| Focus 1/1 | Dialogues et coopération chez les bactéries

Quorum sensing et messagers chimiques

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1. Induction de la synthèse des messagers chimiques lors du quorum sensing

bacterie - quorum sensing
Figure 1. Principe du quorum sensing. [Source : © Carole Petetin pour e-marin’lab. https://emarinlab.obs-banyuls.fr/]
Le principe du quorum sensing est décrit Figure 1 :

  • A faible densité cellulaire, la faible concentration des signaux chimiques du quorum sensing (« autoinducteurs ») se liant à un récepteur cellulaire avant d’être localement éliminés n’a que peu d’effet sur les cellules, qui en réponse ne synthétisent et n’émettent que peu d’autoinducteurs et autres molécules associées.
  • Au-delà d’un certain seuil, la concentration des autoinducteurs suffit pour stimuler le basculement des cellules vers un autre mode de fonctionnement, de type ‘social’, impliquant une importante modification de l’expression génique.

Dans le cas illustré dans la Figure 1, l’enzyme LuxI (autoinducteur synthase) gouverne la synthèse des autoinducteurs. Le récepteur LuxR les capte et régule l’expression des gènes lux, impliqués dans la production de bioluminescence.

2. Quels composés impliqués dans le quorum sensing ?

La recherche et l’identification des composés impliqués dans  le quorum sensing, ainsi que la caractérisation des fonctions qu’ils régulent, requièrent de coupler de nombreuses approches expérimentales de disciplines différentes : chimie des substances naturelles, biologie cellulaire, biochimie, génétique ou bien encore génomique. La faible concentration de ces composés rend leur recherche très difficile sur des échantillons naturels [1] . Aussi ces composés sont-ils souvent étudiés chez des souches représentatives, des modèles microbiens. L’une des premières étapes est de vérifier que ces souches en collection sont capables de produire des molécules de quorum sensing, à l’aide d’organismes génétiquement modifiés nommés biosenseurs. Ces derniers sont capables d’émettre une fluorescence ou une coloration violette en présence d’autoinducteurs.

Si ces biotests se révèlent positifs, les approches de la chimie des substances naturelles (Chromatographie en Phase Gazeuse (CPG) ou Chromatographie Liquide Haute Performance (HPLC), couplée à de la Spectrométrie de Masse (MS/MS) et de la Résonance Magnétique Nucléaire (RMN) permettent de caractériser les composés produits. L’identification des fonctions régulées par ces composés repose souvent sur la production de mutants des voies de quorum sensing chez les souches modèles étudiées. Les gènes impliqués dans les dialogues moléculaires sont inactivés et les phénotypes induits chez ces mutants sont caractérisés, c’est-à-dire que l’on observe le comportement, la croissance et l’activité du microorganisme chez lequel ces gènes sont inactivés [2].

3. Nature des messagers chimiques : les bases du langage bactérien

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Figure 2. Quelques exemples d’acyl-homosérines lactones et structure du diester de borate furanosylé. (Source : Non Satis Scire [CC BY-SA 4.0])
D’importants efforts ont été réalisés par des équipes de microbiologistes et de chimistes pour caractériser la nature des signaux chimiques impliqués dans le quorum sensing. Ces travaux ont montré l’importance des homosérines lactones dans ces échanges [3]. Il s’agit de petites molécules organiques formées d’un noyau lactone et d’une chaine carbonée dérivée d’acides gras (Figure 2). Elles sont très diversifiées : la longueur de la chaine, la présence de doubles liaisons ou de groupements cétones, etc… permettent de moduler le langage moléculaire.

Plus récemment, il a été démontré aussi l’importance du diester de borate furanosylé dans ces échanges, une petite molécule à deux cycles carbonés qui contient un atome de bore [4]. Depuis, de nombreux autres composés ont été identifiés, mais les microbiologistes s’accordent pour estimer que l’on ne connaît encore qu’une infime fraction des signaux chimiques échangés lors  de leur quorum sensing par les cellules microbiennes. Ces composés sont émis en quantités très faibles, ce qui rend leur identification particulièrement difficile.

 


Notes et références

Image de couverture. [Source : Photo by Eric Erbe, digital colorization by Christopher Pooley, both of USDA, ARS, EMU. (Public domain)]

[1] Hmelo L & Van Mooy BAS (2009) Kinetic constraints on acylated homoserine lactone-based quorum sensing in marine environments. Aquat Microb Ecol 54:127-133.

[2] Rolland JL, Stien D, Sanchez Ferandin S & Lami R (2016). Quorum sensing and quorum quenching in the phycopshere of phytoplankton : a case of chemical interaction in ecology. Journal of Chemical Ecology 42:1201-1211.

[3] Eberhard A, Burlingame AL, Eberhard C, Kenyon GL, Nealson KH & Oppenheimer NJ (1981). Structural identification of autoinducer of Photobacterium fischeri luciferase. Biochemistry 20:2444-2449.

[4] Chen X, Schauder S, Potier N, Van Dorsselaer A, Pelczer I, Bassler BL & Hughson FM (2002). Structural identification of a bacterial quorum-sensing signal containing boron. Nature 415(6871):545-549.