Un exemple de méthode de gestion de la ressource en eau des aquifères de socle, en Inde du Sud
PDFL’Inde, dont le climat dominant est de type semi-aride, est le pays qui a le plus mis en valeur la ressource de ses aquifères de socle. Le nombre de forages d’eau destinés à l’irrigation y est passé de moins de 1 million dans les années 60 à plus de 20 millions actuellement. Cette ressource a ainsi très largement contribué à l’autosuffisance alimentaire du pays (la « révolution verte »). Ce développement ne s’est pas réalisé sans certains excès (surexploitation locale de la ressource, dégradation de la qualité des eaux souterraines) et leurs conséquences sanitaires et sociales.
Jusqu’à très récemment, les aquifères de socle étaient considérés comme trop hétérogènes pour pouvoir permettre une gestion de leur ressource en eau, comme c’est le cas pour les autres types d’aquifères. Au cours des quinze dernières années, les progrès des connaissances fondamentales concernant la structure et le fonctionnement de ces aquifères spécifiques (rôle des processus d’altération, caractérisation de la géométrie des principaux horizons constitutifs des profils d’altération, de leurs paramètres de porosité et perméabilité, etc) ont bousculé ces a priori. Tel que présenté et illustré dans le corps de l’article, des méthodes de cartographie hydrogéologique, des approches et des outils de modélisation de leur ressource en eau, etc ont été développés et appliqués.
L’Inde du Sud a constitué l’une des premières région où a été mise en œuvre une méthode d’évaluation de la ressource en eau dans des aquifères de socle. Elle a reposé sur la combinaison de la méthode dite « des fluctuations du niveau piézométrique » et de la méthode du « budget d’eau souterraine ». Cette approche visait notamment à déterminer les inconnues que sont la recharge (annuelle) et la porosité efficace de l’aquifère.
La méthode du « budget d’eau souterraine » s’intéresse donc aux différentes composantes des écoulements et des variations de stock d’eau souterraine, en ne considérant que les entrées et sorties de l’aquifère (Figure 1). Cette méthode permet d’éviter les incertitudes concernant notamment la pluviométrie et l’évapotranspiration. Elle présente néanmoins l’inconvénient d’être réalisée à l’échelle du bassin versant (l’échelle du budget d’eau souterraine) et donc de ne pas permettre une analyse à une échelle plus fine que celle-ci. Les variations du stock d’eau souterraine (ΔS), donc du niveau de la nappe Δh (h = niveau piézométrique), peuvent ainsi être attribuées, pour ce qui concerne les « entrées », à la recharge (R, somme de la recharge directe à travers la zone non saturée Rd et de la recharge indirecte et localisée en provenance des eaux de surface Ril), aux apports d’eau souterraine aux limites du bassin versant souterrain (Qon ; ces derniers sont normalement nuls si le bassin versant a été bien délimité) et, dans le cas d’étude d’un bassin versant très agricole, à la recharge supplémentaire due aux excédents d’irrigation (RF). Pour ce qui concerne les « sorties », il s’agit des sorties d’eau souterraine aux limites du bassin versant souterrain (Qoff ; avec la même remarque que pour les entrées), les sorties d’eau souterraine vers les cours d’eau ou les sources (Qbf), l’évapotranspiration directe à partir de la nappe (ET) et les pompages anthropiques (PG). Souvent, compte tenu de la profondeur de la nappe (plusieurs mètres à plusieurs dizaines de mètres), l’évapotranspiration est très faible et ce dernier terme peut être négligé.
On a alors l’équation suivante :
ΔS = (R + RF + Qon) – (ET + PG + Qoff + Qbf) (1)
La deuxième équation disponible relie les fluctuations du niveau piézométrique Δh à celles du stockage dans l’aquifère ΔS, par l’intermédiaire du coefficient d’emmagasinement, ou porosité efficace, de l’aquifère Sy.
ΔS = Sy . Δh (2)
Pour calculer la recharge R et le coefficient d’emmagasinement Sy, on utilise le fait que, lors de la saison sèche, la baisse du niveau piézométrique est uniquement due aux pompages. A l’inverse, lors de la saison des pluies, la remontée du niveau piézométrique est seulement due à la recharge minorée par les pompages. En mesurant les variations du niveau piézométrique et les pompages, il est donc possible d’évaluer la recharge et l’emmagasinement. Des observations sur plusieurs années permettent de disposer d’un modèle robuste et, notamment, d’évaluer les variations de la porosité efficace avec la profondeur et l’évolution de la recharge en fonction du régime des précipitations (Figure 2 [1]).
Utilisé en simulation (Figure 3 [2]), le modèle ainsi calé permet, pour différents scénarios d’évolution des prélèvements et une recharge moyenne, ou pour des scénarios de recharge dépendant du climat, de prévoir les variations de stock dans l’aquifère (baisse du niveau piézométrique, assèchement des forages, etc.).
Les aquifères de socle peuvent donc maintenant faire l’objet d’une évaluation, d’une mise en valeur et surtout d’une gestion durable. Ils sont prêts à participer au développement économique d’autres continents (Afrique, Amérique du Sud notamment) qui pourront ainsi contribuer à relever les défis du XXIe siècle (besoins alimentaires de la population mondiale, satisfaction des besoins en eau et assainissement, développement économique et social, etc.). Pour les chercheurs et les gestionnaires de la ressource en eau, il s’agit de s’appuyer sur l’exemple indien pour susciter et accompagner le développement économique en évitant les écueils d’un modèle non durable (surexploitation de la ressource) et en préservant, voire en restaurant, la qualité des eaux souterraines.
Références et notes
[1] Maréchal, J.C., Dewandel, B., Ahmed, S., Galeazzi L., 2006. Combining the groundwater budget and water table fluctuation methods to estimate specific yield and natural recharge. Journal of Hydrology, 329, 1-2, 281-293
[2] Lachassagne, P., Dewandel, B., Wyns, R. (2014b). The conceptual model of weathered hard rock aquifers and its practical applications, in « Fractured Rock Hydrogeology », N°20 International Association of Hydrogeologists Selected