Adaptation : répondre aux défis de l’environnement
PDFDepuis Jean-Baptiste de Lamarck et Charles Darwin, on sait que les êtres vivants n’ont pas été créés une fois pour toutes par une force divine pour constituer une nature harmonieuse. L’harmonie de la nature ne relève d’ailleurs que de l’imaginaire et toute espèce vivante doit répondre en permanence aux défis que lui impose l’environnement, aussi bien biotique qu’abiotique. Le vivant n’a pu proliférer et se diversifier sur la Terre qu’en développant des facultés d’adaptation. Elles lui permettent de s’accommoder d’un milieu souvent hostile, en tous cas toujours changeant, soit de façon saisonnière soit sur le long terme. Ces adaptations portent sur toutes leurs caractéristiques biologiques, aussi bien la physiologie que la morphologie ou l’éthologie. Elles concernent tous les niveaux d’organisation du vivant, depuis le niveau individuel jusqu’au niveau des populations.
1. Adaptations au niveau individuel
L’adaptation physiologique désigne couramment les modifications au niveau individuel. Le métabolisme d’un individu se modifie temporairement, par régulation de l’expression des gènes, en réaction aux conditions extérieures. De tels mécanismes d’adaptation sont indispensables à la vie et à la reproduction. La pression de sélection en faveur de leur développement a certainement été très forte. Les exemples ne manquent pas chez tous les types d’organismes vivants.
Dans le règne animal, citons en deux parmi les plus connus. Chez les humains, l’exposition aux rayons solaires, en particulier aux ultra-violets, entraîne la synthèse d’un pigment noir, la mélanine, qui arrête ces rayons et protègent la peau contre leurs effets mutagènes. Chez tous les mammifères terrestres, le pelage varie de densité selon les saisons, et permet l’adaptation aux différences saisonnières de température.
Chez les plantes, fixées au sol et ne pouvant donc se mettre à l’abri de situations extérieures défavorables, ces mécanismes d’adaptation physiologique sont encore plus indispensables (lire La vie fixée des plantes). Parmi les facteurs environnementaux les plus importants pour les végétaux, il y a bien sûr le soleil et l’eau. L’ensoleillement permet le bon déroulement de la photosynthèse. Il est facile d’observer, dans la nature ou même chez les plantes d’appartement, le phototropisme qui oriente les ramifications vers la lumière solaire. Elles croissent plus rapidement du côté éclairé que du côté ombragé. Mais en présence de fortes chaleurs, il est également vital d’éviter les pertes d’eau. C’est le rôle des stomates foliaires qui contrôlent les échanges gazeux associés à la photosynthèse (lien vers article « Lumière sur la photosynthèse »). Grâce à ces ouvertures à la surface des feuilles, les plantes absorbent du dioxyde de carbone et émettent du dioxygène. Mais les stomates favorisent alors l’évaporation de l’eau ou évapotranspiration. Quand la perte d’eau est trop importante, ils se ferment et l’évaporation est stoppée.
Pour les plantes qui vivent dans des régions arides, il a fallu des adaptations encore plus drastiques de leur morphologie même (voir l’exemple des plantes cactoïdes dans le texte Héritage ou convergence ?) ou l’exemple présenté en tête de cet article de Welwitschia mirabilis, plante endémique du désert du Namib, en Afrique australe. Mais cela relève d’un second niveau d’adaptation : celui des populations.
2. Adaptations au niveau des populations
Des modifications héréditaires favorisent l’adaptation d’une population à un milieu en perpétuel changement et aboutissent, sur le long terme, à l’évolution des espèces. Le monde vivant a ainsi acquis des mécanismes lui permettant de plus en plus d’autonomie par rapport au milieu : par exemple l’homéothermieCaractéristique des espèces animales (oiseaux, mammifères) dont le milieu intérieur (sang et lymphe) conserve une température constante, quelle que soit la température du milieu extérieur, dans de très larges limites. chez les animaux ou la capacité à stocker de l’eau. Notre espèce a même acquis la capacité à modifier le milieu lui-même. C’est sur le mécanisme de ces adaptations évolutives que les théories de Lamarck et Darwin divergeaient radicalement. Le premier expliquait l’évolution biologique -le « transformisme » à l’époque- par un effet direct et héritable du milieu sur les individus (lire La théorie de l’évolution et Lamarck et Darwin : deux visions divergentes du monde vivant). Darwin l’expliquait par la sélection, à partir de variations génétiques aléatoires -la « descendance avec modifications- des individus aptes à laisser le plus de descendants dans un milieu donné. Sa théorie a été vérifiée par plus d’un siècle de recherches. Ce « processus darwinien » favorise les génotypesInformation portée par le génome d’un organisme, contenu dans chaque cellule sous forme d’acide désoxyribonucléique (ADN). Dans la molécule d’ADN, c’est la séquence des nucléotides qui constitue l’information génétique. les plus adaptés à l’environnement et aboutit, au fil des générations, à modifier les espèces.
Dans le texte « Polymorphisme génétique et sélection », Michel Veuille cite le cas de mutations devenues avantageuses dans le contexte environnemental créé par les techniques agricoles et médicales. Mutations qui se sont rapidement installées dans les populations : gènes de résistance aux insecticides chez les insectes, aux antibiotiques chez les bactéries, etc. Il donne aussi l’exemple de la lactase dans l’espèce humaine. Le gène codant cette enzyme, qui permet de digérer le lactose, est actif chez les nourrissons et inactif à l’état adulte. Depuis la pratique de l’élevage au néolithique -il y a environ 10 000 ans-, des variants de ce gène (allèles) qui permettent la synthèse de la lactase même à l’état adulte sont devenus avantageux. Ils se trouvent chez la plupart des peuples à des fréquences variables, mais d’autant plus élevées que la pratique de l’élevage est plus importante (Figure 2) [1]. Cet exemple illustre aussi le fait que, contrairement à une idée très répandue, l’évolution est toujours en cours dans notre espèce. On ne voit d’ailleurs pas pourquoi ni comment il pourrait en être autrement. Quant au mécanisme de la sélection naturelle, que l’on peut présenter de façon imagée comme le « moteur » de l’adaptation et de l’évolution, il est bien souvent mal compris. Le texte « Héritage ou convergence ? Les chemins sinueux de l’évolution des espèces » en parle assez longuement et la présente d’une manière à la fois simple et précise.
3. Mémoire épigénétique
Un troisième niveau d’adaptation se situe entre les deux niveaux précédents. Comme le premier niveau, il est individuel et joue uniquement sur la régulation de l’expression des gènes, sans intervention sur leur structure. Mais ce troisième niveau fait intervenir une transmission héréditaire transitoire de ces régulations. Celle-ci permet aux descendants, sur quelques générations, de bénéficier de la réponse adaptative de leurs parents. On parle alors de mémoire épigénétique ou d’effet transgénérationnel (lire L’épigénétique, le génome et son environnement). Ce type de phénomène est connu depuis longtemps, mais il était resté relativement exceptionnel. Les premiers cas connus concernaient surtout les paramécies, des eucaryotesOrganismes unicellulaires ou multicellulaires dont les cellules possèdent un noyau et des organites (réticulum endoplasmique, appareil de Golgi, plastes divers, mitochondries, etc.) délimités par des membranes. Les eucaryotes sont, avec les bactéries et les archées, un des trois groupes du vivant. unicellulaires. Depuis 2000, les exemples se sont multipliés et portent sur des caractères très variés. Ils ont souvent été observés en réponse à des stress environnementaux, mais aussi dans le cas de comportements maternels chez les rats [2].
Nous citerons deux exemples très similaires qui font le lien avec le texte « Le génome entre stabilité et variabilité ». Il s’agit de d’expériences montrant l’existence de mécanismes de stimulation de cette variabilité par des agents extérieurs. Le premier exemple concerne la drosophilepetite mouche aussi appelée mouche du vinaigre ou mouche des fruits. En raison de sa facilité d’élevage, la drosophile est une espèce modèle dans la recherche en génétique. [3] ; le second, le plus simple à décrire, une plante : l’arabette des dames [4]. Dans ce dernier exemple, des irradiations UV ou l’action de flagelline (un déclencheur des systèmes de défense des végétaux) stimulent la recombinaisonType de recombinaison génétique où les séquences de nucléotides sont échangées entre des molécules d’ADN identiques ou similaires. homologue. Cette stimulation se transmet aux descendants sur quatre générations au moins. Ainsi, la réparation d’éventuelles lésions de l’ADN créées par les agents de stress sera facilitée. Mais en même temps, les variations génomiques seront également accrues. Ce phénomène d’augmentation de la variabilité génétique par des stress environnementaux, déjà bien connu chez les bactéries depuis les années 1980, semble donc généralisable aux plantes et aux animaux, avec effet transgénérationnel. Des travaux de plus en plus nombreux le confirment [5].
A propos de cette mémoire épigénétique, certains auteurs de vulgarisation et même certains scientifiques, parlent de retour au lamarckismeMouvement relatif aux idées de Lamarck. Souvent réduit à l’idée de la transmission des caractères acquis, bien que la théorie transformiste de Jean-Baptiste Lamarck soit bien plus large que cela. (voire au lyssenkismeMouvement relatif aux idées de Lyssenko qui a conduit à la mise en place en URSS d’une politique de contrôle de la génétique et de l’agriculture. De nos jours, le lyssenkisme est régulièrement utilisé métaphoriquement pour dénoncer la manipulation ou la déformation de la méthode scientifique pour soutenir une conclusion pré-déterminée, souvent liée à un objectif social ou politique. !). C’est inapproprié car les changements épigénétiques sont réversibles, ils ne peuvent permettre qu’une adaptation temporaire à des stress. Ne reposant pas sur des changements de l’ADN, ils ne modifient pas la structure génétique de la lignée concernée et un processus de spéciationProcessus évolutif à l’origine de l’apparition de nouvelles espèces vivantes qui s’individualisent à partir de populations appartenant à une espèce d’origine. est donc exclu. Par contre, bien que l’on manque encore d’études sur ce sujet, on peut aisément imaginer que ce type de mémoire transgénérationnelle est complémentaire du processus darwinien. Il permettra à des individus soumis à des stress environnementaux de survivre et de se reproduire en transmettant la protection à leurs descendants. Si le stress disparaît, la réponse s’estompe et la population reprend sa vie antérieure ; s’il persiste, cette réponse permet à la population de se maintenir et lui laisse le temps de s’adapter par le processus darwinien. Le fait que les mécanismes de variation du génome soient stimulés pendant quelques générations facilitera cette adaptation par accroissement de la variabilité génétique.
Références et notes
Photo de couverture : Welwitschia mirabilis du désert du Namib [source : Photo credit: Petr Kosina via Visual hunt / CC BY-NC 2.0]
[1] Leonardi M, Gerbault P, Thomas MG & Burger J (2012) The evolution of lactase persistence in Europe. A synthesis of archaeological and genetic evidence. J. Int. Dairy J. 22, 88–97.
[2] Zhang TY et al. (2013) Epigenetic mechanisms for the early environmental regulation of hippocampal glucocorticoid receptor gene expression in rodents and humans. Neuropsychopharmacology. 38, 111-123.
[3] Laurençon A. et al. (1998) Les variations génétiques et leur régulation : la drosophile a beaucoup à nous apprendre. Med./Sci. N°11, vol. 14, nov. 98. Voir aussi : La science au présent, 2000. Editions Enclyclopædia Universalis, p.148-152.
[4] Molinier J. et al. (2006) Trangenerational memory of stress in plants. Nature 442, 1046-1049.
[5] Boyko A, Kovalchuk I. (2011) Genome instability and epigenetic modification-heritable responses to environmental stress? Curr Opin Plant Biol 14, 260-266.
L’Encyclopédie de l’environnement est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.
Pour citer cet article : BREGLIANO Jean-Claude (10 février 2019), Adaptation : répondre aux défis de l’environnement, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/interactions-adaptation-entre-vivant-environnement/.
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