La processionnaire du pin, un modèle pour les effets du réchauffement climatique
PDF1. Un des rares insectes à développement larvaire hivernal
La processionnaire du pin, Thaumetopoea pityocampa (Den. & Schiff.) (Lépidoptère : Notodontidae), est un insecte d’origine méditerranéenne. Ses chenilles se développent de manière grégaire sur les pins, et éventuellement d’autres conifères (cèdres, sapin de Douglas, etc…), en colonies aisément reconnaissables par leurs nids blancs soyeux, bien visibles en hiver (Figure 1).
Contrairement à la plupart des autres insectes, le développement larvaire de la processionnaire du pin se déroule durant l’automne et l’hiver et est hautement sensible à de faibles variations de température. Le réchauffement hivernal augmente la survie des chenilles et leur permet de terminer leur développement dans des régions où les conditions climatiques leur étaient préalablement hostiles. Les contraintes climatiques modulant ce développement ont été précisément établies depuis le milieu des années 2000 :
- La température létale, en- dessous de laquelle la totalité des colonies de processionnaire ne peuvent survivre, a été estimée à -16°C, valeur qui n’est plus que très rarement atteinte dans la plupart des régions d’Europe de l’Ouest.
- Mais au-delà de leur survie, les chenilles doivent aussi s’alimenter pour achever leur développement jusqu’à la nymphose. Elles sortent du nid la nuit pour dévorer les aiguilles de pin, cette sortie nocturne étant soumise à deux conditions [1]:
- Le nid doit avoir bénéficié d’une température minimale de 9°C durant la journée (température d’activation)
- La température de l’air doit être supérieure à 0°C durant cette nuit (température d’alimentation).
On peut ainsi calculer la mortalité et le nombre de nuits où les chenilles peuvent s’alimenter durant l’hiver, et inversement le nombre de jours consécutifs de famine, qui doit rester limité pour permettre un développement complet [2].
2. A partir de la fin des années 1970, une levée progressive des contraintes thermiques limitant l’aire de répartition de l’insecte
Le réchauffement hivernal affectant les zones septentrionales et de montagne a largement réduit les risques de mortalité, permettant ainsi aux populations de processionnaires de coloniser des zones préalablement défavorables et d’étendre leur distribution en latitude comme en altitude. Par exemple, une zone climatique défavorable, constituant une barrière, existait dans le sud du bassin parisien. Cette barrière a été levée à partir de 1996 en relation directe avec la hausse des températures hivernales et, au début des années 2000, l’ensemble du Bassin Parisien est devenu favorable à l’installation de l’insecte, la seule limite à sa progression étant la faible capacité de vol des femelles [3]. Une expansion continue vers le Nord de plus de 120 km a été observée entre 1972 et 2017, à la vitesse de 2.6 km par an en moyenne, avec une accélération à 5,5 km/an depuis le début des années 2000 (Figure 2). Cette expansion dans le Bassin Parisien a été concomitante à une augmentation moyenne de la température hivernale de 1,1°C. La même expansion a été observée dans les autres régions septentrionales françaises et en altitude (Alpes, Pyrénées, Massif Central) comme le montre la cartographie géo-référencée du mouvement des fronts d’expansion jusqu’en 2016 (Figure 2). Des phénomènes analogues ont été observés sur l’ensemble de l’Europe du sud, de la Bretagne à la Turquie [4] (Figure 3).
Ces données ont fait de la processionnaire du pin une des espèces modèles pour l’étude des conséquences du changement climatique, retenue au plan national par l’Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique (bioindicateur ONERC depuis 2006) et au plan international par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC, citée dans le 4e rapport en 2007).
3. Un rôle au départ insoupçonné de l’homme dans l’expansion
Une dizaine de colonies isolées ont été successivement découvertes au-delà du front d’expansion depuis le milieu des années 2000 en Région Parisienne (Figure 4) mais aussi en Alsace et dans l’Aisne [4]. La distance au front, entre 50 et 300 km, est largement supérieure aux capacités de dispersion naturelle des papillons femelles (de quelques centaines de mètres à quelques km [5]). Le typage génétique des individus de ces colonies montre que la plupart d’entre elles ne sont pas issues du front d’expansion, mais proviennent de populations distantes de centaines de kilomètres, du sud-est et sud-ouest de la France, ainsi que d’Italie [6]. De plus, le complexe parasitaire de ces colonies isolées se réduit à des parasites de chrysalides. Ces éléments combinés suggèrent un rôle déterminant de l’Homme dans l’apparition de ces colonies via le commerce de pins en provenance de pépinières du sud, les insectes voyageant à l’état de chrysalides dans les mottes de terre accompagnant ces pins. La nature des sites où sont apparues les colonies, qui correspondent tous à des habitats fortement anthropisés avec des pins plantés à des fins ornementales (bordures d’autoroute et de ronds- points, cimetières, parkings d’usine, d’université, ou de cités HLM, etc…), corrobore largement cette hypothèse. S’il est vraisemblable que de tels transports et plantations aient existé avant les années 2000, les conditions climatiques défavorables en Région Parisienne et dans le Nord ne permettaient pas aux processionnaires de s’y établir.
Cette expansion amène aussi les chenilles hautement urticantes à pénétrer en zone péri-urbaine et urbaine, ainsi que dans les zones touristiques de montagne. Les premières colonies ont été découvertes en 2015 dans Paris intra-muros, l’insecte passant ainsi d’un statut de ravageur forestier à celui d’une nuisance sanitaire urbaine pour l’Homme comme pour les animaux domestiques [7].
Notes et références
[1] Battisti A., Stastny M., Netherer S., Robinet C., Schopf A., Roques A., et al. (2005) Expansion of geographic range in pine processionary moth caused by increasing winter temperatures. Ecological Applications 15, 2084-2096.
[2] Buffo E., Battisti A., Stastny M., Larsson S. (2007). Temperature as a predictor of survival of the pine processionary moth in the Italian Alps. Agricultural and Forest Entomology 9, 65–72.
[3] Robinet C., Baier P., Pennerstorfer J., Schopf A., Roques A. (2007). Modelling the effects of climate change on the potential feeding activity of Thaumetopoea pityocampa (Den. & Schiff.) (Lep., Notodontidae) in France. Global Ecology and Biogeography 16, 46-471.
[4] Roques A., Rousselet J., Avci M., Avtzis D. N., Basso A. et al. (2015) Climate warming and past and present distribution of the processionary moths (Thaumetopoea spp.) in Europe, Asia Minor and North Africa. pp 81-162 In Roques A. (Ed.) Processionary Moths and Climate Change: An Update. Springer/ Quae.
[5] Battisti A., Avci M., Avtzis D.N., Ben Jamaa M.L., Beradi L. (2015). Natural History of the Processionary Moths (Thaumetopoea spp.): New Insights in Relation to Climate Change. pp. 15-79 In Roques A. (Ed.) Processionary Moths and Climate Change: An Update. Springer/ Quae.
[6] Robinet C, Imbert C.E., Rousselet J., Sauvard D., Garcia J., et al. (2012). Warming up combined with the trade of large trees allowed long-distance jumps of pine processionary moth in Europe. Biological Invasions 14, 1557–1569.
[7] Moneo I., Battisti A., Dufour B., Garcia-Ortiz J.C., González-Muñoz M. et al. (2015). Medical and veterinary impact of the urticating processionary larvae. pp. 359- 410 In Roques A. (Ed.) Processionary Moths and Climate Change: An Update. Springer/ Quae.