| Focus 3/5 | Quelles réponses de la biodiversité aux changements globaux ?

Adaptations à l’anthropisation des habitats

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Moustique tigre adaptation anthropisation
Figure 1. Moustique tigre, Aedes albopictus. Originaire d’Asie tropicale, le Moustique tigre Aedes albopictus est une espèce généraliste très féconde et mobile, qui s’est adaptée aux us et coutumes de l’espèce la plus ubiquiste parmi les mammifères qu’elle parasite : Homo sapiens. Pondant ses œufs dans toutes sortes de contenants d’eau stagnante (flaques et récipients divers, dont canettes abandonnées et pneus usagés), résistante à de nombreux insecticides, l’espèce vectrice est en expansion depuis quelques décennies en Europe, Afrique et Amérique, portée par les flux de marchandises internationaux (pneus). Au fil de leur expansion géographique et écologique, les populations sont devenues vectrices de diverses maladies infectieuses ou parasitaires, dont les agents (virus, bactéries, protistes…) sont inoculées dans le sang des hôtes par la piqûre des femelles : fièvre jaune, dengue, Zika, Chikungunya… [Source : James Gathany, CDC, Public domain, via Wikimedia Commons]
Depuis plus de 50 ans, les « expériences » involontaires à vaste échelle de l’industrie et de l’agriculture confirment le potentiel d’adaptation génétique des espèces prolifiques (de type ‘r’) confrontées à l’anthropisation et à la modification chimique (pollution) de leurs habitats. Ainsi la résilience après décimation des populations de moustiques et leur adaptation (résistance génétique) au DDT, dans les années 1970, est bien connue [1] ; l’adaptation génétique des « mauvaises herbes » et autres plantes à fleurs à divers herbicides l’est plus encore, de même que celle des champignons parasites de plantes cultivées (tels la rouille du blé, le charbon du maïs, le cycloconium des oliviers…) aux fongicides, ou encore celle d’insectes phytophages (dont le Phylloxera de la vigne, la Pyrale du maïs…) aux insecticides (Voir : L’adaptation des organismes à leur environnement).

Choquemort adaptation habitat contaminé
Figure 3. Choquemorts (Fundulus heteroclitus) en aquarium. [Source : NOAA, Public domain, via Wikimedia Commons]
Plus récemment, des écologues ont mis en évidence l’adaptation génétique de populations de lombrics (Lumbricus rubellus) à la pollution des sols par les métaux [2]. De la même manière, bien que moins résilientes et diversifiées que les populations de moustiques, des populations de poissons, tel le Choquemort Fundulus heteroclitus, se sont adaptées à la contamination de leur habitat par les PCB [3].

 

Cependant, le potentiel d’adaptation génétique des espèces très abondantes et fécondes aux changements de leurs conditions de vie, et en particulier à la pollution chimique de leurs habitats, n’est pas illimité. Ainsi, le déclin d’espèces d’insectes pollinisateurs (abeilles et bourdons, papillons, coléoptères,..) observé dans les régions d’agriculture intensive depuis plusieurs décennies n’est pas uniquement le fait d’espèces spécialistes [4], [5] ; il concerne aussi certaines espèces généralistes très abondantes avant la « révolution verte », telles que l’Abeille domestique, dont les effectifs ont chuté de plus de 60% en 60 ans [6] et dont les populations ne semblent pas près de s’adapter à la raréfaction des fleurs (plantes messicoles) qu’elles butinent ni à la toxicité croissante des pesticides systémiques (e.g. néonicotinoïdes) répandus dans les champs.

Renard roux apprentissage innovation
Figure 4. Renard roux urbain, tirant sur une chaîne accrochée à la porte de l’enclos d’un lapin de compagnie… très probablement pour ouvrir cette porte, et accéder au pensionnaire ! [Source : User Oosoom on en.wikipedia, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons]
Parmi les vertébrés, de nombreuses espèces de poissons ont réagi génétiquement à la pression de pêche par une reproduction plus précoce, qui permet aux adultes de passer entre les mailles du filet. Diverses espèces de passereaux, au taux de croissance démographique intrinsèque relativement élevé, se sont adaptées à la vie en ville au plan génétique. Ainsi le chant des mésanges charbonnières a changé de fréquence, en réponse au bruit de fond du trafic urbain. Les merles noirs quant à eux se sont adaptés aux lumières artificielles nocturnes des villes par un moindre stress.

Rappelons par ailleurs que toutes les espèces d’oiseaux et de mammifères peuplant les villes et autres milieux anthropisés depuis des siècles s’y sont nécessairement adaptées (au moins) au plan comportemental, faisant preuve de grandes capacités d’innovation ou/et d’apprentissage par imitation. Parmi les espèces généralistes et mobiles faciles à observer, citons les goélands argentés et mouettes rieuses, deux espèces « d’oiseaux de mer » ubiquistes qui trouvent aujourd’hui leur pitance non seulement en prospectant le littoral à la recherche de petites proies et cadavres (petits crustacés, mollusques, poissons..), comme le faisaient leurs ancêtres, mais aussi en suivant les bateaux de pêche ou en les attendant au port pour se nourrir sur les quais des poissons rejetés, en capturant les lombrics émergés dans les champs à l’époque des labours, en inspectant les poubelles des villes et villages (à l’instar des chats, rats, chiens et renards) ou en se nourrissant de déchets organiques dans les décharges d’ordures.

 


Notes et références

Image de couverture. Goéland argenté urbain. [Source : © Anne Teyssèdre]

[1] Liu N., 2015. Insecticide resistance in Mosquitoes : impacts, mechanisms and research directions. Annu. Rev. Entomol. 2015. 60:537–59.

[2] Anderson C. et al., 2017. Genetic variation in populations of the earthworm, Lumbricus rubellus, across contaminated mine sites. BMC Genetics. 18: 97-109.

[3] Nacci D.E, D. Champlin & S. Jayaraman, 2010. Adaptation of estuarine Fish Fundulus heteroclitus to polyclholorinated biphenyls (PCB). Estuaries and coasts 33 : 853-864.

[4] Biesmeijer J.C., Roberts S.P.M., Reemer, M. et al., 2006. Parallel declines in pollinators and insect-pollinated plants in Britain and the Netherlands. Science 313:351–354.

[5] Sanchez-Bayo F. & Kris A.G. Wyckhuys, 2019. Worldwide decline of the entomofauna : A review of its drivers. Biological Conservation 232 : 8–27.

[6] Teyssèdre A. & A. Robert, 2015. Biodiversity trends are as bad as expected. Biodiversity and Conservation 24 (3):705-706.