Une science appliquée au service d’une gestion durable des fleuves
PDFDans les années 1960-80, le cours d’eau était considéré comme un espace à aménager pour exercer certains usages, exploiter ses ressources et se protéger des risques dus à l’évolution du lit, qu’il s’agisse de l’inondation ou de l’érosion. Les interventions étaient alors définies dans le cadre de « Schémas d’Aménagement ».
Depuis les années 1990, les actions conduites sur les cours d’eau ont profondément évolué et se sont diversifiées. Il ne s’agit plus seulement d’aménager mais aussi d’entretenir, de gérer (durablement) ou encore de restaurer afin que le cours d’eau fournisse un certain nombre de services. Les diagnostics sont devenus plus complexes. Ils s’appuient sur l’étude de la trajectoire évolutive du lit sur plusieurs décennies. Ils reconnaissent l’importance du bassin amont qui peut enregistrer des évolutions à l’origine d’ajustements du lit plus à l’aval. Il ne s’agit plus de proposer un aménagement pour répondre aux problématiques posées. Différentes solutions sont généralement envisagées, la construction d’infrastructures (digues, protections de berges, seuils) pouvant en être une. Les démarches sont devenues intégrées, essayant de prendre en compte simultanément l’ensemble des enjeux. Elles s’inscrivent dans une perspective fonctionnelle ou systémique pour établir les diagnostics alors que les approches précédentes étaient beaucoup plus locales (là où se situe le problème). Elles reposaient avant tout sur une analyse de l’état présent.
Les questions géomorphologiques sont devenues centrales dans la gestion des cours d’eau et une étude géomorphologique est aujourd’hui bien souvent recommandée dans les « études globales » préalables à un Contrat de Rivière ou à un Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE)[1]. Comment le cours d’eau fonctionne d’un point de vue géomorphologique ? Quels sont les problèmes associés à ce fonctionnement ? Mais aussi, qui est responsable des dysfonctionnements observés? Bien établir quels sont ces dysfonctionnements et à quoi ils sont liés permet en effet d’identifier les bonnes solutions. Longtemps centrés sur les symptômes, il est possible, en reconsidérant plus systémiquement les diagnostics, davantage se concentrer sur les maux. La géomorphologie est ainsi chargée de maintenir le corps fluvial en bonne santé, et dans certains cas de le soigner.
La géomorphologie va éclairer les opérateurs sur le contenant (le lit fluvial), évaluer sa robustesse ou sa fragilité, les aléas et risques associés et leur évolution, ou encore la qualité des habitats écologiques. La géomorphologie est utilisée pour expliquer l’état écologique d’une rivière. L’objectif d’atteinte d’un « bon état écologique », tel que préconisé par la DCE (Directive Cadre sur l’Eau)[2], s’appuie souvent sur des actions touchant la géomorphologie du lit. Ce bon état est écologique mais son atteinte repose sur des actions réparatoires qui sont bien souvent physiques. L’amélioration, la diversification ou encore la reconnexion des habitats relèvent d’une restauration physique[3] ou « hydromorphologique » (e.g., hydrologiques ou géomorphologiques)[4].
L’enlèvement des ouvrages transversaux (seuils ou barrages) est une question éminemment géomorphologique et très sensible dans le contexte social actuel. Quel est l’impact de ces ouvrages sur le transit sédimentaire ? Quel sera l’ajustement du lit une fois qu’on les enlève ? Évaluer l’impact de la pression ou les effets de la solution réparatoire est ainsi un enjeu important, sensible car les différents acteurs ne sont pas forcément en accord sur les solutions à adopter. En matière de restauration, la géomorphologie apporte notamment des éléments importants lors de l’étude de faisabilité, en évaluant la réactivité de la rivière à l’action envisagée, et les risques potentiellement induits par celle-ci, tout en déterminant notamment si l’état ainsi créé est potentiellement durable.
Sur le Rhin à l’aval du barrage de Kembs, il était envisagé de restaurer un transport solide afin de diversifier les habitats aquatiques. L’approche géomorphologique a permis d’évaluer les risques associés à cette action, risque de transfert rapide vers l’aval de la charge de fond et de perturbation de la navigation, risque de modification des lignes d’eau et d’augmentation de la fréquence d’inondation, risque de déstabilisation du fonds. Elle a aussi permis de montrer que cette solution devait sans doute être combinée avec un élargissement du lit pour pleinement porter ses fruits en matière de restauration d’un bon état écologique du fleuve.
Références et notes
Image de couverture. Lit fluvial bétonné et utilisé comme parking, Riera de Sant Vicenç, Cadaquès, Espagne. [Source : © H.Piegay]
[1] http://www.gesteau.fr/presentation/sage
[2] http://www.onema.fr/elements-d-hydromorphologie-fluviale
[3] http://www.eaurmc.fr/actualites-de-lagence-de-leau/detail-de-lactualite/article/nouveau-guide-sur-la-politique-de-restauration-des-rivieres.html