Écosystèmes des fumeurs noirs
PDFPierre Vauclare, Institut de Biologie structurale, Grenoble.
Couvrant près des deux tiers de la surface terrestre, les régions abyssales des océans ont été considérées pendant longtemps comme des espaces totalement dépourvus de toute vie de par l’absence de lumière. Pourtant, la découverte en 1977 de l’existence d’évents hydrothermaux, appelés fumeurs noirs, situés au niveau de la dorsale des Galápagos, a totalement bouleversé nos connaissances sur la biologie océanique, mais également notre vision de l’origine de la vie. Cet écosystème fascinant se situe le long des dorsales médio-océaniques (Océans Atlantique, Pacifique et Indien), entre 700 mètres et plus de 4000 mètres de profondeur, dans des zones à fortes activités volcaniques. Ces sites produisent alors des fluides dont les températures très élevées peuvent atteindre 410°C. C’est au contact avec l’eau froide océanique (< 4°C), que les métaux dissous précipitent avec les sulfures pour former les structures minérales complexes que sont les fumeurs noirs. Pourtant, malgré des conditions environnementales particulièrement hostiles (absence de lumière, présence de température élevée et de pressions extrêmes pouvant dépasser 420 kg/cm2), ces sources hydrothermales abritent, dans leur voisinage, un écosystème marin exceptionnel parmi les plus productifs. Cette découverte a généré de nombreuses campagnes d’exploration qui ont permis de mettre à jour de nouvelles espèces dites extrêmophiles au taux d’endémisme élevée. En effet, des colonies de palourde mesurant près de 30 centimètres (Calyptogena magnifica et Bathymodiolus thermophilus) cohabitent avec des crabes blancs, des crevettes (Rimicaris exoculata) et des vers géants pouvant atteindre 2 mètres de long (Riftia pachyptila). Comme tout écosystème, ceux des sources hydrothermales des abysses échangent matière et énergie. A la base de la chaîne alimentaire de cet écosystème complexe se trouve des communautés microbiennes thermophiles très diverses (domaine des bactéries et des archées) ayant des propriétés sulfo-oxydantes. En effet, grâce à l’énergie non de la lumière (photosynthèse [1]), mais de l’oxydation des sulfures d’hydrogène (H2S) qui sont rejetés par les fluides hydrothermaux (chimiosynthèse [2]), ces microorganismes synthétisent des molécules carbonées. Celles-ci sont la source primaire de matières organiques indispensables au développement des multiples communautés animales vivant dans cet environnement extrême a priori peu propice à la vie. Enfin, il faut savoir que ces sources hydrothermales sont une source d’énergie et de nutriments facilement disponible. Ainsi, sachant que les premières formes de vie étaient probablement chimiotrophes [3], une hypothèse envisageable serait que les premières briques de la vie aient pu apparaître au fond des océans. C’est une hypothèse supplémentaire pour tenter de comprendre l’origine de la vie sur Terre [4], voire sur d’autres systèmes planétaires.
Notes et références
[1] Photosynthèse : Synthèse de molécules carbonées à partir de la réduction du CO2 et de l’eau, grâce à l’énergie lumineuse.
[2] Chimiosynthèse : Synthèse de molécules carbonées à partir de la réduction du CO2, grâce à l’énergie produite par des réactions chimiques (oxydation de composés minéraux).
[3] Chimiotrophe : Se dit d’une bactérie qui se nourrit par chimiosynthèse.
[4] Académie des Sciences, sous la direction de Roland Douce et Eric Postaire (2016) Les origines du vivant. Une équation à plusieurs inconnues ; Collection Folio Essais (n° 620), Gallimard, ISBN : 9782070462292.
Références complémentaires :
- Vidéo Youtube: Abysses – Ifremer
- Médiathèque de la Mer
- Thèse : Maintenance génomique chez l’Archaea hyperthermophile Pyrococcus abyssi – Julien Briffotaux (Hal, archives ouvertes)