L’hypersensibilité électromagnétique
PDF1. Des symptômes réels d’origine inconnue
L’hypersensibilité électromagnétique (EHS) se manifeste par un ensemble de symptômes de nature et d’intensité variables d’un individu à l’autre, dont la cause est attribuée à des ondes électromagnétiques par les patients. Les personnes atteintes sont majoritairement des femmes. Les ondes mises en cause sont souvent des radiofréquences des outils de communication sans fil récents (Wifi, téléphonie mobile…). Des équipements émettant dans d’autres gammes de fréquences, comme les lignes à haute tension, et divers équipements électriques sont également incriminés, comme les compteurs électriques Linky par exemple [1].
Plus de 50 études, dites de provocation, ont été conduites en double aveugle pour déterminer si des sujets se déclarant électrosensibles ou hypersensibles électromagnétiques (EHS) étaient capables de détecter la présence d’un champ électromagnétique. Ces études n’ont pas montré de différence de perception des ondes électromagnétiques entre les individus EHS et non EHS. En effet, le taux de bonnes réponses obtenu par les deux groupes n’est pas différent de celui obtenu « par chance ». En 2005, l’OMS a identifié l’hypersensibilité électromagnétique comme une intolérance environnementale idiopathique (IEI) attribuée aux champs électromagnétiques [2].
D’autres syndromes s’apparentent aux IEI, comme l’hypersensibilité chimique multiple (ou intolérance aux odeurs chimiques) [3], le syndrome du bâtiment malsain [4] (air ambiant), le syndrome de la guerre du Golfe [5], l’hypersensibilité au bruit [6] ou encore le syndrome éolien [7]. Il a été observé à de multiples reprises que certaines personnes peuvent cumuler plusieurs IEI de façon simultanée. Plus généralement, ces syndromes s’apparentent à des troubles médicalement inexpliqués [8]. Les symptômes et la souffrance sont bien réels et peuvent devenir invalidants, notamment du fait des conduites d’évitement, de l’ampleur des troubles ressentis et de l’isolement pouvant en résulter.
2. L’information peut-elle jouer un rôle dans l’apparition des troubles ?
Il est démontré que des informations inquiétantes sur les dangers des ondes électromagnétiques peuvent favoriser l’apparition de divers symptômes chez des sujets « normaux » (sans a priori sur les effets des ondes et sans problème de santé préexistant). Il est en effet possible d’induire l’apparition de symptômes chez des personnes non EHS, par le simple fait de leur faire croire qu’elles sont exposées, ce d’autant plus si un tableau effrayant des effets des ondes leur a été présenté au préalable [9],[10],[11]. L’analyse du profil psychologique indique une plus forte tendance à la somatisation chez certains sujets. D’autres études indiquent une plus grande attention vis-à-vis des facteurs environnementaux et une tendance accrue à l’anxiété sans qu’un profil type se dégage clairement. Ceci a renforcé l’hypothèse d’un effet nocebo, rapporté également dans les études de provocation. L’effet nocebo relève d’un mécanisme comparable à l’effet placebo bien connu, mais avec des effets inverses : un effet négatif attendu se produit lorsque la personne pense être en présence de sa cause.
3. Comment se construit l’auto-diagnostic ?
Des entretiens menés avec des personnes se déclarant EHS ont mis en évidence un processus en plusieurs étapes conduisant à la conviction que les ondes sont bien la cause des maux (Figure 2). Les symptômes, parfois préexistants de longue date, trouvent une explication par le biais d’une émission de radio, un article de presse ou une conversation avec des proches relatant des effets néfastes des ondes [12]. L’effet nocebo apparait alors comme une composante secondaire qui viendrait amplifier le processus.
La notion d’exposition socio-cognitive avait été proposée [13], rejoignant celle d’« opportunisme cognitif » [14], où l’individu souffrant de symptômes pour lesquels il n’a pas d’explication satisfaisante, trouve ainsi une cause dès lors qu’il peut en concevoir une dans son environnement. A l’évidence, différents chemins conduisent des personnes à se déclarer EHS. A ce jour, aucun marqueur biologique ou psychologique ne permet de faire un diagnostic médical d’hypersensibilité électromagnétique sur des bases scientifiquement validées.
4. Mécanismes sous-jacents
Les mécanismes conduisant à cet état ne sont pas élucidés [15]. Nous n’aborderons ici que la question de la perception. L’influence de paramètres psychologiques et sociétaux sur la perception de symptômes et le jugement est connue. Une sensation accrue de stimulations tactiles (impulsions électriques) a été décrite à plusieurs reprises chez des sujets EHS. Elle est également exacerbée chez des sujets non EHS après visionnage d’un film inquiétant sur les ondes, en particulier chez les personnes qui ont tendance à percevoir des symptômes corporels comme intenses, dérangeants et nocifs. D’autre part, une étude par IRM fonctionnelle [16] (Figure 3) comparant des sujets EHS et non EHS a montré qu’une fausse exposition aux ondes radiofréquences entraine une activation des mêmes zones cérébrales qu’une douleur réelle chez des sujets EHS [17]. Les auteurs rapportent avoir également observé une réponse similaire chez des sujets hypersensibles aux odeurs chimiques avec une exposition simulée. Ces résultats semblent apporter une base intéressante pour de futurs travaux de recherche en psychologie scientifique et en neurosciences, en complément de la recherche de marqueurs spécifiques qui pour l’instant n’a pas été concluante [18].
5. Des malades en quête de reconnaissance
Les personnes se disant atteintes d’EHS soutenues par des associations ont une forte demande de reconnaissance de leur condition, mais également du fait que les ondes en sont la cause. Elles sont aussi la cible d’acteurs qui tirent profit de la situation en vendant des équipements censés protéger des ondes [19], des appareils de mesures de champ, etc. Faute de confirmation objective, le problème est régulièrement déplacé dans l’arène judiciaire [20]. L’issue de quelques procès favorables aux plaignants est vécue comme une reconnaissance. La décision de justice est souvent présentée comme preuve que les ondes causent des symptômes [21]. En conclusion, les personnes EHS ont une réelle souffrance sans que les études scientifiques montrent un lien de causalité entre les symptômes ressentis et l’exposition aux ondes.
Notes et références
Image de couverture. [Source : Vincent van Gogh, Public domain, via Wikimedia Commons]
[1] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/22/linky-en-questions-les-ondes-du-compteur-sont-elles-dangereuses_5372938_4355770.html
[2] Organisation Mondiale de la Santé (2005), Champs électromagnétiques et santé publique : hypersensibilité électromagnétique. Aide-mémoire 296. Sur oms.int
[3] Conso F., Dargone M.-A., Asselain D., Choudat D. L’intolérance environnementale idiopathique (sensibilité chimique multiple). Environnement, Risques & Santé. 2010;9(5):393-400.
[4] Marchand D., Weiss K., Laffitte J.-D. Syndrome des bâtiments malsains ou syndrome psychogène collectif ? Environnement, Risques & Santé. 2010;9(5), 401-407.
[5] Minshall D. Gulf War Syndrome: a review of current knowledge and understanding. J R Nav Med Serv. 2014;100(3), 252-8.
[6] Nicolle-Mir L., 2017, Symptômes, santé, recours aux soins : qu’est-ce qui caractérise les hypersensibles au bruit ?, Yearbook santé et environnement, Vol.16, n°3, Mai-Juin 2017.
[7] Simos J, Cantoreggi N, Christie D, Forbat J. Wind turbines and health: a review with suggested recommendations. Environ Risque Sante 2019 ; 18 : 1-11. doi : 10.1684/ers.2019.1281
[8] Cathebras P, Troubles fonctionnels et somatisation. Comment aborder les symptômes médicalement inexpliqués. Paris, Masson. 2006.
[9] Szemerszky R., Köteles F., Lihi R., Bárdos G. Polluted places or polluted minds? An experimental sham-exposure study on background psychological factors of symptom formation in ‘Idiophatic Environmental Intolerance attributed to electromagnetic fields. Int J Hyg Environ Health. 2010;213(5), 387-94
[10] Witthöft M., Rubin GJ. Are media warnings about the adverse health effects of modern life self-fulfilling? An experimental study on idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields (IEI-EMF). J Psychosom Res. 2013;74(3), 206-12.
[11] Bräsher AK et al., “Are media reports able to cause somatic symptoms attributed to wifi radiation ? An experimental test of the negative expectation hypothesis”, Environ Res, 2017, 156:265-71.
[12] Dieudonné M., 2019, Becoming electro-hypersensitive: A replication study. Bioelectromagnetics. 40(3):188-200. doi: 10.1002/bem.22180.
[13] Poumadère M., Perrin A. Exposition socio-cognitive et évaluation des risques : le cas de la téléphonie mobile, Radioprotection. 2011;46(1), 46-73.
[14] Bronner G., Géhin E. L’inquiétant principe de précaution. Paris, PUF. 2010.
[15] Pour plus d’information, consulter le rapport Anses, Hypersensibilité électromagnétique ou intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques, mars 2018.
[16] Technique d’imagerie médicale permettant de visualiser les zones actives du cerveau en temps réel.
[17] Landgrebe M. et al. Neuronal correlates of symptom formation in functional somatic syndromes: A fMRI study. NeuroImage, 41 (2008) 1336–1344
[18] Perrin A., Hypersensibilité électromagnétique, EDP-Science, Yearbook 2018.
[19] Électrosensibilité. Un marché florissant, Que Choisir, le 31/8/2014. Sur quechoisir.org
[20] Perrin A. & Souques M., Médiatisation d’un jugement en faveur d’un électrosensible : à qui profite vraiment le buzz ? European scientist, nov. 2018. Sur europeanscientist.com
[21] https://www.ledauphine.com/actualite/2019/08/09/electro-sensibilite-et-compteur-linky-la-justice-tranche