Impact cellulaire des UV solaires
PDFLe Soleil est indispensable à la vie, que ce soit à travers la photosynthèse chez les plantes ou la production de vitamine D chez l’Homme. C’est cependant une source d’effets délétères liés particulièrement à la portion ultraviolette (UV) de son spectre d’émission électromagnétique. En effet, les UV solaires induisent des dommages aux composants cellulaires et en particulier à l’ADN. Dans les plantes et les microorganismes, les conséquences sont surtout observées en termes de croissance. Chez l’être humain, les conséquences majeures sont essentiellement l’induction des cancers de la peau et du vieillissement cutané, ainsi que des dommages oculaires.
1. Le Soleil, une source de rayonnements complexe
Les rayonnements électromagnétiques présents dans le spectre solaire (Lire Les énergies solaires) avant de traverser l’atmosphère terrestre s’étendent sur une grande gamme de longueur d’onde (Figure 1) :
- Les ondes radio ;
- Le rayonnement infra-rouge, responsable de la sensation de chaud ;
- La lumière visible ;
- La portion ultraviolette (UV).
Cette dernière est arbitrairement décomposée en plusieurs zones selon l’énergie des photons qui est mesurée par la longueur d’onde, un paramètre physique inversement proportionnel à l’énergie du rayonnement. Les UVC ont une longueur d’onde inférieure à 280 nm, les UVB entre 280 et 320 nm, et les UVA de 320 à 400 nm. Hors de l’atmosphère les proportions respectives de ces différents rayonnements UV sont de 8, 24 et 68 %. Cette répartition change fortement après la traversée de l’atmosphère, en particulier du fait de la couche d’ozone qui absorbe tous les UVC (les UV les plus énergétiques), une grande partie des UVB et une fraction des UVA. A la surface terrestre, les proportions en UVC, UVB et UVA sont ainsi de 0, 5 et 95 %. Ce rapport entre UVB et UVA dépend aussi d’autres facteurs comme la latitude (plus d’UVB à l’équateur), l’altitude (plus d’UVB en montagne), l’heure du jour (plus d’UVA le matin et en soirée) et l’albédo (la réflexion des UV sur le sol). C’est donc à une source de rayonnements variés, tous classés cancérigènes par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), que nous sommes exposés.
2. L’ADN, un composant cellulaire essentiel et fragile
Un des effets délétères majeurs d’une surexposition au Soleil est l’induction de cancers de la peau. L’évènement initial dans la formation d’une tumeur cutanée est souvent un endommagement de l’ADN. L’ADN joue en effet un rôle majeur dans la vie de la cellule. Il est tout d’abord « le livre de recette » pour fabriquer les protéines assurant la structure et les diverses fonctions cellulaires. Copié de cellule-mère en cellule-fille, il assure aussi la transmission de l’information génétique. Ses fonctions primordiales sont assurées du fait même de sa structure chimique: deux brins constitués d’un squelette de phosphate et de sucre sur lequel se greffent des petites molécules cycliques, les quatre bases de l’ADN (adénine A, thymine T, guanine G et cytosine C). C’est l’ordre dans lequel s’enchainent ces dernières à l’intérieur des gènes qui constitue le support de l’hérédité.Cette belle machinerie est pourtant en permanence mise en danger par divers agents chimiques ou physiques ayant la propriété de modifier la structure de l’ADN. En effet, les enzymes chargées de traduire ou de répliquer l’ADN se bloquent ou commettent des erreurs dès qu’elles rencontrent une lésion ou dommage de l’ADN. Malheureusement, le rayonnement ultraviolet (UV) émis par le soleil est parmi ces agents particulièrement efficaces pour endommager notre ADN et menacer l’intégrité de notre génome.
3. Les UVB, les moins fréquents mais les plus agressifs
Comment un simple photon peut endommager une structure telle que la double-hélice d’ADN ? Les mécanismes sous-jacents dépendent en fait de l’énergie du rayonnement incident. Les dommages induits dans l’ADN par le rayonnement UVB sont bien connus et leur formation est relativement simple. En effet, les bases de l’ADN les absorbent efficacement et se retrouvent avec un excès d’énergie, dans un état physique logiquement qualifié « d’excité ». Une des solutions pour retourner à leur état fondamental est de réagir chimiquement avec le voisinage.
En l’occurrence, ce sont les bases de la classe des pyrimidines, la thymine (T) et la cytosine (C) qui s’avèrent être les plus réactives. Ainsi, une pyrimidine excitée peut créer des liaisons covalentes avec une pyrimidine voisine. On a alors création de photoproduits (car induits par la lumière) dimériques (car impliquant deux bases) de pyrimidines (deux T, T et C, ou deux C). Le rôle majeur des UVB et des photoproduits qu’ils induisent dans l’ADN est maintenant bien établi. On en retrouve en effet des quantités (biologiquement parlant) importantes, de l’ordre de 1 dimère par million de bases, dans l’ADN de la peau exposée au soleil.
Pour se défendre contre ces modifications de la structure chimique de l’ADN, les cellules possèdent des systèmes de réparation. Chez l’Homme, le mécanisme d’élimination des dimères de pyrimidine est basé sur l’excision d’un petit fragment d’ADN comportant le dommage et la resynthèse d’un ADN « neuf » en prenant le brin non endommagé comme support. Une déficience dans ce système de réparation prédispose énormément aux cancers de la peau, par exemple dans le cas du syndrome médiatisé sous le nom des « enfants de la une ». La réparation de l’ADN, même dans les cellules normales, n’est cependant pas parfaite et des divisions cellulaires peuvent avoir lieu en présence de dommages de l’ADN. Les enzymes chargées de répliquer ce dernier utilisent habituellement les bases naturelles ATGC et peuvent mal traduire la portion d’ADN abimée, induisant ainsi une modification de la séquence du gène (Figure 2). C’est une mutation qui sera transmise aux générations suivantes de cellules. Si cette mutation a lieu dans un gène qui contrôle la division cellulaire, il peut y avoir déclenchement d’un processus tumoral. Ainsi, c’est à des sites de l’ADN comportant deux bases pyrimidines adjacentes que l’on retrouve des mutations dans les tumeurs de la peau, signe du rôle majeur joué par les photoproduits dimériques. Les photoproduits de l’ADN peuvent aussi induire la mort des cellules, parfois de façon volontaire comme dans le cas de l’apoptose. Ceci apparaît comme un moindre mal, les cellules les trop endommagées étant ainsi éliminées du tissu.
4. Les UVA, des rayonnements pas si inoffensifs
Longtemps négligés ou considérés principalement pour leur implication dans le vieillissement de la peau, les UVA sont maintenant reconnus comme étant eux aussi capables d’induire mutations et tumeurs. Même si leur efficacité est moindre que celle des UVB, les UVA sont au moins 20 fois plus abondants. L’effet majeur des UVA dans les cellules de la peau est la production d’espèces chimiques oxydantes, comme les très médiatisés « radicaux libres » ou le plus discret mais tout aussi efficace « oxygène singulet », une forme activée de l’oxygène moléculaire. Ces composés sont produits par des processus de photosensibilisation qui sont déclenchés lorsque certains composants cellulaires absorbent les UVA et transfèrent l’énergie absorbée à l’oxygène ou arrachent des électrons à des molécules avoisinantes.
Les espèces réactives de l’oxygène ainsi générées peuvent alors endommager les macromolécules cellulaires : lipides, protéines … et ADN. La nature des produits d’oxydation de l’ADN est très variée. Certains radicaux libres peuvent endommager les sucres du biopolymère et y induire des cassures. Les radicaux libres et l’oxygène singulet peuvent également modifier les bases. La guanine est en particulier un maillon faible par sa capacité à s’oxyder. Des dommages plus complexes impliquant la formation de liaisons covalentes entre l’ADN et les protéines sont aussi produits. Le rôle important de ce stress oxydant a conduit à proposer des stratégies de photoprotection basées sur l’ingestion d’antioxydants.
La réalité des effets des UVA est plus complexe que la seule induction d’un stress oxydant comme il est souvent mis en avant. En effet, il a été montré ces dernières années que les UVA pouvaient eux aussi induire des dimères de pyrimidines dans l’ADN. Certes, le rendement est bien plus faible qu’avec les UVB, mais les dimères sont quand même plus fréquents que les produits d’oxydation dans l’ADN des cellules exposées aux UVA. Enfin, il a été rapporté que dans les cellules humaines, les UVA, comme les UVB, induisaient des mutations surtout aux sites contenant deux pyrimidines. Bien que les UVA soient moins délétères que les UVB, leur contribution aux propriétés génotoxiques de la lumière solaire ne peut donc pas être négligée. En particulier, ces données doivent être prises en compte dans une réflexion sur une diminution de l’utilisation des lampes de bronzage artificielles qui sont très riches en UVA. Leur utilisation se résume in fine à une exposition volontaire à un agent mutagène et cancérigène sans bénéfice pour la santé.
5. La nécessité d’une photoprotection efficace
Il apparaît donc que le rayonnement UV solaire possède des propriétés néfastes pour la santé. Il n’est bien sûr pas concevable d’imaginer une limitation drastique de l’exposition au Soleil qui fait partie de notre environnement quotidien. De plus, une dose raisonnable d’UV est nécessaire par exemple à la production de vitamine D très majoritairement issue d’une réaction photochimique dans la peau. Il est par contre indispensable d’éviter la surexposition et de développer des stratégies de photoprotection. Une première possibilité évidente est la réaction naturelle de pigmentation de la peau induite par la lumière solaire et en particulier les UVB, c’est-à-dire le bronzage. Ce dernier résulte de la production de mélanine, un polymère absorbant sur un large spectre allant des UV au visible. Les dommages de l’ADN jouent un rôle dans ce mécanisme. En effet, c’est suite à la formation de dimère de pyrimidine que les kératinocytes, les cellules présentes dans la couche extérieure de la peau (l’épiderme) envoient un signal aux mélanocytes, les cellules où est synthétisée la mélanine (Figure 3). Celle est ensuite transportée via des dendrites vers les kératinocytes, apportant ainsi un photoprotecteur au sein même du tissu. Le bronzage n’est cependant pas l’assurance d’une protection absolue. Tout d’abord il ne correspond qu’à un écran solaire d’indice 3 à 5. De plus, la production de mélanine est une réponse à une agression et à l’endommagement de l’ADN. Certains dermatologues vont même jusqu’à parler de cicatrices pour le bronzage. En résumé, si le bronzage est une réaction naturelle limitant les dégâts, il n’est pas une protection totale. Il faut noter que le teint halé obtenu dans les salons de bronzage est encore moins satisfaisant. Plus que de la production de nouvelle mélanine, la couleur que prend la peau est due à l’oxydation par les UVA de la mélanine préexistante.
Le recours à d’autres moyens s’avère donc nécessaire pour éviter l’impact sanitaire d’une exposition trop importante. Le premier est simple en principe et consiste à adopter un comportement raisonnable en évitant les surexpositions. Ceci est malheureusement contrecarré par les canons esthétiques en cours et les pratiques récréatives qui poussent une partie de la population à s’exposer aux périodes les plus riches en UV. Par ailleurs, un grand nombre de professions nécessite une exposition très fréquente au Soleil (agriculteurs, travailleurs du bâtiment, etc.). Dans les deux cas, il est nécessaire de diminuer la quantité d’UV atteignant la peau. La pratique la plus efficace est le port de vêtements adaptés et de chapeaux. Là aussi, ces pratiques ne sont pas toujours faciles à faire accepter et le recours à des écrans solaires devient intéressant. Les produits commerciaux récents ont intégré une protection renforcée contre les UVA alors que les anciens écrans étaient surtout dirigés contre les UVB. De nombreuses études montrent leur efficacité à la fois contre les coups de soleil, phénomène utilisé pour déterminer leur indice de protection (SPF), mais aussi contre la formation de dommages de l’ADN. Ces travaux sont cependant réalisés dans des conditions normalisées avec l’application de quantités importantes de produit. Dans la vie réelle, les quantités utilisées sont bien moindres et le facteur de protection peut être 3 ou 4 fois plus faible que celui déterminé par le fabricant. Le recours à des produits à haut indice est donc sans doute nécessaire. Malgré cela, il faut garder à l’esprit qu’aucune formule n’absorbe totalement les UV (il n’y a plus d’écran total !) et que les écrans solaires doivent être considérés comme une façon de limiter les conséquences d’une exposition mais en aucun comme un prétexte à la prolonger.
6. Conclusion
Le rayonnement ultraviolet solaire est sans doute l’agent mutagène et cancérigène auquel l’être humain est le plus fréquemment exposé. Bien que les mécanismes chimiques et biologiques impliqués dans cette toxicité soient étudiés depuis longtemps, de nouvelles explications continuent d’être mises en évidence. Il faut noter que les autres composantes de l’environnement comme les plantes et les microorganismes sont également affectés. Les stratégies développées par ces organismes pour se défendre sont parfois différentes de chez les mammifères. Il faut en particulier insister sur le cas des végétaux qui ont besoin de la lumière solaire pour pousser mais doivent limiter les dégâts associer. Ainsi, une grande part de leur défense contre les dommages de l’ADN repose sur des systèmes de réparation activé par la lumière, utilisant ainsi l’agent mutagène pour en contrecarrer les conséquences néfastes. Tout ceci montre l’impact fort sur l’environnement, et donc sur l’Homme, des UV solaires.
Références et notes
Photo de couverture : Champ de blé derrière l’hospice St-Paul avec un faucheur et soleil, Vincent Van Gogh, 1889 ; Musée Folkwang, Essen, Allemagne
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Pour citer cet article : DOUKI Thierry (24 mars 2018), Impact cellulaire des UV solaires, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/impact-cellulaire-uv-solaires/.
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