Figure 1. L’horloge épigénétique : l’épigénome évolue tout au long de la vie d’un individu, selon des dynamiques complexes [Source : d’après Quach A, et al., ref. [1] – DOI:10.18632/aging.101168]L’épigénome (Lire Epigénétique : le génome et son environnement) évolue au cours de la vie de l’individu, c’est ce que l’on appelle l’horlogeépigénétique (Figure 1) [1]. Selon les cas, certains sites du génome se méthylent ou se déméthylent de plus en plus avec les années. Il y a une dizaine d’années les chercheurs ont identifié une série de gènes « liés au vieillissement » (en particulier des gènes impliqués dans la réplication de l’ADN et l’organisation nucléaire, etc…). A partir des profils de méthylation de ces gènes, il est alors possible de déterminer « l’âge épigénétique » d’un individu. Chez certains individus cet âge pourra être plus élevé que leur âge chronologique, et leur espérance de vie pourrait en être diminuée.
Par exemple, l’horloge épigénétique de certains individus est accélérée en comparaison aux autres, ce qui est associé à un risque accru de maladies chroniques et de mortalité [2]. On ne sait pas encore si cette horloge épigénétique est une cause ou une conséquence du vieillissement ; en revanche, sa précision et son pouvoir prédictif de l’état de santé de l’individu offrent la possibilité d’évaluer précisément l’efficacité d’interventions sur le mode de vie (changement des habitudes nutritionnelles, exercice physique régulier, gestion du stress…). En d’autres termes, le risque de morbidité/mortalité dépend de l’âge épigénétique, qui peut être en décalage avec l’âge chronologique.
En évaluant une série de facteurs de risque (liés à l’environnement et liés au comportement), Steve Horvath dès 2016 [2] créé un algorithme s’appuyant actuellement sur plus de 2000 sites CpG (sites sensibles à la méthylation des résidus cytosine) spécifiques qui seraient des marqueurs du vieillissement (cf. plus haut) d’un individu et de sa probabilité de souffrir d’une pathologie (stress métabolique, obésité, sensibilité aux polluants atmosphériques, maladies infectieuses chroniques, stress psychologique chronique) (Lire Epigénétique : le génome et son environnement). Il en a donc déduit un outil de prédiction du temps qu’il reste à vivre. Les chercheurs de son groupe ont ainsi testé son concept d’horloge biologique sur des échantillons sanguins prélevés chez plus de 10 000 sujets, dont la date de décès était connue pour démontrer l’efficacité de sa méthode. Il a découvert :
Qu’une alimentation riche en poisson, fruits et légumes a tendance à diminuer l’âge épigénétique ;
Que les gros fumeurs possèdent un certain type de groupes méthyle indiquant une horloge biologique plus avancée ;
Figure 2. Une alimentation riche en, fruits et légumes a tendance à diminuer l’âge épigénétique. [Source : Bill Branson (Photographer), Public domain, via Wikimedia Commons]Que le manque de sommeil, le stress ou l’alcool auraient également des effets néfastes.
Il semble que les horloges épigénétiques soient plus précises que l’âge chronologique pour estimer l’âge biologique. Enfin, une étude récente de son groupe [3] démontre que le vieillissement épigénétique pouvait être ralenti, voire inversé chez l’homme à l’aide d’une thérapeutique hormonale équilibrée :
Dans cette étude, neuf hommes en bonne santé, âgés de 51 à 65 ans, ont pris pendant un an une hormone de croissance de synthèse connue pour régénérer le thymus, organe du système immunitaire qui s’atrophie avec l’âge.
À partir de prélèvements sanguins avant et après l’expérience, les scientifiques ont alors déterminé l’âge « épigénétique » des volontaires (en fonction de la position d’ « étiquettes moléculaires » – méthylations – localisées sur l’ADN).
Outre des changements immunologiques protecteurs et une amélioration des indices de risque pour de nombreuses maladies liées à l’âge, les chercheurs ont observé un âge épigénétique moyen d’environ 1,5 an de moins que la valeur initiale.
Mais depuis, d’autres travaux ont cherché à identifier d’autres marqueurs de vieillissement comme la réduction des télomères [4] et les profils de méthylation des régions subtélomériques [5] (Lire Focus Ralentir le vieillissement : la piste de la télomérase ?).
2. L’horloge épigénétique au service des Compagnies d’assurances et des institutions policières ?
L’estimation de l’horloge épigénétique apparaît comme une nouvelle plate-forme de tests biologiques qui intéresse non seulement la communauté scientifique, mais aussi les sociétés d’assurance privées (USA) pour refuser certaines prestations pour cause de télomères trop courts ou pour un profil de méthylation trop élevé. Ces tests pourraient également servir à des fins non médicales, comme dans des dossiers d’immigration pour prouver l’âge de réfugiés sans papiers qui demandent l’asile en tant que mineurs. Quelques faits :
Figure 3. Radiographie de la main d’un homme de 16,27 ans, avec calcul automatique de l’âge osseux, prise en raison d’un retard de puberté. L’âge osseux déterminé par les tests est plus bas : deux algorithmes différents donnent des valeurs de 13,21 et 13,49. [Source : Mikael Häggström, CC0, via Wikimedia Commons]Les autorités affirment qu’en raison des avantages liés au fait d’être considéré comme mineurs, certains réfugiés non accompagnés prétendent être plus jeunes qu’ils ne le sont en réalité. Mais les tests anatomiques actuellement utilisés pour évaluer l’âge [7] ont une plage d’erreur allant jusqu’à 3 à 4 ans (Figure 3). Des études sont également en cours pour évaluer comment les diverses origines ethniques des réfugiés européens pourraient influencer l’horloge épigénétique. On peut imaginer d’autres applications futures, telles que la surveillance du travail et de la traite des enfants, ou même l’identification des jeunes qui combattent dans des conflits armés.
L’horloge épigénétique, conçue comme estimateurs épigénétiques de l’âge et du vieillissement, pourrait permettre de mieux comprendre les voies biologiques sous-jacentes au développement des troubles associés au vieillissement et imaginer des interventions biomédicales et / ou sociales pour les prévenir, les inverser ou les atténuer. L’évaluation de l’âge épigénétique de différents types de cellules offrent également l’occasion d’étudier comment les facteurs de stress environnementaux, ou de baisse du niveau social et alimentaire peuvent contribuer à de tels troubles par l’accélération du vieillissement épigénétique. En plus de leurs applications cliniques et de santé publique potentielles, ces estimateurs (épigénétiques ou télomériques) de l’âge et du vieillissement peuvent être utilisés à des fins non médicales par les compagnies d’assurances et la police en matière de politique d’immigration. Il est urgent de discuter des implications éthiques, juridiques et sociales potentielles des utilisations non médicales des horloges épigénétiques. Nous soutenons qu’un cadre des droits de l’homme devrait guider les discussions futures sur ces questions importantes et conjoncturelles. [8]
En savoir plus
Fraga MF & Esteller M. (2007) Epigenetics and aging: the targets and the marks. Trends Genet. 23(8):413-8.
Levine ME et al. (2018) An epigenetic biomarker of aging for lifespan and healthspan. Aging (Albany NY). 10(4):573-591.
Hu H, Li B & Duan S. (2019) The Alteration of Subtelomeric DNA Methylation in Aging-Related Diseases. Front Genet. 9:697. doi: 10.3389/fgene.2018.00697
Bacalini MG et al. (2021) Ageing affects subtelomeric DNA methylation in blood cells from a large European population enrolled in the MARK-AGE study. Apr 19. doi: 10.1007/s11357-021-00347-9
Abbott A. (2018) European scientists seek ‘epigenetic clock’ to determine age of refugees. Nature 561(7721):15. doi: 10.1038/d41586-018-06121-w.
Dupras C, Beauchamp E & Joly Y. (2020) Selling direct-to-consumer epigenetic tests: are we ready? Nat Rev Genet.21(6):335-336. doi: 10.1038/s41576-020-0215-2.
Notes et références
Image de couverture. Source : [Source : libre de droits / PxHere]
[1] Quach A et al. (2017). Epigenetic clock analysis of diet, exercise, education, and lifestyle factors. Aging (Albany NY) 9:419-446
[2] Horvath S. & Raj K. (2018) DNA methylation-based biomarkers and the epigenetic clock theory of ageing. Nat Rev Genet 19:371-384
[3] Fahy GM et al. (2019) Reversal of epigenetic aging and immunosenescent trends in humans. Aging Cell. 18(6):e13028. doi: 10.1111/acel.13028
[4] Mesurés avec la technique Q-Fish (hybridation quantitative de fluorescence in situ) où une sonde fluorescente se fixe sur les télomères, de façon proportionnelle à la longueur de ceux-ci.
[5] Les subtélomères forment la transition entre les séquences spécifiques des chromosomes et les répétitions télomériques terminales.
[6] McEwen LM et al. (2020) The PedBE clock accurately estimates DNA methylation age in pediatric buccal cells. Proc Natl Acad Sci USA 117(38):23329-23335.
[7] Ils reposent sur l’utilisation de la radiographie par rayons X et l’imagerie par résonance magnétique. Cette méthode « permet d’apprécier avec une bonne approximation l’âge de développement d’un adolescent en-dessous de quinze ans » en revanche, il y a des « difficultés » à déterminer un âge « dans les deux sexes au-delà de quinze ans, en particulier chez le garçon », estimait l’Académie nationale de médecine en 2007. « Les tests osseux sont fiables seulement lorsqu’on est très loin de la majorité », déclare plus récemment André Deseur, vice-président de l’ordre des médecins, dans Libération.
[8] Dupras C. et al. (2019) Potential (mis)use of epigenetic age estimators by private companies and public agencies: human rights law should provide ethical guidance, Environmental Epigenetics 5, 3, dvz018, https://doi.org/10.1093/eep/dvz018