quel que soit son état. Sans augmentation de la quantité de gaz, cette mixture ne peut s’élever à haute altitude. Dans ces conditions, comment peut-on produire des éruptions Pliniennes ?


Vidéo 2 : Exemple de coulée pyroclastique au volcan Sinabung en Indonésie [Source : Marc -Volcano- Szeglat]

Figure 12. Schéma expliquant comment une colonne éruptive atmosphérique peut devenir plus légère que l’air environnant. La turbulence donne naissance à des tourbillons qui ramènent de l’air dans la colonne. Au fur et à mesure que la colonne s’élève, la quantité d’air augmente et la densité décroit. [Source : Figure de l’auteur]
L’origine des deux régimes explosifs est à rechercher dans le comportement de la colonne éruptive qui s’élève dans l’atmosphère (Figure 10). L’écoulement est rapide et dans un régime turbulent, tel que des tourbillons incorporent de l’air à la colonne (Figure 12). La mixture s’allège progressivement. Tant qu’elle est plus lourde que l’air, elle ralentit sous l’action de son poids. Si sa vitesse ascensionnelle tombe à zéro, elle retombe vers le sol près de la sortie. C’est le régime des coulées pyroclastiques (Figure 9). Si la quantité d’air ingérée par la colonne est importante, la mixture volcanique finit par devenir plus légère que l’air. Dans ce cas, elle est propulsée vers le haut par la poussée d’Archimède. C’est le régime Plinien (Figure 9). Une colonne éruptive qui produit des coulées pyroclastiques dépasse rarement quelques kilomètres d’altitude alors que celles du régime Plinien peuvent dépasser vingt kilomètres.

5.4. Les éruptions en coulées de lave

Les coulées de lave sont de plusieurs types selon la viscosité de la lave et la pente du volcan. Les éruptions basaltiques peuvent former de vastes champs de lave sur des distances extrêmement importantes, même sur un sol horizontal. Les laves du plateau de Columbia, dans l’Ouest d’Amérique du Nord, ont parcouru plusieurs centaines de kilomètres. Les laves plus visqueuses, comme par exemple les dacites et les rhyolites (Figure 6), ne s’étalent pas beaucoup et forment des coulées épaisses au-dessus du conduit éruptif. On parle de “dômes de lave”. En 1980, celui du Mont St Helens, dans l’état de Washington aux USA, atteignit une épaisseur de 300 mètres.


Vidéo 3 : Exemple d’éruption en coulée de lave et croissance d’un dôme de lave sur le volcan Chiveloutch en Russie. [Source : Newsfalre]

5.5. Quelques autres régimes d’éruption

Les volcans basaltiques ont deux régimes éruptifs explosifs particuliers de plus faible intensité. Dans une fontaine de lave, l’écoulement dans le conduit prend la forme d’un jet de gaz central qui tire vers le haut un film de liquide tapissant les bords. A la sortie, le résultat est un spectaculaire mur de lave qui peut s’élever à plusieurs centaines de mètres de hauteur. Les fontaines de lave sont courantes à l’Etna, en Sicile, et au volcan Kilauea à Hawaii. Les explosions stromboliennes représentent un cas extrême avec un débit de lave très faible. Ce sont des éruptions essentiellement gazeuses, dues à l’explosion de grosses poches de gaz volcanique. Le conduit éruptif est gorgé de lave et peut rester ouvert pendant plusieurs années. Comme leur nom l’indique, ces éruptions sont fréquentes sur l’île de Stromboli au large de Naples.

Les “nuées ardentes”, rendues célèbres par l’éruption catastrophique de la Montagne Pelée en 1902, sont des coulées pyroclastiques (Figure 11). Elles sont formées par l’explosion d’un dôme de lave, et se caractérisent par un mélange de morceaux de la carapace solidifiée du dôme et de fragments de magma liquide provenant du cœur du dôme. Elles sont plus brèves et ont des volumes plus petits que celles qui résultent de l’effondrement d’une colonne atmosphérique. Ce sont des coulées de ce type qui détruisirent la ville de Saint-Pierre de Martinique lors de l’éruption de la Montagne Pelée en 1902.

Les éruptions phréatiques, par opposition aux précédentes, n’éjectent pas de magma, mais uniquement des fragments de l’édifice volcanique et de son soubassement. Le magma y joue un rôle indirect, en réchauffant et vaporisant l’eau contenue dans les roches qui l’entourent. Ces éruptions sont susceptibles de projeter d’énormes blocs et précèdent souvent une éruption magmatique proprement dite.

6. L’édifice volcanique

Certains volcans peuvent atteindre près de dix kilomètres de hauteur : c’est le cas des volcans d’Hawaii, par exemple, dont la partie émergée ne représente qu’une faible proportion de l’ensemble.

Dans les continents ou les arcs insulaires au bord des océans, les édifices sont plus modestes mais peuvent quand même s’élever à plusieurs kilomètres d’altitude.

Des édifices aussi importants changent les conditions d’éruption. En premier lieu, les magmas doivent parcourir une distance supplémentaire pour atteindre le point de sortie. La densité du magma joue une fois de plus un rôle essentiel. Plus elle est élevée et plus l’ascension jusqu’au sommet est difficile. Dans certains cas, elle n’est plus possible et l’éruption se fait sur les flancs du volcan. Un deuxième effet est que l’édifice induit un champ de contraintes compressives dans les parties superficielles du socle volcanique. Ces contraintes peuvent devenir suffisamment fortes pour détourner les dykes, qui arrêtent leur progression verticale et s’injectent latéralement. Au-delà d’une certaine distance de l’édifice, le magma retrouve un milieu non perturbé et reprend son ascension, formant des cônes satellites.

Un édifice volcanique est fragile. Sous l’effet de la déformation due au magma qui le pénètre, il peut être déstabilisé et s’effondrer. Le magma présent en son sein se décomprime et se dilate brutalement, engendrant une déferlante destructrice. C’est ce qui s’est passé au début de l’éruption de 1980 du Mount St Helens, dans l’état de Washington aux USA.

7. Bilan des connaissances et des incertitudes

La physique des volcans s’est considérablement développée au cours des quarante dernières années. On peut considérer que les principaux mécanismes mis en jeu sont identifiés et compris, mais nos connaissances ont encore de grandes lacunes. Les dommages dus à une éruption dépendent en premier lieu du volume total qui est éjecté et de la durée de celle-ci, et ce sont encore des variables que l’on ne peut mesurer qu’après coup. On ne connait précisément ni les dimensions des réservoirs magmatiques ni la composition du ou des magmas qu’ils contiennent. Les éruptions connaissent souvent des changements de régime, alternant par exemple entre phases Pliniennes et coulées pyroclastiques et s’achevant par l’émission de coulées de lave. Pris individuellement, ces régimes sont compris, mais la séquence éruptive complète ne l’est pas. Toutes ces questions semblent hors de portée à l’heure actuelle et ne pourront probablement trouver de réponses que grâce au développement de méthodes d’imagerie fine permettant de suivre le déroulement d’une éruption à sa source, dans et à la sortie du réservoir magmatique.

8. Messages à retenir

  • Les magmas sont produits continuellement sur Terre et ne séjournent pas longtemps en profondeur.
  • Les volcans sont localisés en quelques endroits précis, en lien avec l’activité interne de la planète.
  • Les magmas remontent vers la surface par leurs propres moyens, sous l’effet de la poussée d’Archimède.
  • Des magmas de compositions et de propriétés physiques très différentes sont produits par cristallisation partielle dans des réservoirs.
  • Le régime d’une éruption dépend des propriétés physiques du magma et de sa teneur en eau.
  • A forte quantité de gaz, l’éruption prend la forme d’une colonne atmosphérique turbulente portant du magma pulvérisé.

 


Notes et références

Image de couverture. Éruption de janvier 2006 du volcan Augustine, dans l’Alaska [Source : Crédit: United States Geological Survey, domaine public http://www.avo.alaska.edu/image_full.php?id=5927].

[1] Un magma est un liquide produit par la fusion d’une roche.

[2] Le manteau terrestre est la couche qui occupe le plus grand volume dans la Terre, entre la base de la croûte et le noyau terrestre à près de 2900 kilomètres de profondeur.

[3] Le phénomène de convection décrit les mouvements qui apparaissent spontanément dans un fluide lorsque sa densité varie spatialement,  par exemple lorsqu’il est refroidi par le haut.

[4] Les plaques sont les grandes unités superficielles rigides qui se déplacent à la surface de la Terre.

[5] Les panaches, ou points chauds, sont des courants ascendants localisés de section approximativement circulaire qui sont engendrés par une source de petites dimensions.

[6] Le solidus est la température à laquelle un solide commence à fondre.

[7] Le liquidus est la température à laquelle un solide est entièrement fondu.

[8] Les dorsales océaniques sont les chaînes de montagne sous-marines situées au milieu des océans. Elles sont la marque des parties ascendantes des cellules de convection dans le manteau.

[9] La lave est le nom donné au liquide qui s’échappe d’un volcan. Elle est faite de magma contenant des quantités variables de bulles de gaz et de cristaux.

[10] Les zones de subduction sont les endroits où les plaques s’enfoncent à l’intérieur de la Terre. Elles marquent les courants descendants des cellules de convection du manteau terrestre.

[11] La poussée d’Archimède est la force qui s’exerce sur un volume plus léger que le fluide qui l’entoure.

[12] Le mot de basalte désigne les magmas qui se forment par fusion partielle des roches du manteau terrestre lorsque le taux de fusion ne dépasse pas 30%.

[13] Un dyke désigne une fissure qui est ouverte par un magma sous pression.

[14] La rhyolite est le magma qui se forme à la fin de la séquence de cristallisation d’un basalte.

[15] L’adjectif pyroclastique se réfère aux “pyroclasts”, qui sont des fragments de magma (le mot vient de “pyro” qui veut dire en feu et “clast” qui veut dire fragment de roche).

 


L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article : JAUPART Claude (27 octobre 2020), Les lois qui régissent l’activité des volcans, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/sol/lois-activite-volcans/.

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