Symbiose et parasitisme
PDFAucun organisme ne vit seul. Il est en permanence associé plus ou moins étroitement à de nombreux autres organismes, microorganismes en particulier. Leurs interactions peuvent être classées en fonction du degré d’association des organismes impliqués, de la durée de ces interactions et de leur caractère bénéfique (ou non) pour l’un et l’autre des partenaires. Toutes les situations intermédiaires existent, formant un véritable continuum des organismes libres qui ont besoin d’autres organismes pour se nourrir jusqu’aux parasites dont le cycle de vie repose entièrement sur des hôtes bien spécifiques. Symbiose et parasitisme permettent d’illustrer que, au-delà de l’extrême diversité des situations, l’interaction est dans tous les cas essentielle à la vie des partenaires, et souvent à l’origine de l’émergence de propriétés nouvelles des systèmes ainsi constitués. C’est par exemple le cas des microbiotes associés à chacun des êtres vivants. Mais c’est aussi le cas d’organismes modifiés par les parasites qui les infectent et vont jusqu’à perturber le comportement des hôtes contaminés en comparaison des individus sains.
1. Quels types d’interactions entre organismes vivants ?
Le réseau d’interactions et d’interdépendances qui existe entre des milliards d’organismes au sein de la biosphèreEspace de vie où se trouve l’ensemble des écosystèmes de la Terre, correspondant à la mince couche de l’atmosphère, de l’hydrosphère et de la lithosphère où la vie est présente. Cet espace vivant dynamique est entretenu par un apport d’énergie (essentiellement dû au soleil) et le métabolisme des organismes vivants en interaction avec leur environnement. est un niveau d’organisation du Vivant fondateur du concept de biodiversité (lire Qu’est-ce que la biodiversité ?). Ces interactions sont le plus souvent à bénéfices réciproques et leur rôle dans la physiologie et l’adaptation des organismes est essentiel. Par exemple, bien des animaux ne digèrent pas sans l’aide des bactéries de leur tube digestif, la plupart des plantes ne peuvent exploiter le sol qu’à l’aide de champignons colonisant leurs racines, qu’elles nourrissent en retour [1].
Mais il n’en est pas toujours ainsi : les interactions entre deux organismes peuvent être classées en fonction de leur caractère bénéfique, néfaste ou neutre pour l’un et l’autre des partenaires. Ainsi, peuvent être distinguées :
– des interactions bénéfiques pour l’un des partenaires et néfastes pour l’autre (prédation, parasitisme),
– des interactions bénéfiques pour l’un et neutres pour l’autre (commensalisme),
– et des interactions à bénéfices réciproques (mutualisme).
De plus, toutes les situations intermédiaires existent, en un véritable continuum de types d’interaction (Figure 1) [2]. Elles peuvent également être classées en fonction de leur caractère instantané (prédation) ou durable (parasitisme, mutualisme, etc.), ainsi que d’après le degré d’association entre les partenaires [2].
Étymologiquement, le terme de symbiose désigne « la vie en commun d’organismes d’espèces distinctes ». Cette définition large désigne une coexistence durable, impliquant tout ou partie du cycle de vie des deux organismes, quels que soient les échanges entre ceux-ci. Une définition plus restrictive réserve le terme de symbiose aux coexistences durables et mutualistes (partie rouge sur la Figure 1).
2. Les symbioses mutualistes
Les bénéfices des symbioses sont souvent trophiquesAdjectif relatif à la nutrition d’un individu, d’un tissu vivant. Concerne les relations entre espèces (relations prédateur-proie notamment), les cycles et flux d’énergie et de nutriments au sein des écosystèmes entre producteurs, consommateurs et décomposeurs. Le niveau de base de ce réseau est celui de la production primaire autotrophe, au-dessus de ce niveau, chaque maillon d’une chaîne alimentaire correspond à un niveau trophique., lorsque l’un des partenaires accède à une ressource dont l’autre est privé, ou qui lui est limitante [2]. Nombre de symbioses impliquent ainsi des autotrophesQualifie un organisme qui produit de la matière organique à partir de la réduction de matière inorganique et d’une source d’énergie externe : lumière (organisme photoautotrophe) ou réactions chimiques (organisme chimioautotrophe). : dans les lichensOrganismes issus d’une symbiose entre un champignon et une algue. L’algue synthétise la matière organique à partir du dioxyde de carbone (CO2) de l’air et du rayonnement solaire (photosynthèse). En contrepartie, le champignon prélève dans le milieu l’eau et les sels minéraux indispensables à la symbiose lichénique. (Figure 2A) ou les mycorhizesAssociation symbiotique entre les racines des plantes et des champignons du sol. Elles concernent plus de 95% des plantes terrestres. Elles donnent aux plantes un meilleur accès aux éléments nutritifs du sol et les aide à mieux résister aux stress environnementaux. (Figure 2B), un partenaire photosynthétique -algue ou plante respectivement- nourrit un champignon qui en retour exploite de l’eau et des sels minéraux du milieu, pour lui et son partenaire (lire Les lichens, de surprenants organismes pionniers). Des organismes hétérotrophesQualifie des organismes (animaux, champignons, quelques plantes, procaryotes) incapables de synthétiser eux-même leurs composants à partir de molécules minérales simples (CO2…) et qui recourent donc à des sources de matières organiques exogènes produites initialement par des organismes autotrophes. établissent aussi des liens trophiques. Par exemple, la Néottie (Neottia nidus-avis, Figure 2C) ou la Monotrope (Monotropa hypopitys) sont des plantes non-chlorophylliennes qui renversent la relation mycorhizienne habituelle en exploitant le carbone de leurs champignons mycorhiziens, donc, indirectement celui des autres plantes voisines liés à ces champignons [3]. De la même manière, plusieurs groupes d’insectes coloniaux, fourmis et termites, ont mis en place des symbioses avec des champignons qu’ils nourrissent dans leurs nids en collectant la biomasse végétale hors du nid (Figure 2D). Ces insectes consomment une partie du mycélium du champignon, qu’ils peuvent digérer, alors qu’ils sont incapables de digérer la biomasse végétale (lignine en particulier).
Des bactéries endosymbiotiquesCaractérise une association symbiotique où l’un des organismes, appelé endosymbionte, est présent à l’intérieur des cellules de son hôte. sont très fréquentes chez les insectes, et complémentent la nutrition souvent spécialisée de ceux-ci [5]. Par exemple, les hémiptères suceurs de sève (pucerons) subissent une carence en acides aminés essentiels, compensée par des bactéries endosymbiotiques qui les synthétisent.
La symbiose peut protéger contre les agressions du milieu, en particulier quand un des partenaires vit à l’intérieur de l’autre. Dans les mycorhizes, le champignon est souvent protégé dans la racine (où il stocke ses réserves, dans le cas de certaines endomycorhizes), mais il peut aussi protéger la racine lorsqu’il forme un manchon autour de la racine (ectomycorhizes). Un champignon du genre Neotyphodium (Figure 2E) vit en symbiose à l’intérieur de la fétuque élevée (Festuca arundinacea) qu’il protège des herbivores en secrétant des alcaloïdes toxiques pour les insectes et les mammifères. Ces derniers évitent alors les zones herbeuses ainsi protégées. De son coté, le champignon se propage de génération en génération en colonisant les graines [4].
La protection est parfois le seul bénéfice obtenu, comme dans les symbioses nettoyeuses des écosystèmes coralliens, où un petit animal (poisson ou crevette) nettoie la peau et/ou les cavités de l’autre, éliminant des débris et des petits parasites (Figure 3). Cependant, certaines anémones de ces récifs grandissent plus vite, ont de plus grandes chance de survie et présentent une plus grande densité de Zooxanthelles (algues symbiotiques unicellulaires vivant au sein des anémones de mer) lorsqu’elle sont fréquentées par des poissons. Cette augmentation des performances des anémones est le fruit d’un transfert de nutriments du poisson à l’anémone, qui exploite l’urine du premier comme source d’azote et de phosphate [5]. Ces observations démontrent que les poissons-clowns contribuent à nourrir l’anémone de mer et que les algues symbiotiques de celles-ci bénéficient de cet apport [6].
D’autres bénéfices reposent sur la capacité d’un des partenaires à se déplacer (pollinisation par les abeilles, dispersion des graines par les fourmis ou les oiseaux). Au bilan, des associations au fonctionnement semblable ont été mises en place plusieurs fois au cours de l’évolution. De telles convergences sont illustrées par la diversité des insectes cultivant des champignons (fourmis, termites, coléoptères) et des eucaryotesOrganismes unicellulaires ou multicellulaires dont les cellules possèdent un noyau et des organites (réticulum endoplasmique, appareil de Golgi, plastes divers, mitochondries, etc.) délimités par des membranes. Les eucaryotes sont, avec les bactéries et les archées, un des trois groupes du vivant. abritant des algues photosynthétiques dans leurs cellules (comme l’apparition des chloroplastesOrganites du cytoplasme des cellules eucaryotes photosynthétiques (plantes, algues). Site de la photosynthèse, les chloroplastes produise du dioxygène O2 et jouent un rôle essentiel dans le cycle du carbone : ils utilisent l’énergie lumineuse pour fixer le CO2 et synthétiser de la matière organique. Ils sont ainsi responsables de l’autotrophie des végétaux. Les chloroplastes sont le fruit de l’endosymbiose d’un procaryote photosynthétique (de type cyanobactérie) au sein d’une cellule eucaryote, il y a environ 1,5 milliard d’années. au sein de la cellule eucaryote) (lire Symbiose et évolution). Tous les organismes ont eu l’occasion de contracter, au cours de leur évolution, une ou plusieurs symbiose(s) mutualiste(s). C’est en particulier vrai pour des organismes multicellulaires de grande taille, qui constituent un écosystème pour les organismes microscopiques. La rhizosphère (le sol entourant la racine des plantes) ou le tube digestif des animaux sont ainsi des niches microbiennes majeures, peuplées de milliers d’espèces pour chaque individu-hôte, dont certains occupants sont favorables à l’hôte. En conséquence, chaque organisme possède un cortège de symbiotes, surtout développé chez les multicellulaires.
3. Propriétés émergentes de la symbiose
En plus de l’addition des capacités des partenaires, la symbiose mutualiste exprime certaines propriétés que n’ont pas les partenaires séparés. Au plan morphologique d’abord, la symbiose crée des structures qui n’existent pas hors de l’association : c’est le cas -chez certaines plantes comme les légumineuses- des nodosités (Figure 4 A et B), organes induits par la colonisation bactérienne dont l’anatomie diffère des racines (absence fréquente de méristème terminal, vaisseaux conducteurs de sève périphériques, etc.). La structure des bactéries aussi est modifiée par le fait de vivre dans la cellule : perte des flagelles, de la paroi, taille accrue (comme dans les nodosités, Figure 4 C). On parle alors de « bactéroïdes » pour désigner cette morphologie modifiée due à de petites protéines injectées par la plante dans les bactéries.
D’autres émergences sont fonctionnelles. Dans l’exemple des nodosités (Figure 4 D), le bactéroïde utilise de l’énergie qu’il obtient de sa respiration pour réduire, grâce à la nitrogénaseComplexe enzymatique propre à certains procaryotes qui catalyse la séquence complète des réactions au cours desquelles la réduction de diazote N2 conduit à la formation d’ammoniac NH3. Cette réaction s’accompagne d’un phénomène d’hydrogénation., l’azote atmosphérique en ammonium, qui sert de source d’azote à la plante (et au bactéroïde). Réciproquement, la plante lui fournit du carbone et un approvisionnement en oxygène. Il faut de l’oxygène pour la respiration, mais la nitrogénase est inactivée par l’oxygène : cette contradiction explique qu’un rhizobiumBactérie aérobie du sol pouvant créer des symbioses avec les légumineuses. Ces bactéries se trouvent au sein de nodosités où elles vont fixer et réduire l’azote atmosphérique, qui sera alors assimilable par la plante. En échange les plantes apportent des substrats carbonés aux bactéries. libre dans le sol est incapable de fixer de l’azote. En revanche, dans la nodosité, l’oxygène ne diffuse pas librement, mais est capté par une protéine de la cellule-hôte, la leghémoglobine [7]. Située autour du bactéroïde, la leghémoglobine protège la nitrogénase des effets de l’oxygène qui l’inactive et constitue une réserve d’oxygène pour la respiration des bactéries. La fixation de l’azote n’est donc réalisée que dans la nodosité (lire Des plantes qui vivent de l’air du temps).
De nombreux autres traits fonctionnels sont induits par la symbiose, comme certains effets protecteurs qui reposent sur l’induction de défenses du partenaire, tolérées par le symbiote mais nocives pour des pathogènes. Les champignons mycorhiziens induisent par exemple l’accumulation de tanins protecteurs au niveau racinaire qui sont responsables de l’induction d’un niveau de défense et de réactivité accru dans toute la plante, parties aériennes comprises. Ainsi, la plante mycorhizée réagit plus vite et plus fortement à un herbivore ou un parasite qu’une plante contrôle non-mycorhizée. Chez les lichens, l’algue induit la synthèse par le champignon de métabolites secondaires qui ont un rôle protecteur contre les forts éclairements et contre les herbivores.
Globalement, le phénotypeEnsemble des caractères observables d’un individu. de l’organisme résulte donc aussi de ses symbiotes, soit par l’addition des capacités de ceux-ci, soit parce que ceux-ci le modifient. Le phénotype est donc plus que ce que code le génome. Les symbiotes et leurs gènes constituent une partie de ce que Dawkins [8] qualifie de « phénotype étendu », c’est-à-dire l’ensemble des éléments recrutés dans le milieu et qui modifient le phénotype d’une espèce. Chez l’homme par exemple, le tube digestif comporte de très nombreuses espèces bactériennes et archéennes (Figure 5) : l’analyse métagénomique appliquée à notre intestin a montré que ce dernier recèle près de 100 000 milliards de micro-organismes, soit dix fois plus que nos propres cellules ! C’est le microbiote.
Le microbioteEnsemble des microorganismes (bactéries, levures, champignons, virus) vivant dans un environnement spécifique (appelé microbiome) chez un hôte (animal ou végétal). Un exemple important est l’ensemble des microorganismes vivant dans l’intestin ou microbiote intestinal, anciennement appelé « flore intestinale ». intestinal est indispensable au bon fonctionnement de son hôte humain, non seulement au niveau de la digestion ou de la fabrication de vitamines, bien sûr, mais aussi pour le métabolisme, l’immunité… ou bien encore pour le système nerveux. Les déséquilibres de la flore intestinale sont aujourd’hui suspectés d’être à l’origine d’une kyrielle de pathologies : obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, allergies, maladies inflammatoires, voire l’autisme [2],[7]. Les microbiotes humains ne se limitent pas au tube digestif : les programmes internationaux de métagénomique ont permis d’identifier les gènes provenant de très nombreux microrganismes symbiotiques vivant dans la bouche, le nez, le vagin ou sur la peau (Figure 5) (lire Les microbiotes humains : des alliés pour notre santé).
Le microbiote est capable de moduler les interactions entre un hôte et ses parasites/pathogènes (Figure 6). L’action du microbiote peut être directe (compétition) ou indirecte à travers son action sur la mise en place, la maturation et le fonctionnement du système immunitaire. On sait, par l’étude de souris élevées en milieu axéniqueCaractérise une culture (de cellules procaryotes ou eucaryotes, de tissus, d’organismes vivants) exempte de tous germes saprophytes ou pathogènes., que le développement du système nerveux et même le comportement sont en partie influencés par le microbiote !
Il a donc été proposé que l’unité pertinente pour la biologie ou pour l’évolution soit moins l’organisme que le cortège symbiotique : on parle d’holobionteDésigne l’unité biologique composée de l’hôte (plante ou animal) et de tous ses microorganismes. pour dénommer cette entité plus pertinente au regard de l’importance des interactions biotiques [11].
4. Le parasitisme, une réussite évolutive
Si l’un des partenaires de la symbiose découvre le moyen d’utiliser efficacement l’autre, il en devient alors un parasite. Il existe en effet un continuum entre symbiose et parasitisme [5]. Le parasite exploite des ressources fournies par un autre individu non apparenté, l’hôte, au détriment de celui-ci. Le parasitisme est une interaction durable avec un hôte, contrairement à la prédation au cours de laquelle l’interaction ne dure guère que le temps de la capture et de la digestion. Cela dit, d’un point de vue évolutif, on peut dire que la prédation n’est qu’une forme extrême de parasitisme. Il existe des parasites tuant lentement leur hôte. C’est le cas de champignons parasites de plantes (Mildiou, Armillaires, Amadouviers, etc…) qui achèvent leur cycle de vie sur les tissus morts. Lorsqu’un guépard se saisit d’une antilope, il y a échange d’énergie et d’énergie seulement. Dans les systèmes parasites-hôtes où l’hôte survit (on parle de parasitisme biotrophe), la durée de l’interaction est tout autre : les deux organismes vivent alors ensemble, souvent l’un dans l’autre, parfois cellule dans cellule ou même génome dans génome. Les informations génétiques de chacun des partenaires s’expriment ainsi côte à côte et durablement dans une portion d’espace minuscule [11].
Tous les êtres vivants sont concernés par le parasitisme en tant qu’hôte ou parasite (Figure 7). Parmi les espèces connues, 30 % des quelques 2 millions d’espèces eucaryotes seraient des parasites [12]. La parasito-fauneEnsemble de la faune parasite d’un organisme. la mieux connue est celle de l’homme. Elle consiste en 179 espèces de parasites, parmi lesquelles 35 paraissent spécifiques d’Homo sapiens [13]. Cette image peut être aggravée par l’hyperparasitisme (parasites de parasites), un phénomène répandu chez les arthropodes parasites et parasitoïdesOrganisme qui se développe sur ou dans un organisme « hôte » dans un processus à deux phases : il est tout d’abord biotrophe puis prédateur, ce qui conduit à la mort finale de l’hôte. [14]. Des estimations récentes suggèrent que le monde des virus, qui parasitent les cellules en détournant leur fonctionnement vers la production de nouvelles particules virales, a été profondément sous-estimé. Ils sont présents dans tous les écosystèmes et constitueraient les entités génétiques les plus abondantes et diversifiées du vivant [15].
- Vidéo « Comment le SARS-CoV-2 transforme une cellule en usine à virus » (© 2020 Diffusonslascience.fr)
Pour les évolutionnistesPartisans de l’évolutionnisme, pensée selon laquelle les espèces évoluent au cours des âges., les modèles hôtes-parasites suscitent d’innombrables questions, relatives au parasitisme lui-même, aux dynamiques évolutives de leurs interactions, ainsi qu’aux conséquences évolutives sur les espèces hôtes. Le rôle joué par les parasites sur le monde des espèces libres est en effet énorme. Le succès du mode de vie parasitaire ne s’est jamais démenti pendant toute la durée de l’évolution car un hôte offre, à tout organisme qui sait l’exploiter, non seulement habitat et nourriture mais aussi un moyen efficace de dispersion. Si, dans le passé, les travaux ont surtout considéré les effets directs des pathogènes sur la fécondité et la survie de leurs hôtes, les recherches actuelles illustrent des conséquences sur des traits aussi divers que le comportement, les processus de sélection ou l’histoire de vie, pour ne citer qu’eux.
Comme pour tout organisme vivant, les traits biologiques des parasites sont soumis à des pressions de sélection exercées par leur environnement. La taille du corps au stade adulte est de loin le trait le plus important, puisqu’il peut déterminer la valeur des autres caractères clés (longévité ou fécondité). Mais les parasites sont susceptibles d’ajuster leur développement si les conditions de croissance (alimentation de l’hôte, compétition intraspécifiqueTerme qui décrit les relations qui s’établissent entre des individus appartenant à une seule et même espèce. et interspécifiqueTerme qui décrit les relations qui s’établissent entre des individus appartenant à des espèces différentes.) ne sont pas optimales. Par ailleurs, la taille maximale d’un parasite reste limitée par l’espace disponible sur l’hôte ou à l’intérieur de l’hôte (Figure 7). Enfin, il existe en général un dimorphisme sexuelEnsemble des différences morphologiques plus ou moins marquées entre les individus mâle et femelle d’une même espèce. dans la taille adulte des parasites : les femelles sont souvent bien plus grosses que les mâles.
5. Les cycles parasitaires
Le cycle parasitaire est la suite des transformations subies par un parasite au cours de sa vie pour assurer sa reproduction, dans les diverses niches écologiques qu’il occupe : hôte(s), milieu extérieur. Si de nombreuses espèces de parasites ont des cycles simples, exploitant une seule espèce d’hôte, d’autres exploitent successivement plusieurs espèces d’hôtes : cela permet des relais saisonniers, ou de multiplier les formes infectieuses, car le taux de succès de colonisation des hôtes est souvent faible. La complexification des cycles est apparue plusieurs fois indépendamment au cours de l’évolution. Parmi les records de complexité, on peut citer le cas du trématode Halipegus ovocaudatus dont le cycle comporte 4 hôtes obligatoires : un mollusque, un crustacé copépode, une larve de libellule et une grenouille. A côté de ces situations extrêmes, on trouve des cycles complexes à deux ou trois hôtes, notamment chez les helminthesTerme générique rassemblant divers types de vers en général parasites : les vers ronds (nématodes), les vers à trompe épineuse (acanthocéphales – vers « à tête épineuse») et les vers plats (plathelminthes : cestodes et trématodes). ou les rouilles (des champignons pathogènes). À côté des complexifications de cycles simples, il y a également au cours de l’évolution des simplifications secondaires de cycles complexes.
La figure 8 décrit l’exemple d’un cycle parasitaire à deux hôtes, celui de l’agent causal de la Malaria, Plasmodium falciparum, qui infecte successivement un moustique du type Anophèle et l’Homme (lire Focus Plasmodium falciparum). Au cours de son cycle de vie, le Plasmodium présente des formes extrêmement variées. Après avoir été introduit chez l’Homme via une piqure de moustique infecté, le Plasmodium migre très rapidement dans les cellules du foie, via la circulation sanguine, et se multiplie intensément sans provoquer de symptômes. Dans certains cas, le parasite peut persister dans le foie sous une forme latente, provoquant des récidives de crises de paludisme des années après la première infection. Ensuite, les milliers de parasites formés sortent des cellules du foie et colonisent les globules rouges où ils se multiplient, puis détruisent les cellules infectées avant d’en infecter de nouvelles. C’est au cours de cette phase qu’apparaissent les symptômes.En piquant une personne malade, un moustique Anophèle ingère des formes mâles et femelles du Plasmodium présentes dans le sang. Les parasites se reproduisent dans le tube digestif de l’insecte, et passent ensuite dans ses glandes salivaires, d’où ils pourront infecter d’autres personnes à l’occasion d’une prochaine piqûre.
Lorsqu’ils sont infectés par plasmodium, les moustiques changent de comportement : ils deviennent plus actifs, plus agressifs et piquent plus de personnes, augmentant ainsi leur probabilité de transmission [2]. Ces changements semblent être synchronisés avec le développement du parasite (e.g. diminution du taux de piqûres des moustiques lorsque le parasite est immature, et augmentation lorsque le parasite a rejoint le stade transmissible). Une fois chez l’hôte vertébré, ces mêmes parasites semblent capables de modifier les odeurs des hôtes afin de les rendre plus attractifs pour les moustiques vecteurs. Cette modification du comportement des hôtes après infection est un exemple caractéristique de manipulation parasitaire [2].
6. Les manipulations parasitaires
Certains parasites sont en effet capables de modifier de façon notable la physiologie, la morphologie ou encore le comportement de leur hôte avec pour conséquence l’augmentation de leur probabilité de transmission. Cette stratégie d’exploitation de l’hôte est à présent décrite dans de nombreux systèmes hôtes-parasites phylogénétiquementAdverbe décrivant le résultat d’une analyse des relations de parentés entre les êtres vivants. éloignés. Les modifications phénotypiquesCaractérise un trait ou caractère d’un organisme vivant (aspects anatomique, physiologique, moléculaire ou comportemental), qui peut être analysé. chez les hôtes infectés sont généralement considérées comme une illustration du concept de phénotype étendu [18]. Ces changements phénotypiques correspondent en fait à l’expression des gènes du parasite et à l’effet des protéines correspondantes sur le phénotype de l’hôte. Selon cette idée, ces modifications induites sont adaptatives pour le parasite et non pour l’hôte.
La figure 9 présente quelques exemples de la diversité des manipulations parasitaires. Le parasite va souvent manipuler l’hôte afin que ce dernier prenne soin de sa progéniture :
- Après que la larve de la guêpe parasitoïde Dinocampus coccinellae soit sortie de l’abdomen de la coccinelle parasitée, puis se soit transformée en cocon, la coccinelle va s’en occuper et protéger le cocon jusqu’à l’émergence de la guêpe (Figure 9 A).
- La guêpe Glyptapanteles pond des d’œufs à l’intérieur de la chenille du papillon Thyrinteina leucocerae qui va changer de comportement après l’éclosion des œufs et leur transformation en pupe : elle arrête de se nourrir, devient immobile, et protège les pupes contre les prédateurs jusqu’à leur éclosion (Figure 9 C).
Certaines manipulations sont encore plus extrêmes :
- En envahissant une fourmi de la forêt brésilienne, le champignon Ophiocordyceps camponoti-rufipedis (Figure 9 B) en manipule le comportement en prenant le contrôle de son « cerveau », conduisant la fourmi à grimper au sommet d’une plante où les conditions (lumière, humidité) sont favorables au développement du champignon. Une fois la fourmi fermement cramponnée à la tige, le champignon la tue et prolifère tranquillement : les spores produites sont alors facilement dispersées au gré du vent.
- Une stratégie un peu semblable est mise en œuvre dans le cas de l’escargot Succinea putris infecté par le parasite Leucochloridium paradoxum. Ce dernier se loge dans les antennes de l’escargot qui vont prendre l’aspect et les mouvements d’un ver, devenant une proie d’autant plus repérable pour les oiseaux que le comportement de l’escargot est aussi modifié car il a tendance à quitter la protection de la végétation. Le cycle de vie du parasite se poursuit dans l’oiseau qui a mangé l’escargot et dont les fientes permettent la dissémination des œufs du parasite (Figure 9 E).
- De son côté, la sacculine (Sacculina carcini), un petit crustacé parasite du crabe, colonise son hôte, modifie son équilibre hormonal et l’empêche de se reproduire, sa seule fonction étant de nourrir le parasite (Figure 9 F). Après la fécondation de la sacculine, le crabe s’occupera des œufs du parasite comme si c’était les siens…
Certaines manipulations par des parasites conduisent l’hôte à avoir un comportement suicidaire. Un cas bien décrit est celui de vers nématomorphesVers non-segmentés, au corps cylindrique, extrêmement longs et fins (en moyenne de 0.5 à 2,5 mm de diamètre pour 10 à 70 cm de longueur). Aussi appelés vers gordiens à cause de l’impression qu’ils donnent de faire des nœuds compliqués avec leur corps., dont la forme adulte vit dans l’eau et ressemble à une sorte de fil. L’hôte est en général un insecte terrestre, par exemple une sauterelle (Figure 7 H) qui héberge la forme larvaire. Le ver devenu adulte doit rejoindre le milieu aquatique pour se reproduire. Pour cela, il manipule le comportement de l’hôte, obligeant ce dernier à se jeter dans l’eau. Il peut alors, grâce cette noyade finale, rejoindre le milieu dans lequel il boucle son cycle de vie. Ce type de comportement suicidaire peut être néanmoins avantageux pour les semblables d’un hôte infecté, car il permet de réduire les risques de contamination. C’est le cas de la fourmi parasitée par Ophiocordyceps (figure 9B) qui est alors reconnue comme telle et rejetée de la fourmilière par ses congénères.
Dans quelques cas concernant les végétaux, le déterminisme de la manipulation est un peu mieux connu. Il révèle un mécanisme étonnamment convergent chez des champignons et des bactéries pathogènes, mais aussi des nématodesVers ronds, non segmentés. Certains mènent une vie « libre » (dans les sols, l’eau, etc.). D’autres ont une vie parasitaire, au sein d’organismes fongiques, végétaux ou animaux. parasites de plantes. Ils provoquent des déformations racinaires où ils s’abritent se nourrissent, ce qu’on appelle des galles. Les génomes de ces organismes codent une multitude de petites protéines (ou peptides) sécrétées, qui modifient le fonctionnement d’autres protéines de l’hôte. On parle d’effecteurs : certains pénètrent dans les cellules de l’hôte, et réorganisent le métabolisme ou altèrent les réactions de défense… Parfois, ils agissent au niveau du noyau de la cellule et sont responsables de modifications de l’expression génétique. Il est probable que ces mécanismes jouent aussi dans d’autres types de parasitisme : on les retrouve même chez des champignons mycorhiziens. Ceci suggère que les peptides sécrétés pourraient contribuer aux modifications observées dans les symbioses mutualistes – soulignant une fois encore l’existence de similitudes de mécanismes entre symbiose mutualiste et parasitisme.
Au-delà de l’aspect spectaculaire et fascinant que recouvre les manipulations parasitaires, certains des pathogènes impliqués sont à l’origine de nombreuses pertes de récoltes, mais aussi de graves maladies, notamment des maladies à transmission vectorielle telles que le paludisme évoqué plus haut, la dengueInfection virale transmise par les moustiques qui sévit dans les régions tropicales et subtropicales du monde entier. Provoque un syndrome de type grippal pouvant évoluer vers des complications potentiellement mortelles. Il n’existe pas de traitement spécifique pour la dengue., les trypanosomiasesInfections dues aux parasites trypanosomes. ou les leishmaniosesMaladies parasitaires provoquant des affections cutanées ou viscérales très invalidantes, voire mortelles si elles ne sont pas traitées. Elles sont dues à différents parasites du genre Leishmania, transmis par la piqûre d’insectes communément appelés phlébotomes., et représentent ainsi des problèmes majeurs de santé publique [19].
Références et notes
Photo de couverture : © Jenny Huang from Taipeh (CC BY 2.0) via Wikimedia Commons
[1] Selosse M.A. (2000). La Symbiose. Vuibert, Paris.
[2] Lefèvre T., Renaud F., Selosse M.-A., Thomas F. (2010). Chapitre 14, Évolution des interactions entre espèces, in F. Thomas, T. Lefèvre & M. Raymond (ed.), Biologie évolutive, p. 555-653. De Boeck, Paris.
[3] Selosse MA & Roy M (2012) Les plantes qui mangent des champignons… Dossier Pour la Science « Les végétaux insolites » 77: 102-107
[4] Selosse MA, Gilbert A (2011) Des champignons qui dopent les plantes. La Recherche 457, 72-75.
[5] Cleveland A., Verde E.A. & Lee R.W. (2011) Nutritional exchange in a tropical tripartite symbiosis: direct evidence for the transfer of nutrients from anemonefish to host anemone and zooxanthellae, Marine Biology, 158: 589–602
[6] Corbara B http://www.especes.org/#/1-menage-a-trois/4541755
[7] Leghémoglobine. Protéine fixatrice de dioxygène, de structure très proche de l’hémoglobine du sang. Présente dans les nodosités des légumineuses,elle protège le complexe enzymatique (nitrogénase/hydrogénase) des effets du dioxygène qui l’inactive et constitue une réserve d’oxygène pour les bactéries (activité aérobie).
[8] Dawkins R. (1982) The extended phenotype. Oxford University Press, Oxford.
[9] Morgan X.C., Segata N. & Huttenhower C. (2013) Biodiversity and functional genomics in the human microbiome, Trends Genet. 29, 51–58
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[11] Selosse M.A. (2016) Au delà de l’organisme : l’holobionte. Pour la Science, 269, 80-84.
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[12] De Meeûs T. & Renaud F. (2002). Parasites within the new phylogeny of eukaryotes.Trends in Parasitology 18, 247-251.
[13] De Meeûs T., Prugnolle F. & Agnew P. (2009). Asexual reproduction in infectious diseases. In Lost Sex, Schön I, Martens K & van Dijk P eds, Springer, NY., p. 517-533.
[14] Parasitoïde : organisme qui se développe sur ou dans un organisme « hôte » dans un processus à deux phases : il est tout d’abord biotrophe puis prédateur, ce qui conduit à la: mort finale de l’hôte.
[15] Hamilton G. (2008). Welcome to the virosphere.New Scientist 199, 38-41.
[16] Source http://www.archive.org/stream/traitzoologiqu00brem#page/n613/mode/2up
[17] Zheng et al. (2011) Genome sequence of the insect pathogenic fungus Cordyceps militaris, a valued traditional Chinese medicine. Genome Biology 12: R116
[18] Dawkins R. (1976) The selfish gene. Oxford University Press.
[19] Lefèvre T. & Thomas F. (2008) Behind the scene, something else is pulling the strings: Emphasizing parasitic manipulation in vector-borne diseases. Infection, Genetics and Evolution 8, 504–519.
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Pour citer cet article : SELOSSE Marc-André, JOYARD Jacques (11 février 2022), Symbiose et parasitisme, Encyclopédie de l’Environnement. Consulté le 21 novembre 2024 [en ligne ISSN 2555-0950] url : https://www.encyclopedie-environnement.org/vivant/systemes-symbiotiques-parasites/.
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