Salinisation des sols
PDF1. Les sols affectés par la salinité
Une estimation indique que 7% de la superficie mondiale des terres est affectée par la salinité. L’étendue mondiale des terres touchées par le sel s’élève à environ 1,1 GHa, dont 14 % sont classés comme forêts, zones humides ou zones protégées (inter)nationales et sont considérés comme non disponibles pour la production de biomasse en raison de préoccupations de durabilité (Figure 1). [1]
Les milieux naturels peuvent être affectés par la présence de sels dans les sols ou les nappes phréatiques provenant de l’altération des roches riches en minéraux mises en place lors des temps géologiques. De nombreuses régions subissent ainsi la salinisation primaire qui se développe naturellement en raison de l’écoulement continu sur le long terme des eaux souterraines chargées en sels. Un certain nombre de lacs salés (Figure 2) ainsi formés abritent des écosystèmes adaptés à ces conditions extrêmes (Lire Microbes des environnements extrêmes).
C’est surtout le chlorure de sodium (NaCl), le plus soluble, les chlorures de calcium et de magnésium, et dans une moindre mesure, les carbonates et les sulfates qui sont responsables de la salinité (voir Figure 1).
2. Des sols agricoles perdus à cause de la salinisation
2.1. Salinisation secondaire
L’activité humaine est responsable de la salinisation des sols qui sont alors rendus impropres à l’agriculture. On parle alors de salinisation secondaire (Figure 3).
L’Organisation des Nations Unis pour l’alimentation et l’agriculture estime que 20% des terres irriguées dans le monde sont des sols touchés par des problèmes de salinité [2]. Chaque année, ce sont 10 millions d’hectares de terres agricoles qui sont détruits dans le monde par la salinisation des sols.
Le changement climatique, l’utilisation excessive des eaux souterraines, l’utilisation croissante d’eau d’irrigation de mauvaise qualité, l’irrigation massive dans une zone à climat semi-aride à aride et un manque de lixiviation [3] des sols peuvent intensifier ce phénomène de salinisation des sols.
2.2. Exemple du bassin hydrographique de Murray-Darling
Dans le sud-est de l’Australie, le bassin hydrographique de Murray-Darling, le plus important de ce continent, est menacé par la salinisation. Un bassin hydrographique regroupe le territoire d’un pays drainé par un ensemble de cours d’eau et leurs affluents qui vont se déverser dans la mer par une seule embouchure.
Le bassin hydrographique de Murray-Darling (Figure 4) représente 1/7 de la superficie de l’Australie, fournit 40% de sa production agricole, et fait vivre 3 millions de personnes.
Les causes de cette catastrophe sont sans appel : ce sont les activités humaines liées à la colonisation européenne qui sont responsables de la salinisation des sols du bassin de Murray-Darling (Figure 5) :
- La ruée vers l’or a provoqué la déforestation massive de la zone. Or ces forêts, en absorbant les précipitations, empêchaient le remplissage des aquifères, nappes d’eau souterraines.
- La déforestation a provoqué un remplissage progressif des aquifères peu profonds [4].
- Malheureusement, ces aquifères sont naturellement chargés en sel. A un ou deux mètres de la surface, l’eau chargée en sels remonte par capillarité.
- En l’espace de 150 ans, les horizons du sol sont successivement contaminés par le sel jusqu’à former un dépôt en surface dû à l’évaporation.
2.3. Irrigation & salinité
Dans les zones arides à semi-arides où les précipitations sont insuffisantes, l’agriculture ne peut se passer de l’irrigation. Malheureusement, si celle-ci est effectuée avec de l’eau provenant des aquifères chargées en sel, cela va provoquer une augmentation du sel dans la zone racinaire. La faiblesse des précipitations ou l’impossibilité d’une irrigation avec de l’eau douce empêche toute lixiviation pour se débarrasser de l’excès en sel dans ces sols. En conséquence, l’eau d’irrigation est transférée du sol vers l’atmosphère par la transpiration et l’évaporation des plantes, laissant des sels dissous dans le sol et augmentant la salinisation.
L’activité humaine avec le pompage d’eau douce dans les aquifères côtiers provoque une intrusion d’eau salée diminuant la qualité de l’eau. La Figure 6 [5] décrit cette intrusion :
- un pompage raisonnable de la nappe maintient son niveau grâce à une recharge naturelle.
- si l’activité humaine nécessite un prélèvement plus important, on assiste à une intrusion d’eau salée de la mer dans la nappe, la rendant saumâtre.
2.4. Salinité des sols et élévation du niveau de la mer
Enfin, la salinité des sols due à l’élévation du niveau de la mer, à l’infiltration d’eau de mer par les vagues, au transport par le vent des embruns ou des tempêtes cause des problèmes à l’agriculture côtière. Les exemples sur ce sujet abondent. Citons seulement les problèmes de la salinisation des rizières du delta du Mékong au Vietnam qui souffrent non seulement de l’intrusion d’eau de mer, mais aussi de la réduction du débit de ce grand fleuve causée par la construction de barrages en amont qui empêchent une lixiviation optimale des sols salins. Notons aussi les problèmes de salinisation des sols sur lesquels poussent des vignes dans l’Hérault (Sud de la France) [6].
3. Effets délétères du sodium sur la structure du sol
Le cation sodium (Na+) altère non seulement la croissance et le développement des plantes, mais il provoque une déstructuration du sol. Ces problèmes qui ne font qu’augmenter dans le monde impose à l’agriculture d’utiliser des techniques de gestion des sols pour réduire ses effets néfastes.
L’excès de sodium (Na+) dans le sol modifie les propriétés physico-chimiques de ce dernier. Le sol est composé de constituants solides, liquides (eau et éléments dissous) et gazeux :
- Les constituants solides du sol sont composés de la matière organique (issue de la dégradation des végétaux et des animaux, des déjections, …) et minérale.
- La matière minérale est composée d’une fraction grossière (graviers, …) et fine (argiles, …).
- Les argiles se présentent sous forme de particules de moins de 2 µm qui servent de « colle » aux éléments de tailles supérieures. Ainsi, les argiles constituent la fraction colloïdale minérale du sol et confère au sol ses propriétés physico-chimiques.
Les argiles présentent à leur surface des charges négatives ; elles se repoussent naturellement et restent en suspension. En présence de protons (milieu acide) ou de cations pour neutraliser leurs charges, les argiles s’agglutinent et précipitent ; on parle alors de floculation (Figure 7). Les cations Ca2+, Mg2+et Al3+ permettent une bonne floculation des argiles ; contrairement au H+, K+, et Na+.
L’intensité de fixation des cations bivalents aux argiles est supérieure à celle des cations monovalents, principalement à cause d’une coque d’hydratation plus importante chez les ions K+ et Na+. Ainsi, le Na+ assure la floculation la moins stable, par rapport aux autres ions positifs.
- Le Na+ reste majoritairement en solution, mais il peut aussi remplacer dans une faible proportion des ions Ca2+et Mg2+ sur les argiles, on parle alors de proportion de Na+ échangeable.
- L’ion Na+ va agir avec l’eau douce (lors des pluies ou de l’irrigation) pour former une base forte, alcalinisant significativement le sol et produisant l’ion hydroxyde OH–. La combinaison de ce dernier avec l’ion H+ va faire perdre les ions H+ adsorbés sur les argiles, réduisant leur floculation.
L’ion Na+ en excès dans le sol a donc un fort effet dispersant sur les argiles (Figure 7B).
Les argiles dispersées produisent un sol compact et asphyxiant pour les racines, alors qu’à l’état floculé, les argiles favorisent l’aération, la perméabilité à l’eau et la vie des micro-organismes bénéfiques.
On classe les sols salinisés selon :
- leur valeur de conductivité électrique (en S/cm) qui est reliée à la concentration en sels ;
- leur proportion de Na+ échangeable ;
- leur pH.
La proportion de Na+ échangeable est étroitement liée au rapport :
Où les concentrations en Na+, Ca2+ et Mg2+ sont exprimés en milliequivalent/L ; plus cette valeur est élevée, plus le Na+ mettra à mal la floculation des argiles.
La classification regroupe alors les sols salins, sodiques et salins-sodiques (Tableau 1).
Différentes pratiques agricoles permettent de limiter les effets délétères de l’excès de sel sur la culture des plantes [7]. Quand ces pratiques ne sont malheureusement plus efficaces et en particulier dans le cadre d’une réhabilitation de sols salinisés, l’élimination du sel qui s’est accumulé à la surface du sol par des moyens mécaniques permet temporairement d’améliorer la croissance des cultures.
L’inondation des parcelles avec de l’eau douce permet aussi de désaliniser les sols [8]. L’apport d’eau douce par infiltration dans le sol dissout le sel en excès et l’élimine si cette eau est bien drainée ; on parle ici de lixiviation. C’est la procédure la plus efficace pour éliminer le sel de la zone racinaire des sols. Le drainage est ici important pour éviter d’augmenter en sels la nappe phréatique. D’autres solutions telles que l’apport en matière organique dans le sol peuvent aussi être utilisées [9].
Notes et références
Image de couverture. Vue aérienne de champs présentant des remontées de sel en surface (Vallée de la Californie). [Source : Scott Bauer / Public domain]
[1] Wicke B, Smeets E, Dornburg V, Vashev B, Gaiser T, Turkenburg W, Faaij A (2011) The global technical and economic potential of bioenergy from salt-affected soils. Energy Environ Sci 4:2669–2681. https://doi.org/10.1039/C1EE01029H
[2] Dans l’Union européenne, les pays méditerranéens sont principalement concernés par ce problème (France, Grèce, Italie), mais aussi la Bulgarie, la République tchèque, l’Allemagne, la Hongrie, le Portugal, la Roumanie et la Slovénie. [Toth G, Adhikari K, Varallyay G, Toth T, Bodis K, Stolbovoy V (2008) Updated map of salt affected soils in the European Union. In: Toth G, Montanarella, L. and Rusco, E. (ed) Threats to Soil Quality in Europe. Office for Official Publications of the European Communities, Luxembourg, pp 65-77].
[3] La lixiviation désigne le processus permettant au sol d’être débarrassé par l’eau des composés solubles impropres à la culture. Il se différentie du terme lessivage qui concerne les composés non solubles.
[4] https://www.mdba.gov.au/sites/default/files/archived/mdbc-salinity-reports/2072_Salinity_audit_of_MDB_100_year_perspective.pdf
[5] https://www.nappes-roussillon.fr/L-intrusion-saline.html
[6] https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/vignes-serignan-meurent-intoxication-au-sel-mer-546726.html
[7] http://www.fao.org/tempref/agl/IPTRID/salinity_brochure_fr.pdf
[8] https://www.mon-viti.com/articles/viticulture/quand-le-sel-ronge-les-vignes
[9] http://www.fao.org/soils-portal/soil-management/gestion-des-sols-a-problemes/gestion-des-sols-affectes-par-le-sel/more-information-on-salt-affected-soils/fr/